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«L’UDC a besoin d’un changement au sommet»

Christoph Blocher a connu une sévère défaite lors de l'élection à la Chambre haute dans le canton de Zurich. Reuters

La droite conservatrice (UDC) a échoué dans sa conquête de nouveaux sièges au Sénat, où elle ne compte plus que 5 représentants sur 46. Cette défaite doit pousser le parti à opérer un changement dans ses hautes sphères, estime le politologue Michael Hermann.

La course à la Chambre des cantons s’est transformée en véritable flop pour l’UDC. Alors qu’elle en avait fait son objectif principal de la campagne en vue des législatives du 23 octobre, la droite conservatrice n’y compte désormais plus que 5 représentants. Dans plusieurs cantons, les poids lourds du parti ont mordu la poussière lors du 2e tour du scrutin.

Ainsi, à Saint-Gall, le président du parti Toni Brunner a été battu par le syndicaliste Paul Rechsteiner dans sa deuxième tentative d’accéder à la Chambre haute. A Zurich, l’ancien ministre et leader charismatique du parti Christoph Blocher a récolté 100’000 voix de moins que ses adversaires. Même constat dans le canton de Berne, où Adrian Amstutz a été barré par Werner Luginbühl, représentant du Parti bourgeois démocratique (PBD), né d’une scission avec l’UDC, et par le socialiste Hans Stöckli.

L’UDC reste certes le premier parti de Suisse, mais elle a également perdu des plumes le 23 octobre au Conseil national (Chambre basse), régressant de 28,9 à 25,6% et perdant sept sièges. Cette défaite a remis en question les prétentions du parti, qui espère récupérer un deuxième fauteuil au Conseil fédéral (gouvernement) lors de l’élection du 14 décembre. Mais elle met également en évidence les faiblesses de la stratégie du parti, bâtie sur une polarisation marquée et la menace de passer dans l’opposition, dans un système politique où le consensus est roi.

Politologue à l’université de Zurich, Michael Hermann analyse les raisons de l’échec et les conséquences pour le futur du plus grand parti de Suisse. Entretien.

swissinfo.ch: L’UDC avait débuté sa campagne électorale en espérant atteindre au moins 30% des voix; résultat des courses, elle a perdu du terrain au détriment des nouveaux partis du centre et a échoué dans sa tentative de conquérir des sièges au Sénat. Que s’est-il passé?

Michael Hermann: Je crois que l’UDC a surestimé sa position. L’initiative sur les criminels étrangers a été interprétée comme un succès pour le parti, alors qu’elle n’a été qu’une victoire dans le cadre de cette thématique. Certains électeurs pensent que l’UDC met d’importantes questions sur la table mais qu’elle ne doit pas – en raison de son style – diriger le pays. Beaucoup de gens en ont assez de cette polarisation et de cette manière agressive de faire de la politique.

swissinfo.ch: Christoph Blocher a affirmé que le résultat des élections au Sénat sont une «conséquence logique d’une coalition anti-UDC». Y a-t-il eu une volonté des autres partis de se liguer contre l’UDC?

M.H.: Pas plus que par le passé. L’UDC sert toujours le même argument standard: la classe politique et les autres partis seraient tous unis pour lui faire barrage. En réalité, c’est une forte majorité du peuple qui n’a pas voté pour l’UDC. Et c’est problématique car l’UDC brandit toujours l’argument du peuple qui serait à ses côtés.  

swissinfo.ch: Que vont faire les dirigeants de l’UDC? Vont-ils devoir changer de stratégie?

M.H.: Oui, et ils sont déjà en train de s’y atteler. Leur stratégie concernant l’élection au Conseil fédéral a déjà été modifiée. Il y a deux ans, ils affirmaient ne vouloir présenter que des candidats de la ligne dure et se retirer dans l’opposition au cas où ils ne seraient pas élus. Ces menaces ont aujourd’hui disparu. La dimension psychologique de leur succès s’est envolée. Les partis du centre n’ont désormais plus peur d’eux.

Le parti se trouve dans une position difficile. Il pourrait certes devenir un parti conservateur traditionnel, en cherchant des consensus avec les autres partis et en devenant moins polarisé. Mais cela lui ôterait une grande partie du seul argument de vente qu’il possédait auparavant. L’UDC était le seul parti de droite non consensuel et déterminé dans ses positions. En se transformant en un parti normal, il encourt le risque de se distancer de sa base.

swissinfo.ch: L’UDC a-t-elle atteint ses limites? Que devrait-elle faire pour atteindre le seuil espéré des 30% de voix?

