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Droits de l’homme dans le collimateur à Sotchi 2014

Des militants homosexuels manifestent contre Vladimir Poutine à Londres, août 2013. Keystone

Avec près de 150 athlètes, deux ministres et un pavillon de promotion, la Suisse sera très présente aux Jeux olympiques de Sotchi. Une situation qui n’est pas du goût des organisations de défense des homosexuels et des droits de l’homme.

«Alors que les présidents de plusieurs pays ont annulé leur voyage à Sotchi, il est incompréhensible que deux ministres suisses, dont le président de la Confédération, se rendent sur place», affirme Mehdi Künzli, de l’organisation gay suisse Pink Cross. Contrairement à Barack Obama, François Hollande ou Joachim Gauck, le ministre suisse des Affaires étrangères Didier Burkhalter, qui assure la présidence tournante cette année, assistera à la cérémonie d’ouverture le 7 février.

Le ministre des Sports Ueli Maurer arrivera plus tard à Sotchi pour encourager les quelque 150 athlètes suisses présents, dont aucun n’est ouvertement homosexuel, selon Mehdi Künzli (*). Les associations de défense des homosexuels s’insurgent contre la loi interdisant «la propagande de relations sexuelles non traditionnelles» signée par le président russe Vladimir Poutine en juin 2013. Celle-ci interdit notamment d’informer les enfants à propos de l’homosexualité et de tenir des rassemblements militants.

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Des Jeux olympiques d’hiver sous les palmiers

Ce contenu a été publié sur En débarquant à l’aéroport international d’Adler, le district de Sotchi où a été érigé le Parc olympique, mon esprit a de la peine à concilier la présence des magnolias et des palmiers avec la tenue prochaine des Jeux olympiques d’hiver. Rapidement, je réalise également que la région connue sous le nom de «grand Sotchi» s’étend…

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«La Russie est une catastrophe pour la communauté LGBT [lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres] et les ONG actives dans le domaine des droits de l’homme. Je vous donne un exemple: une bombe a explosé en plein milieu de l’après-midi dans le bureau où travaille une de mes amies, qui n’a heureusement pas été blessée. Dans ce contexte, nous ne pouvons pas comprendre comment des politiciens aillent serrer la main à Poutine», avance Mehdi Künzli.

«Apparemment, les enjeux politiques sont plus importants que les droits de l’homme», ajoute-t-il, soulignant que Pink Cross et les organisations de défense des gays russes ne demandent pas que les athlètes boycottent les Jeux. Pour sa part, Ueli Maurer a estimé que boycotter les Jeux olympiques «serait mesquin» et qu’il ne fallait «pas politiser le sport».

La menace terroriste

Les homosexuels représentent toutefois à l’heure actuelle le dernier des soucis de Vladimir Poutine. Réagissant à deux attaques à la bombe dans la ville de Volgograd qui ont fait 34 morts, Vladimir Poutine s’est engagé le 7 janvier à «anéantir» tous les terroristes de Russie. Les craintes sécuritaires sont désormais omniprésentes à l’approche des Jeux.

Sotchi, une ancienne station balnéaire de l’époque soviétique, est située à l’extrémité ouest des montagnes du Caucase, dans une bande de terre que les insurgés veulent transformer en Etat islamiste. Leur chef, Doku Umarov, les a exhorté à utiliser la «force maximale» pour empêcher la tenue des Jeux olympiques.

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Dans ses conseils aux voyageurs pour la Russie, le ministère suisse des Affaires étrangères avertit qu’«en dépit du renforcement des mesures de sécurité, de nouveaux attentats ne peuvent pas être exclus».

Les Jeux d’hiver de 2014 sont les premiers à être organisés en Russie depuis les Jeux d’été de 1980, qui avaient été éclipsés par un boycott des Etats-Unis. Ils doivent permettre de montrer au monde comment la Russie a changé depuis l’effondrement du communisme en 1991. Ces Jeux seront les plus chers jamais organisés de l’histoire (près de 50 milliards de dollars).

