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«Je voulais échapper aux recettes»

«Home», ou la vie et l'autoroute... Photo SP

Singulière dans son style qui brasse comédie, drame et film noir, Ursula Meier, jeune cinéaste franco-suisse, a brillé à Cannes grâce à «Home», avec Isabelle Huppert. Le film a conquis le cœur de la critique. Entretien.

Elle croule sous les compliments Ursula Meier. Elle aurait même pu être à la place de Steve McQueen, le réalisateur anglais qui, dimanche soir à Cannes, reçut pour «Hunger» la Caméra d’or. Un prix qui récompense le meilleur premier long-métrage.

Seulement le sort en a voulu autrement pour cette jeune cinéaste franco-suisse dont le film «Home», très remarqué et apprécié au festival de Cannes, n’était pas en compétition. Et pour cause: considéré comme le deuxième long-métrage de la cinéaste, il ne pouvait donc pas concourir dans sa catégorie.

Fraîche, confiante, intelligente, pleine de vigueur, Ursula Meier a «Des Epaules solides» à son actif, un téléfilm réalisé en 2002 pour Arte, jugé, lui, comme son premier long-métrage.

Mais foin des regrets! Très heureuse de voir son «Home» chaudement accueilli à Cannes, la cinéaste livre ici quelques émotions.

swissinfo: Ce film vous donne des ailes, non?

Ursula Meier: Je préfère dire que je suis satisfaite de mon travail. Je voulais un film libre, qui sort des cadres habituels. Je crois y avoir réussi. Je trouve terrible le formatage dans lequel s’enferment aujourd’hui les œuvres cinématographiques, y compris les films d’auteurs. Il y a des recettes auxquelles, hélas, beaucoup de réalisateurs, même les plus cérébraux, se soumettent pour avoir une large audience. Le film de tel pays doit, par exemple, correspondre à telles attentes.

Pour ce qui me concerne, il s’agissait avant tout d’échapper à un schéma. J’aime l’éclectisme et les contradictions. Dans «Home», je mélange donc les genres, les tons, les styles… ça commence comme une comédie et ça se termine comme un film noir. Bref, je fais exploser les frontières.

swissinfo: Vos personnages vivent justement dans une maison en bordure d’autoroute. Faut-il voir en celle-ci une frontière comme une autre?

U.M: Oui, si l’on veut bien considérer cette autoroute comme une ligne de démarcation séparant l’intérieur et l’extérieur, l’intime et le public. Il s’agit d’une famille qui, au début, vit dans une tranquillité bienheureuse jusqu’au jour où cette autoroute désaffectée est «remise en marche». Le monde entre alors dans l’existence de ces gens simples qui se voulaient à l’écart de tout problème et qui tout d’un coup découvrent leurs failles et leurs folies à cause d’un frottement inhabituel avec un univers jusqu’ici inconnu d’eux.

swissinfo: Dans une interview, vous dites que cette famille est un peu à l’image de la Suisse…

U.M: Oui, c’est mon producteur lausannois qui a attiré mon attention là-dessus. Je n’y avais pas pensé parce que je ne délivre jamais de message dans mes films. Mais j’ai trouvé qu’il avait après tout raison. Si on regarde la carte de l’Europe, la Suisse paraît comme une île, isolée de manière absurde du reste du Vieux Continent, sur lequel elle projette ses obsessions. Un peu comme cette famille que je filme et qui finit par se disloquer tellement qu’elle refuse d’accepter la réalité, c’est à dire le monde tel qu’il roule.

swissinfo: Vous confiez à Isabelle Huppert un des rôles du film. C’était un défi de votre part ou une inconscience devant le «danger» que peut représenter une star pour une cinéaste débutante?

U.S: Je n’ai fait aucun calcul en envoyant le scénario à Huppert qui m’a d’ailleurs dit oui très vite. C’est plutôt elle qui aime les défis. C’est une personne curieuse qui n’hésite pas à se frotter au jeune cinéma.

swissinfo: Cannes, c’est également un marché du film très important. Y avez-vous fait de bonnes affaires?

U.S: Oui, absolument. «Home» a été vendu à de très nombreux pays, et j’en suis très heureuse. Même les Anglais nous l’ont acheté, alors qu’ils ne sont absolument pas preneurs quand il s’agit de cinéma francophone, ce n’est pas leur truc. Cedi dit, le film sort en Suisse en octobre prochain.

Interview swissinfo, Ghania Adamo

Film de Ursula Meier (France, Suisse, Belgique, 2008).

Avec notamment Isabelle Huppert et Olivier Gourmet.

Née à Besançon en 1971, de père suisse et de mère française.

Elle fait ses études scolaires à Ferney-Voltaire, puis entre à l’Institut des Arts de Diffusion (IAD) en Belgique.

Après plusieurs courts métrages et documentaires, son premier long métrage, «Des Epaules solides», est un téléfilm diffusé sur Arte.

Dans son style singulier, on peut voir plusieurs influences cinématographiques dont celles de Ken Loach et des frères Dardenne.

Le film français «Entre les murs» a remporté la Palme d’or du 61e Festival de Cannes, à l’unanimité du jury, présidé par Sean Penn. Ce long métrage de Laurent Cantet explore le quotidien d’un collège parisien.

Présidé par l’acteur et cinéaste américain Sean Penn, le jury a attribué neuf récompenses.

Il a salué l’actrice française Catherine Deneuve et l’acteur et metteur en scène américain Clint Eastwood en leur décernant chacun un «Prix spécial du 61e festival de Cannes» pour l’ensemble de leur travail.

Le Grand prix honore le cinéaste italien Matteo Garronne pour «Gomorra».

Le Prix du jury a été décerné à «Il Divo», long métrage de l’Italien Paolo Sorrentino. Ce film présente le portrait grinçant de Giulio Andreotti.

L’acteur américain d’origine portoricaine Benicio Del Toro a reçu le prix d’interprétation masculine. Il incarne Ernesto Guevara dans «Che» de Steven Soderbergh.

Le prix d’interprétation féminine est allé à l’actrice brésilienne Sandra Corveloni.

Enfin, les frères Jean-Pierre et Luc Dardenne ont gagné le Prix du scénario pour «Le silence de Lorna».

Le film «Hunger» du Britannique Steve McQueen a obtenu la Caméra d’or du Festival de Cannes, prix de la meilleure première œuvre.

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