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«Cirque», «gabegie», «combat de coqs» au Parlement

UBS, à l'origine d'un formidable chaos politique. Keystone

Au lendemain du rejet de l’accord d'entraide administrative avec les Etats-Unis concernant UBS par la Chambre basse du parlement, la presse se déchaîne contre les «errances» du parlement. Sans trop douter pour autant que l’accord finira par être signé.

«Quand la politique se pervertit», écrivent les quotidiens alémaniques Der Bund et Tages-Anzeiger, alors que la Neue Zürcher Zeitung évoque «l’oubli de l’intérêt du pays», un «théâtre politique inqualifiable», et une situation politique helvétique où «rien ne va plus».

La presse suisse a mal digéré le résultat du long débat qui s’est s’est soldé mardi par le rejet de l’accord – par 104 voix contre 76 et 16 abstentions. Seuls le PLR (parti libéral radical, centre-droit), le PDC (Parti démocrate-chrétien, centre) et le PBD (Parti bourgeois démocratique, droite) se sont rangés derrière l’accord qui doit permettre de livrer aux autorités américaines des données bancaires de 4450 clients d’UBS soupçonnés d’avoir fraudé le fisc. Le dossier retourne à la Chambre haute ce mercredi.

Après le gouvernement, c’est le parlement qui se transforme en «grand cirque», selon Judith Mayencourt dans le quotidien vaudois 24 Heures et le genevois La Tribune de Genève. «Aux errances du gouvernement, mises en lumière par les commissions de gestion, succèdent désormais les errances d’un parlement au bord du gouffre, incapable de signer un accord que tout le monde ou presque estime – dans le fond – discutable mais indispensable», écrit-elle.

Plus animalière, Christiane Imsand, dans le quotidien fribourgeois La Liberté, évoque un «combat de coqs».

«Consternant» pour Le Temps, le spectacle est «désolant» selon le quotidien italophone Corriere del Ticino, qui souligne les changements de cap de l’UDC (Union démocratique du Centre, droite conservatrice), et évoque le paradoxe de sa position: une opposition à l’accord qui peut avoir des effets positifs pour elle d’un point de vue électoraliste, mais une position qui ne sera pas «viable» face aux intérêts économiques et de la Suisse et sa situation de pôle financier.

La responsabilité de la droite, de la gauche… et du centre!

Pour le quotidien Der Blick, il est d’ailleurs clair que l’UDC «ne peut pas se permettre un non» et prendre le pari d’un «risque incalculable pour le pays et l’économie». La situation est différente pour le parti socialiste, qui, selon le journal de boulevard, pourrait se permettre politiquement un non, puisque le parlement n’est pour le moment pas concrètement entré en matière sur ses revendications en matière de contrôle des banques.

«Hier, ni le PS, ni l’UDC n’ont voulu céder un pouce de terrain. Spectateurs impuissants, les partis du centre observent cette situation avec une irritation croissante (…) Le PS et l’UDC se sont livrés à une démonstration de force, mais ni l’un ni l’autre ne peuvent se permettre de faire capoter l’accord», lit-on dans le quotidien fribourgeois La Liberté sous la plume de Christiane Imsand.

Le centre et le centre-droit tiendraient donc le rôle des blanches colombes? Pas pour Bernard Wüthrich dans Le Temps: «On se croirait dans une cour d’école, alors que les enjeux politiques et économiques sont considérables. La responsabilité de cette triste gabegie n’est pas seulement le fait de la gauche et de l’UDC: elle est partagée par les autres acteurs politiques».

Si L’Express de Neuchâtel, sous la plume de François Nussbaum, réfute la métaphore scolaire, la mise en cause du parlement dans son entier y figure également: «On aurait tort de réduire le débat d’hier à une chamaillerie de cour d’école, où gauche et UDC jouent des muscles dans une perspective électoraliste, sous les yeux d’un centre droit attendant, un peu agacé, un retour à la raison. Il s’agit bien de voter un accord qui règle un conflit et efface les fautes d’UBS, mais il s’agit aussi de faire en sorte qu’UBS ne puisse plus plonger le pays dans le même marasme».

Car si l’ambiance politique est actuellement au chaos, c’est, toujours selon L’Express, à cause de l’incapacité du parlement à prendre de vraies mesures pour éviter un véritable désastre économique. «Quand la gauche demande à lier de telles mesures à l’accord lui-même (comme pour la libre circulation), c’est parce que les autres partis (laissons de côté les pantalonnades de l’UDC) ont refusé de donner des garanties de concrétisation. La gauche va probablement perdre cette bataille, mais, en cas de nouvelle débâcle, la victoire du centre droit risque d’être amère».