Aucune délégation n’envisage de boycotter Sotchi. La Géorgie voisine y a un temps pensé, avant de déclarer en décembre 2013 son intention d’y participer. Aucun athlète sélectionné par Swiss Olympic n’a jusqu’ici refusé d’être du voyage pour des motifs politiques.

Les 22es Jeux olympiques auront lieu à Sotchi, dans le Sud de la Russie, du 7 au 23 février 2014. Les Jeux paralympiques y seront ensuite organisés du 6 au 17 mars.

Les 11 sites de compétitions sont répartis sur deux sites: le premier, qui accueillera les épreuves en salle, est situé sur les bords de la mer Noire et le second, destiné aux épreuves de plein air, dans les montagnes du Caucase.

Près de 5500 athlètes de 88 pays se mesureront dans 98 épreuves de 15 sports olympiques. Six nations – Malte, Paraguay, Timor Est, Togo, Tonga et Zimbabwe – devraient faire leurs grands débuts aux Jeux d’hiver.

Le coût total des Jeux de Sotchi est estimé à 50 milliards de dollars.

Les athlètes encadrés

Martina Gasner, porte-parole de Swiss Olympic, souligne que des lignes directrices et des conditions de participation ont été fixées par le Comité international olympique (CIO). Tous les athlètes doivent par ailleurs signer et respecter la Charte olympique.

«Celle-ci stipule – elle l’a toujours fait, ce n’est pas nouveau pour Sotchi – que les Jeux olympiques ne doivent pas être utilisés à mauvais escient pour des déclarations politiques. A Pékin [qui a accueilli les Jeux d’été de 2008], les athlètes n’avaient par exemple pas le droit de brandir des drapeaux ‘Tibet libre’», rappelle-t-elle.

Martina Gasner précise: «Si les athlètes peignent par exemple leurs ongles ou agitent des drapeaux arc-en-ciel [en soutien aux droits des homosexuels], le CIO les approchera probablement et prononcera des sanctions. Les athlètes le savent». Swiss Olympic recommande aux athlètes de faire preuve de prudence lorsqu’ils sont amenés à commenter certains sujets politiques. «Mais ils ne sont pas muselés. La liberté d’expression existe en Suisse et les athlètes peuvent parler de la Russie s’ils le souhaitent».

La Maison de la Suisse aux Jeux olympiques de Sotchi sera un lieu de rendez-vous pour les athlètes et les fans suisses. Elle aura également pour objectif de promouvoir la Suisse «dans toute sa diversité avec ses points forts dans les domaines de l’économie, de la politique, du tourisme, de la culture et de la science», affirme Nicolas Bideau, directeur de Présence Suisse.

Le président de la Confédération Didier Burkhalter y tiendra une réception durant les Jeux pour marquer le 200e anniversaires des relations diplomatiques entre la Russie et la Suisse.

Le directeur de Présence Suisse soutient que l’image de son pays ne nécessite pas de grand travail parmi les Russes, «pour qui la Suisse est synonyme de produits de haute qualité (montres, produits pharmaceutiques, banque, chocolat), d’un excellent équilibre entre vie professionnelle et vie privée, de hauts standards de vie ainsi que de destination de voyage très appréciée».

Nicolas Bideau estime cependant que la Suisse peut encore améliorer son image auprès des Russes dans le domaine de l’innovation et des questions environnementales.

Une Maison de la Suisse isolée

Un endroit où ils seront en mesure de le faire est la «Maison de la Suisse». Seuls quatre pavillons nationaux seront présents dans le Parc Olympique du site côtier, et celui de la Suisse sera le seul ouvert au public. Les autres pays auraient-ils voulu faire profil bas en ne s’y affichant pas ostensiblement? «Absolument pas», répond Nicolas Bideau, directeur de Présence Suisse, l’organe fédéral chargé de la promotion de la Suisse à l’étranger.

