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Loger les requérants d’asile: un casse-tête

A Bettwil, dans le canton d’Argovie, une partie des 557 habitants ne veut pas entendre parler des 140 demandeurs d’asile que la Confédération entend loger au village. Keystone

Avec l’augmentation du nombre des demandes d’asile, trouver à héberger les candidats vire au casse-tête pour les cantons et les communes, confrontés aux peurs et à la résistance des habitants. Par exemple à Pully, localité plutôt chic de la périphérie de Lausanne.

Malgré l’accord de principe entre autorités fédérales et cantonales, la création de 2000 places d’hébergement supplémentaires pour la fin de 2011 s’est heurtée à de multiples obstacles, liés aux règlement sur les constructions, à l’indisponibilité des sites militaires et aux résistances locales.

Dans toute la Suisses, les cantons et les communes se sont vus contraints de trouver dans l’urgence des places d’hébergement pour faire face à une demande en hausse.

Récemment, une réunion d’information a attiré quelque 400 habitants de Pully, où un abri souterrain de la protection civile doit accueillir 50 demandeurs d’asile. Si la séance a été moins conflictuelle que celle tenue l’année dernière à Gland (également dans le canton de Vaud), les questions de l’assistance – généralement plutôt âgée – étaient en gros les mêmes, tournant autour de la sécurité et du trafic de drogue.

«Allons-nous retrouver ces gens dans nos appartements la journée quand le centre sera fermé?» a demandé une femme. «Qui sont ces gens? La plupart sont ici pour des raisons économiques, certains deviennent des dealers ou se marient pour avoir des papiers suisses», a dit une autre habitante de cette paisible bourgade du bord du lac.

On a également pu entendre des avis opposés, comme: «c’est typiquement vaudois de critiquer avant d’avoir vu. Faisons plutôt confiance aux autorités».

Au nom des autorités justement, Philippe Leuba, ministre vaudois de l’Economie, a exhorté l’assemblée à éviter les stéréotypes. «Il y a des délinquants – et j’en renvoie chez eux par avion tous les jours -, il y a des réfugiés économiques, qui cherchent une vie meilleure, mais il y a aussi des gens qui ont souffert, d’autres qui ont été torturés et d’autres qui sont de vrais réfugiés politiques», a dit le magistrat.

Pierre Imhof, directeur de l’Etablissement vaudois d’accueil des migrants (EVAM) a également tenté de rassurer l’assistance. «Les craintes pour la sécurité sont généralement infondées, les requérants d’asile sont contrôlés… mais nous ne pouvons pas exclure qu’il se passe des choses», a-t-il rappelé, en insistant sur les succès rencontrés dans les autres centres.

Forte augmentation

Le centre installé dans le sous-sol du bâtiment de la voirie, au chemin de la Damataire à Pully, est le sixième site d’hébergement temporaire que l’EVAM a dû ouvrir pour faire face à la forte augmentation des demandes d’asile enregistrée en 2011. Par rapport à 2010, la hausse a été de 45%, portant le nombre de demandes déposées dans toute la Suisse à 22’551, du jamais vu depuis 2002.

La clé de répartition instaurée pour partager la charge entre les 26 cantons attribue à Vaud 8,4% du nombre total des requérants d’asile. Les autorités de Pully ont accepté d’ouvrir ce nouveau centre à titre temporaire pour une année, avec possibilité de prolongation de trois mois en trois mois selon la demande.

Philippe Leuba n’a pas caché que sa tâche n’était pas facile. «Je ne suis pas ici pour apporter des bonnes nouvelles, mais c’est mon devoir d’accepter les conséquences de notre politique d’asile… c’est un devoir particulièrement difficile qui ne plaît pas à tout le monde», a commenté l’élu du parti libéral-radical (centre droit).

