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«L’UDC ne veut pas transformer Schmid en victime»

Spécialiste de la droite nationaliste, le politologue Oscar Mazzoleni voit dans l'«affaire Nef/Schmid» une bonne illustration de la nouvelle quête de profil de l'UDC (Union démocratique du centre / droite nationaliste). Interview.

Enseignant aux universités de Genève et Lausanne, le Tessinois est aussi l’auteur de l’ouvrage «Nationalisme et populisme en Suisse. La radicalisation de la ‘nouvelle’ UDC».

swissinfo: Le départ de Roland Nef permet-il à Samuel Schmid (ministre de la Défense) de souffler un peu?

Oscar Mazzoleni: Le départ de Roland Nef devrait faire diminuer la pression sur Samuel Schmid. Mais cela ne veut pas dire qu’il est tiré d’affaire. La suspension d’un mois imposée au chef de l’armée était déjà un désaveu à son encontre. Samuel Schmid a cherché une solution intermédiaire, mais il a aussi montré au grand jour ses propres difficultés.

L’affaire a également ouvert un débat sur la fonction d’un chef unique de l’armée, sur sa légitimité et sur les mécanismes de contrôle. Le chef de l’armée étant la cible des médias, c’est toute l’institution qui était affaiblie et remise en cause, puisqu’il la représente.

swissinfo: L’UDC a semblé hésiter à demander haut et fort la démission de Samuel Schmid. Comment l’interprétez-vous?

O.M.: Elle n’a pas réagi immédiatement, ni avec la vigueur qu’on lui connaissait. Le parti a dit, ou voulu faire croire, qu’il avait été surpris, comme tout le monde, par les révélations. Mais on peut aussi voir dans cette sorte d’hésitation la volonté de ne pas transformer Samuel Schmid en victime, ce qui avait été le cas avec Eveline Widmer-Schlumpf, qui avait dès lors attiré la bienveillance et les réflexes de protection.

Le parti vient de renouveler [après l’annonce de la démission de Roland Nef, ndlr] sa demande de démission de Samuel Schmid faite officiellement il y a deux jours et une bataille politique dans ce sens n’est pas exclue. Mais, à l’heure actuelle, l’attitude n’a rien de comparable avec les exigences posées ce printemps à Evelyne Widmer-Schlumpf.

En outre, l’objectif du parti est d’augmenter le nombre de ses mandats, à tous les échelons, locaux, cantonaux, fédéraux. Pour cela, il a besoin de coalitions, surtout pour le Conseil des Etats (Chambre haute du Parlement) et les exécutifs. L’UDC doit donc montrer qu’elle n’est pas seulement un parti d’opposition, un rôle qu’elle a elle-même voulu jouer pendant longtemps et qui fait désormais partie de l’argumentaire critique des autres partis.

swissinfo: C’est dans cette perspective que l’UDC a renoncé au référendum sur les accords bilatéraux?

O.M.: Je le pense, oui. Christoph Blocher a en quelque sorte payé sa dette aux milieux économiques. Le parti ne veut pas se profiler à l’excès comme «populiste», fer de lance d’une opposition intransigeante. L’UDC veut montrer qu’elle est capable de pragmatisme, de manière aussi à ne pas décevoir encore plus décevoir une partie de son électorat.

swissinfo: Il n’en demeure pas moins que Samuel Schmid n’a plus de parti fort…

O.M.: L’affaire Nef montre effectivement aussi, concrètement, ce que signifie, pour un conseiller fédéral, le fait de travailler sans l’appui d’un groupe parlementaire. Jusqu’ici, nous étions face à une nouveauté institutionnelle sans conséquence pratique. Maintenant, pour Samuel Schmid, c’est concret: aucun parti n’est prêt à le soutenir jusqu’au bout, par exemple lors d’une telle crise, gérée avec une grande difficulté, notamment du point de vue de la communication

swissinfo: L’UDC n’est-elle pas en crise, ou du moins affaiblie?

O.M: Cela dépend de ce que l’on entend par crise. Cela fait partie du jeu politique de dire que son adversaire est en crise une fois que des difficultés émergent!

L’UDC a évidemment intérêt à minimiser les effets des problèmes récents; au contraire, ses adversaires ont tout intérêt à les agrandir. Par ailleurs, une partie de ces adversaires ont eux aussi, actuellement, d’importantes difficultés, puisqu’ils disposent de ressources et de cohésion interne plus faibles que l’UDC!

swissinfo: Et la relève?

O.M.: Le problème de la relève dépend également de la manière dont les acteurs politiques essayent d’imposer leur point de vue dans la phase actuelle. Les élections du Conseil fédéral sont remplies d’exemples de noms que l’on a sortis du chapeau au dernier moment et qui se sont révélés, dans la fonction, avoir la carrure nécessaire.

De plus, l’UDC compte aussi de nombreuses personnalités moins connues, au profil peut-être moins acéré que celui d’un Christoph Blocher, mais qui pourraient assumer ce rôle.

Interview swissinfo, Ariane Gigon

Le commandant en chef de l’armée Roland Nef a annoncé vendredi qu’il quittait ses fonctions, après moins de 7 mois à ce poste.

Le Conseil fédéral (gouvernement) doit avaliser cette démission.

Roland Nef a été mis en cause pour avoir été l’auteur de «harcèlement obsessionnel» à l’encontre de son ex-compagne entre mars 2005 et septembre 2006. La victime avait déposé plainte pénale, classée, suite à un accord avec la plaignante. Un accord signé après la nomination de Roland Nef à la tête de l’armée.

Il est reproché au conseiller fédéral Samuel Schmid, ex-UDC désormais membre du nouveau Parti bourgeois démocratique (PBD), de ne pas avoir procédé à tous les contrôles nécessaires avant de choisir Roland Nef et de ne pas avoir informé ses collègues du gouvernement de la plainte pénale en cours, dont il était au courant.

Les Verts et l’UDC demandent la démission du conseiller fédéral. L’UDC a cependant attendu près de deux semaines avant de formellement exiger que son ex-conseiller fédéral s’en aille.

Sociologue et anthropologue licencié de l’Université de Lausanne, docteur en histoire contemporaine, Oscar Mazzoleni est chargé de cours aux Universités de Lausanne et de Genève.

Il est également responsable de l’Observatoire de la vie politique à l’Office de la statistique du canton du Tessin.

Spécialiste de la droite nationaliste suisse, il a publié «Nationalisme et populisme en Suisse. La radicalisation de la ‘nouvelle’ UDC», Lausanne, Presses polytechniques et universitaires romandes, 2008, 144 p. (coll. «Le Savoir suisse»), deuxième édition.

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