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Pourquoi les Suisses votent-ils contre leurs propres intérêts?

Bataille de générations? En fait, c'est l'idéologie politique qui semble plus importante quand il s'agit de décider d'augmenter ou non les retraites. Keystone

Les citoyens suisses votent souvent contre des projets qui les avantagent, et sont parfois en faveur de lois qui leur coûtent cher. Explications.

La récente initiative populaire sur la hausse des retraites met le doigt sur une question épineuse: dans une démocratie directe, quand est-ce que les citoyens décident de défendre leurs intérêts personnels ou ceux de la nation dans son ensemble?

Ces dernières années, les citoyens suisses ont voté à plusieurs reprises à l’encontre de leurs intérêts personnels. Ils ont par exemple rejeté un projet qui voulait abaisser l’âge de la retraite, un autre sur le revenu de base inconditionnel et un dernier sur la hausse du nombre de jours de vacances accordés aux employés. Les médias étrangers parlaient alors des résultats helvétiques comme si les dindes avaient voté pour Noël. 

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Quand les Suisses semblent voter contre leurs intérêts

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L’initiative du 25 septembre prochain consiste à augmenter les rentes AVS. Et, selon les derniers sondages, ce projet semble, à nouveau, être l’un de ces votes bénéfiques que les Suisses vont refuser. Et une fois encore, ce seront les personnes âgées qui auront décidé de l’issue du scrutin. Plus conservateurs que les jeunes, les aînés votent souvent contre le changement et le renforcement de l’Etat providence. Et surtout, les personnes âgées vont voter.

«Nous avons vu ça partout, explique Georg LutzLien externe, professeur de sciences politiques à l’université de Lausanne. Quand la participation est faible, les jeunes votent souvent moins que les aînés.»

Jeunes contre aînés

«Leur comportement est différent car ces deux groupes se trouvent à des stades différents de leur vie, poursuit l’expert. Les jeunes ne touchent généralement pas encore de revenu stable – ils viennent de quitter la maison, ils n’ont pas encore d’emploi fixe, ils n’ont pas encore acheté de maison, ils n’ont pas d’enfants, des choses du genre. Ils sont donc moins intégrés dans la société. Du coup, ils se sentent moins concernés par la vie politique.»

Ceci a clairement été démontré lors du vote en juin dernier au Royaume-UniLien externe. Les jeunes Britanniques voulaient rester au sein de l’Union européenne, mais ils se sont tiré une balle dans le pied en ne prenant pas la peine d’aller voter.

«Nous ne savons pas encore à quel point les aînés sont conservateurs, dit Georg Lutz, à swissinfo.ch. Mais nous savons que les jeunes peuvent être plus progressistes sur certaines questions. Pourtant, quand on regarde le choix des partis, on voit qu’autant de jeunes que de seniors votent pour l’UDC (droite conservatrice). Il n’y a pas de différence systématique. Vous devez regarder au cas par cas pour voir comment un vote touche les gens.»

Les retraités indécis

Sur la thématique des retraites, on trouve généralement le vote scindé entre gauche/droite et jeunes/aînés – la gauche et les personnes âgées étant plutôt en faveur d’une telle hausse.

Mais les opinions ne sont pas forcément les mêmes au sein d’une seule et même génération. swissinfo.ch a contacté trois organisations représentant des personnes âgées. L’association suisse pour les questions relatives aux aînés (SVS) s’est ainsi prononcée contre cette initiative, le Conseil suisse pour les aînés s’est dit en faveur, et Pro Senectute a expliqué «ne pas donner de recommandation de vote».«Il faut d’abord avoir l’argent avant de le dépenser – or, l’initiative ne parle pas du financement du projet», dit Ueli Brügger, directeur de l’association suisse pour les questions relatives aux aînés (SVS).

«Beaucoup de retraités ne dépendent pas de cette augmentation, et cette hausse peut grever l’économie, dit-il. Le vieillissement de la population signifie aussi que le déficit des caisses de retraites va continuer à augmenter et le trou dans le système de retraite va s’agrandir au fur et à mesure que les baby boomers partent à la retraite.»

De son côté, le Conseil suisse pour les ainés a dit dans un communiquéLien externe que «en l’absence d’un véritable choix» une grande partie de ses délégués voteront en faveur de cette initiative «bien concrète» qui «permet une vieillesse décente aux retraités de ce pays». Et qui va «donner une solution simple et rapidement applicable au problème des rentes».

Convictions politiques

Pour que l’initiative échoue, une grande partie des électeurs seniors va devoir voter contre. Autrement dit, la conviction politique devra l’emporter sur le gain personnel.

«L’orientation politique d’une personne explique mieux si quelqu’un est en faveur ou non d’une proposition, dit Georg Lutz. La ligne du parti et son idéologie est donc le véritable facteur déterminant, pas l’appât du gain.»

«Parmi les personnes âgées, spécialement les progressistes qui touchent un revenu élevé, une augmentation de 10% d’une retraite ne fait pas une grande différence, explique l’expert. Vous allez aussi avoir des jeunes électeurs se dire en faveur [de l’augmentation des retraites].»

Mais ceux-ci ne sont pas nombreux. Seuls les Jeunesses socialistesLien externe et les Jeunes VertsLien externe soutiennent l’initiative. Toutes les autres organisations de jeunesse des partis se sont prononcées à l’encontre du projet.

Six jeunesses de partis de droite ont uni leurs forces pour protester contre l’initiative. Leur slogan: «carton rouge pour l’escroquerie des rentes». Selon eux, cette idée n’est «ni juste, ni solidaire, ni soutenable».

Une facture de plusieurs milliards de francs

«L’initiative représentera un vrai plus pour les retraités aisés, mais engendrera également des coûts chiffrés en milliards. La facture sera présentée aux générations futures», a écrit le comité dans un communiquéLien externe

Mais Tamara Funiciello, présidente de la Jeunesse socialiste, refuse de dire qu’il s’agit d’un vote contre les intérêts des citoyens.«Bien sûr que non!, dit-elle à swissinfo.ch. Il s’agit du plan de pension le moins cher et le plus sûr de tous. Nul part ailleurs les personnes à faible et moyen revenu ne touchent autant d’argent qu’ils paient. Cela vaut autant pour les jeunes que pour les seniors.»

Au lendemain du vote sur le revenu de base universel, le Washington PostLien externe se moquait des Suisses. Le journal américain écrivait alors: «De l’argent gratuit? Non merci disent les Suisses». Mais à quel point ces résultats surprenants sont-ils liés au système de démocratie direct helvétique?

Des électeurs altruistes

«Je ne pense pas que la même chose se déroulerait dans d’autres pays, dit Georg Lutz. Deux choses sont en train de se passer: tout d’abord, les gens ne pensent pas qu’à eux-mêmes, ils pensent au bien du pays. Par exemple, si la campagne arrive à faire passer le message ‘ce projet va endommager notre économie’, alors les gens vont voter non, quoiqu’ils pensent au fond d’eux-mêmes.»

«Les citoyens sont aussi généralement plus conservateurs sur le plan financier que les politiciens, dit-il. Ceux-ci font campagne en faisant de nombreuses promesses qui coûtent cher à réaliser. Et les votants pensent: ‘OK, peut-être que je vais y gagner quelque chose, mais qui va payer pour tout ça?’»

Georg Lutz explique que les gens votent souvent en faveur des intérêts de l’économie et sont souvent contre la redistribution, «parce que quand vous redistribuez, quelqu’un doit ramasser la facture.»

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(Adapté de l’anglais par Clément Bürge)

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