«Les grandes nations alpines, qui se concentrent sur l’aspect sportif, ont simplement décidé d’être présentes sur l’autre site olympique, qui est dans les montagnes, explique Nicolas Bideau. Pour notre part, nous avons voulu mettre l’accent non seulement sur le sport, mais également sur la promotion de notre pays. C’est pour cela que nous sommes présents sur le site côtier, nous savons que c’est principalement là que se rendront les Russes».

Quoi qu’il en soit, les polémiques sur les droits de l’homme ont pris le dessus sur l’aspect purement sportif à l’approche du grand raout olympique. En Occident et parmi les libéraux russes, Vladimir Poutine a été accusé d’étouffer la dissidence et d’encourager l’intolérance.

«En ce qui concerne la liberté d’expression, la situation en Russie s’est clairement détériorée au cours des douze derniers mois», estime Reto Rufer, de l’organisation non gouvernementale Amnesty Internationale Suisse. «Un signe clair est l’introduction d’une série de lois répressives qui permet au gouvernement de faire taire ses détracteurs». Parmi elles, une loi sur «les agents étrangers», qui exige de toutes les ONG qu’elles s’enregistrent en tant que telles si elles reçoivent de l’argent de l’étranger. Le non-respect de cette norme peut entraîner de lourdes amendes.

Certains signaux montrent toutefois que Vladimir Poutine n’est pas resté sourd à ce tollé international. Dans une tentative de désamorcer les critiques sur la situation des droits humains et des homosexuels, la Russie s’est engagée à mettre en place des zones de manifestations publiques à Sotchi.

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Poutine tente de calmer le jeu

Le 4 janvier, Vladimir Poutine a également annulé une interdiction générale de manifester à et autour de Sotchi durant les Jeux, une initiative saluée par le CIO comme «faisant partie des plans des autorités pour assurer la liberté d’expression durant les Jeux».

Vladimir Poutine a par ailleurs pris toute une série de mesures surprenantes: il a gracié son vieil ennemi, l’ancien magnat du pétrole Mikhaïl Khodorkovski, accordé une amnistie qui a permis la libération de deux membres de la bande punk des Pussy Riot, et fait tomber les charges à l’encontre de 30 activistes de Greenpeace, dont le Suisse Marco Weber.

«L’amnistie ne change fondamentalement rien sur le terrain, affirme Reto Rufer. Bien sûr, c’est une étape bienvenue pour les personnes concernées, mais cela montre également que la Russie est loin de l’indépendance des pouvoirs. C’est plutôt un signe de la politisation du système judiciaire: le président peut accorder une amnistie tout comme il peut introduire des lois et influencer l’appareil judiciaire pour condamner des personnes qui le critiquent lui ou le gouvernement».

Projecteurs médiatiques

Certains observateurs estiment que les grands événements sportifs forcent les pays organisateurs à s’améliorer lorsque l’attention du monde est portée sur eux. Les sections russes des ONG de défense de l’environnement Greenpeace et WWF ont par exemple salué la décision du CIO d’attribuer les Jeux olympiques à la Russie.

«Cela signifie que non seulement les autorités russes sont responsable de la sécurité écologique du développement de Sotchi en tant que station de montagne, mais également le CIO», ont-elles affirmé dans une prise de position. Reto Rufer estime qu’il est difficile de déterminer si l’organisation de Jeux olympiques peut améliorer la situation des droits de l’homme dans un pays: «A Pékin, il n’y a pas eu beaucoup de développement durable et positif. Nous verrons si les Jeux olympiques auront un effet positif en Russie.»

«Bien sûr, il est également possible qu’après les Jeux olympiques, le régime vise tous ceux qui ont été responsables d’une perception négative de la Russie à l’étranger», souligne-t-il.

(*) Depuis que cette interview a été réalisée, swissinfo.ch a remarqué que la snowboardeuse suisse Simona Meiler est ouvertement gay.

(Traduction et adaptation de l’anglais: Samuel Jaberg)

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