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«Kaïros» s’ouvre sur le large et les surprises

La compagnie l'Alakran en tournée. «A chaque halte, le public s'est montré ouvert et intéressé».

La dernière création d'Oskar Gomez Mata est présentée au Centre culturel suisse, à Paris. L'artiste espagnol, établi à Genève depuis 1995 et connu pour son style antiréaliste, invoque dans son spectacle Kaïros, dieu de l'occasion opportune.

On ne peut pas plaire à tout le monde. En artiste averti, Oskar Gomez Mata le sait. Il sait que ses spectacles peuvent enchanter ou exaspérer, que lui, metteur en scène et acteur joyeusement provocateur, ne laisse jamais indifférent son public.

C’est ainsi, c’est tant mieux, l’art est fait pour «bousculer», pour nous «sortir de l’indifférence», dit celui qui n’hésite pas à se mettre à poil sur scène.

L’absurde guette

Mais ne lui parlez pas de nudité gratuite. Son théâtre se justifie «par les sens, les émotions», insiste-t-il. La raison n’a pas vraiment sa place chez Oskar Gomez Mata. Se dérobe donc constamment l’explication que l’on cherche au détour d’une scène. «Je joue avec la réalité, je la crée et la démonte.», indique-t-il. L’absurde guette parfois, on le rencontre dans un geste.

Tenez, en voilà un, qui prend place dans son nouveau spectacle «Kaïros, sisyphes et zombies». Une comédienne fait donc pipi sur le plateau, elle boit son pipi et dit: «Je me vide et me recycle». Alors quoi ? C’est de l’art, ça ? lui demande-t-on. «Et pourquoi pas ?, répond-il, cette scène respecte la thématique de ma pièce. Kaïros signifie en grec l’opportunité à saisir. Pour ce faire, il est nécessaire de se vider et de laisser le désir, la chance, prendre toute leur place».

Rencontres insolites

Se vider de ses substances toxiques, épurer le corps. Oskar Gomez Mata écrase la métaphore jusqu’au bout. Il étouffe le sens et l’aère en même temps. «Kaïros» est plein de rencontres insolites, ouvertes sur le large.

Parfois, elles dérivent et mettent en péril le dialogue et l’échange. Une femme blanche, occidentale, bien nantie, tombe sur un jeune homme Sri lankais, un peu bronzé (comme dirait l’autre), qui vend des fleurs pour gagner son pain. Elle lui fait la cour en français, une langue qu’il ne comprend pas. Elle insiste. Dissonance des voix. Le public rit. Le couple finit par danser un slow, en toute intimité. Accord des sens.

Réconcilier les contraires. Le spectacle parle aussi de ça, d’un «vieux rêve, d’un âge d’or de l’humanité», confie le metteur en scène. On pourrait ajouter que ce rêve, comme tous les rêves, se perd par moments dans un illogisme tantôt drôle, tantôt cauchemardesque. C’est d’ailleurs la marque de fabrique d’Oskar Gomez Mata. Une part d’insensé traverse ses créations. Les tableaux s’y succèdent dans un joyeux désordre, reflet d’un monde irrationnel.

Parfois, à l’intérieur de ce désordre s’installe comme par enchantement une cohérence. C’était le cas dans «Epiphaneïa», un des ses meilleurs spectacles qui passait à la tronçonneuse nos mythologies modernes: la consommation, le produit jetable, la sexualité, les vacances balnéaires…

«La Suisse est très réceptive»

Créé à la Comédie de Genève en janvier dernier, «Kaïros» est repris au Centre culturel suisse, à Paris, ces prochains jours (du 24 au 28 mars).

Mais entre temps, le spectacle a été présenté à Zurich, à Bilbao (Espagne) et dans l’île de La Réunion. «A chaque halte, le public s’est montré ouvert et intéressé, explique le metteur en scène. A la Comédie, nous avons réalisé, sur 10 jours de programmation, un taux de remplissage allant de 90% à 100%. C’est un bon record, surtout qu’il s’agissait de la plus importante scène genevoise, où je me produisais pour la première fois. Il faut croire que le bouche à oreille a très bien fonctionné».

Etabli à Genève depuis 1995, le metteur en scène espagnol n’a pas tardé à se faire sa place dans la ville de Calvin dont la rigueur n’a jamais perturbé ses plans d’artiste extravaguant. «La Suisse est très réceptive. J’y suis, j’y reste, lâche Oskar Gomez Mata. Ma compagnie l’Alakran est subventionnée par la Ville et l’Etat de Genève et appuyée par Pro Helvetia. D’autres m’envieraient pour bien moins que ça».

swissinfo, Ghania Adamo

«Kaïros, sisyphes et zombies», conception et mise en scène Oskar Gomez Mata, Compagnie l’Alakran. A voir au Centre culturel suisse (CCS), Paris, du 24 au 28 juin.

A noter également la programmation de deux autres spectacles de l’Alakran au Théâtre Saint-Gervais, Genève: «Optimistic vs Pessimistic» et «Psychophonie de l’âme», du 19 au 31 mai.

Metteur en scène, comédien, auteur et scénographe espagnol établi à Genève depuis 1995.

En 1997, il y crée sa compagnie l’Alakran.

Aujourd’hui, il développe son travail artistique et pédagogique en Suisse, en France, en Espagne, mais aussi en Amérique latine et au Portugal.

Il est par ailleurs responsable de projet dans le module Recherche et Développement à la HETSR (Haute école de théâtre de Suisse romande), à Lausanne.

Depuis 2006, sa compagnie bénéficie d’une aide contractuelle, pour 3 ans du Département des affaires culturelles de la Ville de Genève, et depuis janvier 2008 d’un contrat de prestations pour 3 ans avec l’Etat de Genève.

A son actif de nombreux spectacles, dont «Boucher espagnol», «Tombola Lear», «Cerveau cabossé 2: King Kong Fire», «Notes de cuisine»….

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