M.H.: L’UDC doit se trouver un leader fort. C’est le propre de tous les partis populistes européens d’avoir à leur tête un leader charismatique. Ce préalable est indispensable pour que l’UDC retrouve son assise populaire. Aujourd’hui, Christoph Blocher n’est plus en mesure de jouer ce rôle de leader charismatique.

swissinfo.ch: Ces résultats vont-ils mener à un changement à la tête du parti?

M.H.: Je ne connais pas les alternatives. L’omniprésence de Christoph Blocher, de ses positions et de son corpus idéologique, est le principal défi à relever pour le parti. Aucune autre personnalité de son envergure, et avec son indépendance, n’est à même de prendre la direction du navire. L’UDC peut compter sur un nombre important de membres, des soutiens importants, mais elle manque de personnalités fortes et indépendantes.

swissinfo.ch: La stratégie du non, en particulier par le lancement d’initiatives populaires, a-t-elle également atteint ses limites?

M.H.: Il serait stupide de croire que les initiatives et référendums de l’UDC n’auront plus de chance d’être acceptées dans le futur. Les choses peuvent changer très rapidement, et il y a toujours beaucoup de citoyens qui partagent les idées de l’UDC. Le changement se ressent surtout dans le rejet d’une certaine manière de faire de la politique.

swissinfo.ch: Le parti doit-il favoriser des candidats plus modérés pour espérer gagner des sièges au Sénat et au Conseil fédéral?

M.H.: C’est effectivement ce qu’ils devra faire, car il ne pourra plus jamais faire élire une figure polarisante. Une personnalité telle que le ministre de la Défense Ueli Maurer, connu comme un partisan de la ligne dure, ne serait plus élu au gouvernement aujourd’hui. L’UDC doit promouvoir des candidatures plus consensuelles et modérées. Mais je ne suis même pas sûr pour autant qu’elle obtienne son deuxième siège au gouvernement le 14 décembre prochain, car la composition du Parlement a été totalement chamboulée.

Il y a quelques années, l’UDC affirmait ne vouloir présenter qu’un certain type de candidats. Changer de posture maintenant, ce n’est pas vraiment crédible. De plus, l’UDC doit prouver qu’elle est vraiment prête à changer sa position et son style de faire de la politique. Si j’étais de l’autre côté, je refuserais de lui donner un siège gratuitement, sans assurances.

Chambre basse

Union démocratique du centre: 54 sièges (-8)

Parti socialiste: 46 (+3)

Parti libéral-radical: 30 (-5)

Parti démocrate-chrétien: 28 (-3)

Parti écologiste: 15 (-5)

Verts libéraux: 12 (+9)

Parti bourgeois-démocratique: 9 (+9)

Chambre haute

Parti démocrate-chrétien: 12 (-2)

Parti socialiste: 11 (+3)

Parti libéral-radical: 11 (-1)

Union démocratique du centre: 5 sièges (-2)

Parti écologiste: 2

Verts libéraux: 2

Parti bourgeois-démocratique: 1

Indépendant: 1

(Un 2e tour est encore agendé au 4 décembre dans le canton de Soleure)

L’Union démocratique du centre (UDC) est née en 1971 de la fusion du Parti des paysans, artisans et indépendants et des Partis démocratiques des cantons de Glaris et des Grisons.

Durant les années 1990, l’UDC a fortement progressé sous l’impulsion de son leader charismatique, le Zurichois Christoph Blocher, et est devenue lors des élections fédérales de 1999 la principale force politique du Parlement fédéral. Lors des élections de 2003 et 2007, elle s’est encore renforcée. En 2007, elle a atteint 29% des suffrages, ce qui en fait le premier parti de Suisse.

L’UDC se positionne clairement à la droite du spectre politique: moins d’Etat, collaboration restreinte avec l’Union européenne et durcissement du droit sur les étrangers et les requérants d’asile sont les points centraux de son programme.

Lors des élections fédérales du 23 octobre, le parti, qui visait la barre des 30% d’électeurs, n’a obtenu que 25,6% des voix, perdant 7 sièges au Conseil national (Chambre basse) et 2 au Conseil des Etats (Chambre haute). Sous la Coupole, l’UDC est désormais représentée par un ministre, 54 députés et 5 sénateurs.

(Adaptation de l’anglais: Samuel Jaberg)

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