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Le résultat des failles du système Sarkozy

Martine Aubry s’est félicitée de la victoire de la «gauche solidaire» Keystone

Deux Suisses, l’éditeur Bernard Comment et l’historien Pascal Payen-Appenzeller, analysent les conséquences des élections régionales de dimanche, qui ont vu la victoire presque totale de la «gauche solidaire».

La gauche a remporté le «petit chelem» aux élections régionales. Elle préside désormais toutes les régions de France métropolitaine, excepté l’Alsace. Le coup est rude pour la majorité, qui n’a recueilli que 36% des voix, au second tour du scrutin, contre plus de 54% à la gauche. Le Front national confirme sa remontée: 17,5% dans les régions où il était présent au deuxième tour.

«On assiste à l’écroulement du sarkozysme, estime le Jurassien Bernard Comment, écrivain et éditeur, directeur au Seuil de la collection Fiction & Cie. L’idée d’un parti unique à droite s’est révélée désastreuse. Le centre, sur lequel la majorité pouvait s’appuyer, n’existe plus. Le gouvernement n’a plus aucune marge de manœuvre. »

L’erreur du «je dirige tout»

Bernard Comment, à l’instar de beaucoup de Français, est en colère contre cet «hyperprésident» qui croit pouvoir décider seul de l’avenir du pays. «C’est complètement dingue de penser qu’on peut gouverner la France de l’Elysée, sans déléguer le moindre pouvoir, avec tout le côté dangereux des petites équipes resserrées. La France n’est pas un groupe privé.»

L’historien suisse Pascal Payen-Appenzeller, qui a publié de nombreux ouvrages sur l’histoire et l’urbanisme de Paris, n’est guère plus tendre avec Sarkozy. «La démocratie, c’est l’instabilité et l’alternance. En instaurant l’«ouverture», en exerçant un pouvoir excessivement personnel, le Président a voulu gommer tout jeu démocratique. Avec ce message implicite aux Français: ‘Vous n’avez pas besoin de voter, le gouvernement représente à la fois la droite et la gauche. Et je dirige tout’. Ce système est pervers.»

Pseudo «ouverture» à la gauche, resserrement à droite autour de l’UMP: cette double stratégie a montré ses limites. D’abord, les recrues de l’ouverture sont de plus en plus marginales et ne font qu’agacer les électeurs de droite. Ensuite, l’unification de la droite provoque des réactions hostiles dans la majorité et prive l’UMP d’alliés au second tour. Dans Le Monde, l’ancien ministre Hervé de Charrette dénonce un «parti unique monocorde, fondé non pas sur la diversité de ses composantes mais sur l’autorité d’une hiérarchie rigide».

Les fissures de la droite

«Nicolas Sarkozy a réussi l’exploit de cliver son propre camp, pointe Bernard Comment. À mon sens, il a commis deux erreurs. D’abord en tapant sur Jacques Chirac, ensuite en procédant à l’ouverture, ou plutôt à la débauche de personnalités de gauche. Cette ouverture était inutile quand il l’a initiée en 2007. Aujourd’hui, elle pourrait rendre des services, mais il est trop tard. C’est l’histoire du chasseur qui tire en l’air et qui, une fois que le gibier arrive, n’a plus de cartouches.»

Ces élections marqueront-elles un tournant dans l’histoire du sarkozysme ? «Les patrons le lâchent. Arnaud Lagardère, mais aussi Martin Bouygues», confie Bernard Comment. Un signe qui ne trompe pas. Dans les grands groupes médiatiques, on prépare déjà la suite. «A droite, ajoute l’éditeur, il n’est pas exclu que des candidatures rivales surgissent bientôt. Dominique de Villepin va créer son propre mouvement politique cette semaine. Et d’autres figures pourraient être tentées de sortir du bois.»

«Il y aura sans doute un remaniement, note Pascal Payen-Appenzeller. Avec ce message: les faibles et les absents n’ont rien à faire ici. Bernard Kouchner pourrait en faire les frais, tôt ou tard. Mais le système, quasi-monarchique, ne changera pas.»

Quel projet à gauche?

Le second tour a été marqué par une forte abstention, d’environ 50%. Un signe d’essoufflement de la démocratie? «Avec le quinquennat et ces élections régionales qui font figure de scrutin à mi-mandat, les Français votent de plus en plus», remarque Pascal Payen-Appenzeller. Pour autant, on aurait tort de diagnostiquer trop vite une dépolitisation. «Car ceux qui votent aujourd’hui sont très motivés, ce sont presque des militants de la démocratie, voir des résistants au régime.»

Avec 54% des suffrages, la gauche, qui a réussi à rassembler dans presque toutes les régions le PS, Europe Ecologie et le Front de gauche, peut pavoiser. «La gauche a gagné. Mais quelles sont ses propositions, quel est son projet? On ne sait pas très bien, note Bernard Comment. Au fond, les socialistes sont devenus d’assez bon gestionnaires au niveau régional, mais sans idée d’envergure sur le plan national.»

Hier, Martine Aubry s’est félicitée de la victoire de la «gauche solidaire». Ce scrutin sera-t-il un tremplin pour la maire de Lille, qui fut ministre de Mitterrand et de Jospin? «Je ne suis pas certain que Martine Aubry ait vraiment le désir et l’ambition de gagner en 2012. N’oublions pas que son père, Jacques Delors, promis à la victoire en 1995, avait fini par renoncer. J’ajouterai qu’elle est arrivée à la tête du PS à la suite d’une véritable forfaiture et en concluant toutes sortes d’alliances contre nature. Cela, elle le portera longtemps.»

Mathieu van Berchem, Paris, swissinfo.ch

Le Front national a confirmé sa remontée du premier tour. Dans les régions où le parti de Jean-Marie Le Pen était présent au second tour, il obtient environ 17,5% des voix.

Dans le Nord-Pas-de-Calais, Marine Le Pen, 22%, est devancée d’assez peu par la tête de liste de l’UMP, la secrétaire d’Etat Valérie Létard.

En Provence-Alpes-Côte d’Azur, Jean-Marie Le Pen atteint entre 23 et 24% des voix. Le FN devrait tenir cette année ou en 2011 son congrès qui désignera un successeur à Le Pen père.

L’Alsace, l’une des deux seules régions détenues par la droite, reste dans le camp présidentiel, avec entre 46% et 47,1% des voix, privant la gauche d’un grand chelem en métropole. La liste de la majorité présidentielle conduite par Philippe Richert devance largement celle d’union PS-Europe Ecologie de Jacques Bigot, qui obtient 38,7%. Le Front national arrive en troisième position avec 14,2 % des votes.

En Franche-Comté, région où Nicolas Sarkozy s’était rendu plusieurs fois pour défendre le candidat de l’UMP, son ministre Alain Joyandet, la candidate de la gauche Marie-Guite Dufay l’a finalement emporté facilement, avec 47% des suffrages, devant Joyandet à 38%. Le Front national obtient plus de 14%.

Pas de surprise en Rhône-Alpes, région remportée aisément par le président sortant socialiste Jean-Jacques Queyranne, avec 51% des voix, loin devant le candidat UMP. Le parti de Jean-Marie Le Pen, représenté par son numéro 2 Bruno Gollnisch, atteint 15%.

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