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«La Tunisie doit impérativement réintégrer ses jeunes»

Discrimination régionale, pauvreté, corruption, contrebande, terrorisme sont pointés du doigt par les internautes tunisiens quatre ans après la chute de Ben Ali. swissinfo.ch

Le 5e Forum mondial sur la démocratie directe moderne s’ouvre jeudi à Tunis. La Tunisie, qui a accompli des élections libres fin 2014, fait figure d’exception parmi les pays du «printemps arabe», mais beaucoup reste à faire. Témoignages de citoyens.

Berceau des «printemps arabes», la Tunisie est le pays qui a le mieux géré sa révolution. Une nouvelle constitution a été adoptée et des élections législatives et présidentielles ont été organisées avec succès fin 2014. La Libye voisine, elle, est en proie au chaos. Mais la chute du régime de Ben Ali le 14 janvier 2011 a laissé place à des défis immenses et beaucoup reste à faire pour consolider le processus démocratique.

swissinfo.ch a demandé aux internautes tunisiens quelles sont d’après eux les priorités du pays, quelles réformes politiques ils souhaitent et comment reconquérir la confiance des jeunes, qui ont déserté les urnes lors des dernières élections.

Nombre de réactions sont amères face à une révolution qui a certes amené la liberté d’expression, mais n’a pas amélioré les conditions de vie matérielles, au contraire. «La révolution est un grand mensonge», lance quelqu’un. «De quelle démocratie vous parlez?», demande ironiquement un autre. «Discrimination régionale», «pauvreté», «corruption», «contrebande», «terrorisme» sont pointés du doigt. «Réforme fiscale», «justice sociale», «désenclavement de l’administration», «décentralisation», «propreté» sont réclamés.

Plus de 600 participants au forum

Plus de 600 personnes de plus de 35 pays se sont inscrites pour participer au 5e Forum mondial sur la démocratie directe moderne, organisé à Tunis du 14 au 17 mai. Ces rencontres visent à débattre de sujets liés à la citoyenneté active et la démocratie participative. L’édition 2015 est placée sous le thème «La décentralisation par la participation». Le Premier ministre tunisien Habib Essid sera présent lors de l’ouverture.

Quatorze ateliers exploreront des problématiques comme l’Islam et la démocratie, les nouveaux mouvements citoyens ou le rôle des femmes dans les processus de démocratisation. Des priorités communes seront ensuite formulées dans la «Déclaration de Tunis». Un enregistrement préalable est nécessaire pour participer aux workshops mais le forum peut être suivi en diffusion simultanée sur le site de l’événement.

Les précédentes éditions ont eu lieu à Aarau, en Suisse (2008), à Séoul, en Corée du Sud (2009), à San Francisco, aux Etats-Unis (2010) et à Montevideo, en Uruguay (2012). swissinfo.ch est l’un des partenaires principaux de la manifestation.

«Le pays vit des moments très durs»

«Le pays vit des moments très durs, témoigne Mehdi Najar, un architecte de 37 ans. L’Occident voit en nous la nation qui réussit sa transition démocratique, la nation qui découvre la liberté, la nation qui savoure sa victoire sur la dictature, mais la majorité du peuple se demande encore ce qu’elle a gagné dans tout ça: l’économie encore fragile? Le chômage de plus en plus étouffant? La classe politique qui ignore encore les attentes de ses électeurs?»

La situation des jeunes préoccupe particulièrement. «Aucune solution n’est simple ni disponible ‘clé en main’, analyse un internaute, mais la Tunisie doit impérativement réintégrer en son sein ses propres jeunes, qui, actuellement, ont pour la plupart le regard rivé vers l’Europe et un étranger mythifié. Il faudrait donc consacrer une part conséquente du budget de l’Etat à l’éducation, à la rénovation des établissements scolaires, à la révision des programmes et de la pédagogie employés qui sont terriblement lacunaires.»

Le système politique, centralisateur, est lui-même décrié, d’autant que la Tunisie est marquée par de fortes disparités entre les régions intérieures, délaissées, et les côtes touristiques, dont fait partie la capitale Tunis. «Aucune réflexion n’a été menée sur la nature de la démocratie et les modalités de son exercice. Pressée par les circonstances, la Tunisie s’est engouffrée dans une grotesque pantomime de régime parlementaire.» Le modèle suisse est pris en exemple: «Le système fédéral a prouvé son efficacité pour le développement, la démocratie et l’unité nationale. C’est ce dont nous avons besoin en Tunisie.»

La Suisse et ses banques en prennent en revanche pour leur grade en raison des 60 millions de francs de l’entourage de Ben Ali toujours bloqués dans les coffres helvétiques. «Nous demandons à la Suisse et à tous les pays européens de nous rendre les biens de Ben Ali et de sa famille. Vous allez voir la courbe exponentielle de l’économie tunisienne.»

D’autres en appellent à la solidarité extérieure. «Il faudrait que soient honorées les promesses de dons et de soutien formulées par la communauté internationale en 2011 au sommet de Deauville [G8].» La méfiance reste toutefois tenace face à l’étranger, dans un pays qui a connu des ingérences tout au long de son histoire. «Laissez-nous créer notre démocratie propre à nous», exhorte un commentateur.

Changer les mentalités

Pour beaucoup, point de salut sans un changement de «mentalité». «Pour réussir, il faut la volonté du peuple de se mettre au travail, de subir quelques sacrifices (…) et surtout se sentir responsable et se battre pour des jours meilleurs.» La notion de «respect» revient souvent: «Enseigner aux Tunisiens, surtout aux nouvelles générations, à respecter leur pays et leurs concitoyens. Dans un langage simple leur demander: ‘Que veut dire aimer son pays’?» Autre réaction: «Dans tous les actes de la vie quotidienne, (…) on a l’impression que chacun fait comme il veut.»

La Tunisie possède quantité d’atouts, souligne un intervenant. «La Tunisie est riche par son terrain, son climat, sa position stratégique, ses richesses naturelles, son histoire, son peuple, sa religion. Avec de la volonté nous pouvons réussir à créer la belle vie. Malheureusement, la colonisation économique persiste et une classe de pions en profite. L’indépendance totale et permanente nécessite que nous nous rassemblions autour d’un gouvernement honnête capable de gérer toutes les ressources et mettre en évidence le bien stratégique du pays.»

Mais certains plaident pour la patience. «Le problème, c’est que les Tunisiens sont trop pressés. Ils imaginent que la démocratie est une recette magique qui peut résoudre tous les problèmes. La transition démocratique a dévoilé les maux d’une société qui a vécu pendant des décennies la dictature et la corruption. Il faut beaucoup d’énergie et de patience pour remédier à ces problèmes.» 

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