«Toutes nos structures permanentes sont pleines à 100%. Nous espérons que les réformes de la nouvelle ministre fédérale de la Justice Simonetta Sommaruga vont permettre de raccourcir la procédure d’asile actuelle et que les nouvelles structures fédérales nous éviterons d’ouvrir trop d’abris de protection civile, car c’est difficile à chaque fois et les conditions de vie n’y sont pas faciles», a ajouté Philippe Leuba.

Résistances alémaniques

Les cantons ne sont pas tous touchés de la même manière et les réactions sont différentes d’une région à l’autre.

A Genève, il a fallu ouvrir d’urgence un second abri de protection civile pour 40 hommes à Carouge, mais leur arrivée s’est faite relativement en douceur.

Dans le canton de Fribourg, le gouvernement a annoncé le 19 janvier son intention d’ouvrir à la mi-février à Wünnewil un abri de protection civile pour 50 requérants d’asile. Au village, certains ont exprimé leurs craintes, notamment des mères de jeunes adolescentes qui voient un risque à ce que de jeunes requérants mâles soient logés près de l’école.

Ailleurs en Suisse alémanique, la résistance à l’obligation d’accueillir de petits groupes de requérants d’asile a été plus vive.

Ainsi, à Birmensdorf, dans le canton de Zurich, le président de la section locale de l’UDC (droite conservatrice) a carrément dit qu’il ne voulait plus d’Africains dans les containers installés à côté des casernes militaires.

Et dans le village argovien de Bettwil, le projet de l’Office fédéral des migrations de loger 140 requérants dans une caserne rénovée s’est heurté à une ferme opposition. Même une version nettement revue à la baisse (pour 20 à 40 personnes) a été rejetée à la mi-janvier.

En 2011, 22’551 demandes d’asile ont été déposées en Suisse. C’est 45% de plus qu’en 2010 et c’est le chiffre le plus élevé depuis 2002.

Selon l’Office fédéral des migrations, ceci est avant tout dû aux révolutions en Afrique du Nord et à l’ouverture des voies vers l’Europe à partir du mois de mars.

Les trois pays d’où sont venus le plus de requérants sont l’Erythrée (3356), la Tunisie (2574) et le Nigéria (1895).

En 2010, 3711 personnes ont reçu l’asile, ce qui représente une proportion de 7,6% de demandes acceptées.

En Suisse, l’immigration et l’asile font depuis longtemps partie des sujets politiques qui donnent lieu aux débats les plus enflammés et aux controverses les plus vives.

Tandis que les conservateurs de l’UDC réclament des règles plus strictes, le centre gauche appelle la Suisse à ne pas violer les principes humanitaires. La dernière révision du droit d’asile est entrée en vigueur en 2007.

En 2008, la Suisse a rejoint la vingtaine de pays européens signataires de l’accord de Dublin, qui vise à empêcher un requérant d’asile de déposer des demandes dans plusieurs pays.

En Suisse, la politique d’asile est de la compétence de l’Etat fédéral, mais il appartient aux 26 cantons (qui disposent d’une large autonomie) de mettre cette politique en pratique.

Le logement des requérants d’asile a toujours été un problème. En 2006, Christoph Blocher (UDC), alors ministre de la Justice, a décidé de fermer certains lieux de transit et d’hébergement pour limiter la capacité d’accueil à 10’000 demandeurs par année. Or la Suisse en reçoit actuellement deux fois plus.

Le 26 janvier 2012, dans une interview à l’hebdomadaire allemand Die Zeit, la socialiste Simonetta Sommaruga, ministre de la Justice, plaide pour une approche «plus objective» des questions de migration.

«Les personnes qui ont demandé l’asile représentent 2% de tous les étrangers en Suisse. Mais certains pensent que 2500 requérants tunisiens peuvent déstabiliser le pays», dit la ministre, qui «sans vouloir minimiser la situation», appelle à ce que les choses soient toujours remises dans leur contexte». Et d’ajouter que ces questions de migration sont trop souvent envisagées «avec une intransigeance par ailleurs rare en Suisse».

Traduction de l’anglais: Marc-André Miserez

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