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«L’éthique gagnera, y compris dans le football»

Marqué par l'argent et la corruption, le football peut aussi être un vecteur d'intégration, comme ici en Afrique du Sud. Keystone

Une première Coupe du monde sur sol africain, mais aussi des affaires de matches truqués et de corruption au sein de la FIFA: en 2010, le football a joué sur des terrains parfois très glissants. Regard dans le rétroviseur avec le théologien et professeur d’éthique Denis Müller.

En matière d’éthique protestante, Denis Müller est une voix qui compte en Suisse. En 2008, peu avant l’Eurofoot organisé par la Suisse et l’Autriche, son regard d’éthicien, mais aussi de passionné de football, lui a inspiré un ouvrage, «Le football, ses dieux et ses démons. Menaces et atouts d’un jeu déréglé.»

Cet été, le Neuchâtelois a suivi de près la Coupe du monde de football, signant notamment plusieurs chroniques pour le magazine suisse «L’Hebdo» et le journal français «La Croix». Pour swissinfo.ch, il revient sur cet événement, mais aussi sur les affaires de corruption qui ont marqué l’attribution des Coupe du monde 2018 et 2022 par la FIFA. Interview.

swissinfo.ch: L’événement footballistique de l’année, c’était bien sûr la première Coupe du monde organisée sur sol africain. Qu’en retiendra-t-on?

Denis Müller: Ce Mondial a été extrêmement bien organisé et n’a pratiquement pas été entaché par des problèmes de sécurité. Dans les stades, il n’y avait pas seulement des touristes et des Blancs, mais aussi des Noirs. J’ai senti un enthousiasme du peuple sud-africain, toutes couleurs et couches sociales confondues.

De nombreuses questions se posent toutefois. Les prix des billets d’entrée étaient prohibitifs pour la majorité de la population noire, qui vit dans une grande pauvreté. Les petits commerçants sud-africains ont été écartés des stades, seules les multinationales dûment agréées par la FIFA y avaient accès. Ce n’est pas un phénomène nouveau, mais il a encore été accentué par le contraste sud-africain. Et soyons clairs: malgré ce que la propagande de la FIFA a tenté de nous faire croire, le Mondial n’a pas résolu les problèmes de l’Afrique du Sud.

swissinfo.ch: Tout comme la Coupe du monde de rugby en 1995 qui avait suivi les premières élections libres en Afrique du Sud, ce Mondial devait contribuer à réconcilier un pays marqué par des décennies d’apartheid. Fut-ce vraiment le cas?

 

D.M.: L’Afrique du Sud vit toujours sur un équilibre très précaire, on ne sait pas ce qu’il va se passer dans les années à venir. Les risques d’implosion ou de dérapages sont permanents. L’attribution du Mondial de football a contribué de manière symbolique et psychologique à développer une fierté multiraciale. Mais ce n’est de loin pas suffisant pour sortir d’une mentalité de ségrégation toujours profondément ancrée dans certains esprits.

swissinfo.ch: De manière générale, le football est-il selon vous davantage vecteur d’union ou de division?

D.M.: Les deux. Les risques d’instrumentalisation sont évidemment nombreux. Le football peut parfois servir d’opium pour le peuple, c’est-à-dire à masquer les problèmes réels, comme ça a été en partie le cas pendant la dictature argentine. A l’inverse, il peut aussi servir des causes idéalistes. Le football a été utilisé par les prisonniers noirs et métis de Robben Island comme un modèle démocratique et égalitaire, opposé au système inique de l’apartheid.  Il est un vecteur d’intégration dans une société comme l’Afrique du Sud.

Mais il est aussi évident que la corruption et l’argent sont omniprésents dans ce sport, qui comme bien d’autres est marqué par une idéologie néo-libérale poussée à son paroxysme.

swissinfo.ch: Précisément, les affaires de matches truqués ou de corruption au sein de la FIFA ont ébranlé beaucoup de certitudes cette année. Pour paraphraser le titre de votre livre, en 2010, les démons ont-ils pris le dessus sur les dieux du football?

D.M.: Les démons sont là, ils sont indéniables. Je ne suis pas satisfait de la manière dont la FIFA a géré les affaires de corruption qui ont entaché l’attribution des Coupe du monde 2018 et 2022. La commission d’éthique de la FIFA peut à tout moment devenir une sorte d’instrumentalisation alibi de l’éthique, phénomène que l’on connaît dans de nombreux domaines, des banques en passant par la politique, le système de santé ou même le journalisme. Le principe étant de dire: ‘Nous avons notre propre commission éthique, ne vous mêlez pas de nos affaires’. Dans tous les secteurs de l’activité humaine, il est bon que les citoyens puissent s’exprimer sur ce qui les concerne. Et le football concerne tout le monde.

Toutefois, de manière générale, j’ai une vision plus nuancée des choses que certains sociologues, qui ne voient dans le football qu’une peste émotionnelle.

swissinfo.ch: Le football et l’éthique semblent pourtant de plus en plus prendre leurs distances. Comment les réconcilier?

D.M.: Le football ne sera jamais totalement réconcilié avec l’éthique, pas plus que le reste de la société. Il y a toujours un écart entre l’éthique et la réalité, et c’est bien pour ça qu’on en discute autant aujourd’hui. Il faut tendre vers un idéal éthique – l’égalité, la justice, etc. – et le football doit diminuer sa part évidente d’immoralité. C’est-à-dire réduire les injustices et les scandales, que ce soient les affaires de corruption au sein de la FIFA ou les comportements anti-sportifs des joueurs et des entraîneurs.

En finale de la Coupe du monde, les Néerlandais sont venus sur le terrain avec le désir de briser l’adversaire. Au final, ils ont eu la monnaie de leur pièce. Pratiquement tout le monde a estimé juste que l’Espagne l’emporte car elle a joué un plus beau football et a eu un comportement plus éthique sur le terrain. Je fais un pari optimiste et je pense que l’éthique l’emportera à long terme, tout en restant bien sûr pleinement conscient que les Mondiaux au Brésil, en Russie et au Qatar ne seront pas à l’abri de la corruption.

Naissance à Neuchâtel

en 1947; marié, père de trois enfants et grand-père de quatre petits-enfants.

Pasteur de l’Eglise réformée évangélique

neuchâteloise depuis 1972 ; agrégé au corps pastoral de l’Eglise réformée évangélique du Canton de Vaud (1988).

Directeur du Centre de formation d’adultes Le Louverain (canton de Neuchâtel) de 1978 à 1986.

Pasteur à l’Eglise suisse de Londres, au Locle et à Serrières.

Licence en théologie

(Neuchâtel, 1970). Etudes avancées à Bâle, Munich et Tübingen.

Docteur en théologie de l’Université de Neuchâtel, 1981 (Parole et histoire. Dialogue avec W. Pannenberg, Genève, Labor et Fides, 1983).

Professeur d’éthique théologique

à la Faculté de Théologie et de Sciences des religions de l’Université de Lausanne depuis 1988 à la Faculté autonome de théologie de l’Université de Genève depuis 2009.

En 2008, il a publié un livre intitulé «Le football, ses dieux et ses démons. Menaces et atouts d’un jeu déréglé». Il intervient régulièrement dans les milieux professionnels et dans les médias pour donner son point de vue sur diverses questions éthiques.

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