Le poker continue

Une éventuelle «nouvelle débâcle» à propos de l’accord d’entraide administrative avec les Etats-Unis, ils sont peu à y croire.

«Il n’est peut-être pas trop tard pour mener une ultime négociation et, au prix d’un détestable marchandage de souk, convaincre vingt à trente parlementaires de changer de position, histoire de faire passer l’accord en se bouchant le nez d’une main et en faisant le poing dans sa poche de l’autre. La clé de sortie se trouve sans doute dans l’une ou l’autre des nombreuses motions qui ont été déposées», lit-on dans Le Temps.

Dans le quotidien italophone La Regione, on souligne également que le centre droit devra d’une manière ou d’une autre «rompre les fronts», à droite ou à gauche. Mais on prend des paris: «Le centre devra trouver les voix qui lui manquent. Et c’est vraisemblablement du côté de l’UDC qu’il y parviendra».

Et si 24 Heures souligne que «bluff, dissimulation et intimidation… le poker se poursuit», l’éditorialiste Judith Mayencourt constate que «Personne ne doute que l’accord USA-UBS soit ratifié au terme de ce bras de fer».

Enfin, la perspective internationale, qu’on a tendance parfois à égarer à force de se plonger dans les querelles intestines du parlement helvétique, c’est notamment dans Le Temps qu’on la retrouve: «L’accord UBS est forcément un mauvais accord, une mauvaise solution à une mauvaise situation. Mais il est trop tard pour revenir en arrière. Et il est illusoire de croire qu’il sera possible aux négociateurs suisses de retourner vers leurs interlocuteurs américains en espérant trouver mieux».

Aux Etats-Unis

En effet, pendant ce temps-là, de l’autre côté de l’Atlantique, on commence à montrer une certaine impatience.

«Nous attendons que le gouvernement suisse continue à honorer les termes de l’accord», a indiqué Frank Keith, porte-parole de l’IRS, le fisc américain. «Nous continuons de suivre de près ce qui se passe en Suisse, et nous nous tenons prêts à poursuivre toutes les voies juridiques à notre disposition dans le cas où les Suisses manqueraient à leur obligation de nous fournir les informations requises», a ajouté le porte-parole.

Le Wall Street Journal signale que le sénateur Carl Levin, a appelé les autorités américaines à rouvrir le dossier UBS immédiatement. «Les Etats-Unis devraient rejeter toute nouvelle tentative suisse de reporter une décision dans l’affaire UBS. Il est temps de contraindre UBS à fournir les noms», a-t-il déclaré.

Enfin, le New York Times insiste sur le fait que «si l’ensemble du parlement suisse n’a pas approuvé l’accord d’ici le 18 juin, le département américain de la Justice, pour le compte de l’IRS, relancera une action en justice en Floride, où un tribunal cherche à contraindre UBS à communiquer 52.000 noms de clients américains».

Bernard Léchot, swissinfo.ch

Pendant plusieurs années, la banque UBS a utilisé une véritable «système» pour aider des contribuables américains à frauder le fisc de leur pays.

Un ancien employé d’UBS aux Etats-Unis, Bradley Birkenfeld, dénonce l’affaire aux autorités américaines.

En février 2009, les autorités fiscales américaines (IRS) déposent une plainte pour tenter d’obliger UBS à fournir à la liste de 52’000 clients. Les autorités suisses menacent UBS de poursuites, car une telle divulgation est contraire au droit suisse.

Après d’intenses négociations entre le gouvernement suisse, le gouvernement américain et UBS, un accord est signé le 18 août 2009. La banque ne livrera finalement les données «que» de 4450 de ses clients.

Selon l’accord, la transmission de ces données doit se faire dans le délai maximal d’un an, soit jusqu’au 19 août 2010.

La Chambre basse a accepté par 97 voix contre 78 de soumettre l’accord avec les Etats-Unis au référendum facultatif.

Le gouvernement et la Chambre haute s’opposent à une telle clause, estimant que cet accord est une décision unique et limitée dans le temps et non une nouvelle norme applicable à l’avenir.

Si l’accord était effectivement soumis au référendum facultatif, il pourrait empêcher la Suisse de livrer les données d’ici la date impartie du 19 août. En effet, le gouvernement devrait attendre les 100 jours mis à disposition pour la récolte des 50’000 signatures nécessaires à l’aboutissement d’un référendum pour appliquer pleinement l’accord.

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