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«Angels Camp», destins croisés au fil des saisons

Emmanuelle Antille avec le groupe Honey for Petzi. "Angels Camp"

A travers ses thèmes favoris, famille, désir ou violence, Emmanuelle Antille aime décortiquer les sentiments.

Aux frontières du réel, les émotions et les sensations se nourrissent des petits riens du quotidien. Avec toujours, la nature comme témoin.

L’artiste contemporaine Emmanuelle Antille refuse de dévoiler son film «Angels Camp» avant sa projection en intégralité à la Biennale de Venise. Mais elle parle volontiers de son univers et de ses sources d’inspiration.

Elle présente d’ailleurs en ce moment une installation qui tourne autour de la nébuleuse d’«Angels camp» en Suisse, au Kunsthaus de Muttenz dans le canton de Bâle campagne.

La famille au sens large



La vidéaste aime s’entourer de sa famille au sens large. Pour Angels Camp, elle a tourné avec pour moitié des professionnels. Et pour le reste, des amis ou des membres de sa famille, dont sa mère, un personnage devenu familier depuis «Wouln’t it be nice» (1999).

La famille, ses tensions et ses bonheurs, est d’ailleurs un de ses thèmes récurrents. Sans toutefois verser dans l’autobiographie.

«Ma mère s’est révélée une actrice extraordinaire, généreuse et libre, qui travaille sans conscience de la caméra, confie-t-elle. Pour moi, elle est comme une Gina Rowlands.»

Tourner avec sa mère revient aussi à parler d’un univers de femmes. Et surtout des relations très intimes qui peuvent exister entre elles lorsqu’elles prennent la liberté d’inventer leur propres codes.

Elle veut ainsi se distancer du cinéma en traîtant d’un univers féminin en tant que tel, et qui ne soit pas un faire-valoir d’un univers masculin.

Plus émotionnel que conceptuel

A l’opposé de l’art conceptuel, le travail d’Emmanuelle Antille se définit par les émotions avant tout. Elle reconnaît que c’est assez atypique dans l’art contemporain.

Mais, «ce qui compte avant tout, c’est de partager des émotions, des sensations avec le spectateur. Mais aussi au sein de l’équipe. J’ai travaillé avec quatre-vingt personnes. Sur place nous étions vingt, c’était comme une famille.»

La musique, particulièrement présente dans sa dernière vidéo, contribue aussi à soutenir les émotions. Elle devient «l’âme des personnages, un narrateur supplémentaire».

D’autant que le groupe lausannois Honey for Petzi, qui a écrit la musique du film, apparaît dans la vidéo et joue les fils conducteurs entre les quatre épisodes.

«Je les ai fait jouer en live sur la scène d’une boîte de strip-tease. C’est un décor fort, que Wim Wenders a aussi utilisé pour «Paris Texas». Un environnement très glamour, coloré et intemporel.»

Le groupe a en outre enregistré dans l’esprit du travail effectué par Neil Young pour le film «Dead Man» de Jim Jarmush. Ils jouaient en direct avec le film sous les yeux, comme un pianiste sur un film muet.

Le cinéma comme prochaine étape

Mais dans le fond, on peut se demander pourquoi Emmanuelle Antille ne fait pas carrément du cinéma.

C’est, peut-être trop tôt. Bien qu’elle songe à intégrer la pellicule dans son prochain film, elle ne s’estime pas encore assez convaincante pour franchir le pas.

«Je dois encore faire mes armes», déclare-t-elle. Sans compter que le coût d’un film tourné en DV ou en pellicule n’est pas comparable. Même si pour la première fois, elle a travaillé avec une équipe et un matériel professionnels.

Et enfin, sa formation aux Beaux-Arts, où elle a développé la vidéo, l’a aussi conduite à avoir un public dans l’art contemporain essentiellement.

Inspiration du quotidien

Outre la littérature, le cinéma ou la musique, le travail de la vidéaste s’inspire beaucoup des petits gestes du quotidien.

«J’ai, par exemple, fait tourner ma mère et ma sœur dans une scène où elles se lavent les mains. C’est un geste très banal, reconnaît l’artiste. Mais la manière dont elles l’ont fait, la complicité qu’elles ont eue, était magique.»

«On aurait dit qu’elles avaient subitement huit ans, poursuit-elle. Par la répétition du geste et le décalage au niveau du contexte, c’est une scène qui s’est chargée d’une émotion extrême.»

L’enfance et ses vestiges occupent aussi une place importante dans son imaginaire artistique.

Si elle a tourné «Angels Camp» dans la Broye, c’est bien parce qu’elle y a grandi. Et qu’elle y conserve des souvenirs d’enfance magiques.

«On a filmé dans des grottes extraordinaires, des champignonnières ou des villages de cabanes. Il faut vraiment être du coin pour connaître ces secrets-là.»

Emmanuelle Antille évolue effectivement dans un microcosme très personnel qu’elle explore au fil de ses projets artistiques. Au risque tout de même de finir par l’épuiser.

swissinfo, Anne Rubin

– «Angels Camp» est une installation qui s’articule autour d’une fiction.
– Elle réunit plusieurs vidéos, photos, textes et musiques.
– Le film «Angels Camp» de 80 minutes comporte quatre épisodes tournés dans la Broye.
– 1. «By the river», se déroule en automne dans une maison au cœur du village. Il brosse le portrait d’une femme d’âge mûr repliée sur son enfance. Elle vit dans un monde imaginaire où elle s’est inventé une sœur.
– 2. «The red cabins» se passe en janvier au bord du lac, dans un complexe de cabanons abandonnés. On y suit deux adolescentes livrées à elles-mêmes. Elles s’entraînent à s’endurcir physiquement et psychologiquement. Et jouent à des jeux très dangereux.
– 3. «From the woods» est filmé au printemps dans les bois. C’est l’histoire d’un l’homme qui y habite, personnage déjà aperçu dans les épisodes précédents. Il est hanté par les actes incompréhensibles des autres personnages féminins. Dans les grottes où il vit, il a des visions.
– 4. «The creek», clôt le cycle des saisons par l’été. Il réunit tous les personnages au bord du lac. Ils ont fui la forêt où ils étaient inadaptés. Leur communauté fonctionne comme une famille recomposée et hétéroclite.

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