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«La France ne fait guère mieux»

Le durcissement de la situation en France donne bonne conscience à certains Suisses de l'Hexagone. Keystone

Les Suisses de France ne se montrent pas très surpris par le résultat du vote de dimanche sur l’expulsion des étrangers criminels. Certains soulignent que l’Hexagone s’apprête aussi à durcir sa loi sur l’immigration.

«Un mauvais vent souffle en Europe», se désole Bernard Comment, après le résultat du vote de dimanche sur les étrangers délinquants.

Le «triste» vote en Suisse s’inscrit dans un contexte plus large, estime l’écrivain, directeur de collection au Seuil: «L’atmosphère est épouvantable en Italie, et la France n’a aucune leçon à donner en matière de traitement des étrangers. En temps de crise, la bêtise va toujours dans le sens du rejet de l’étranger».

Ligue du Nord et Front National

«Malheureusement, poursuit Bernard Comment, la Suisse est désormais en pointe dans ce domaine, et l’Union démocratique du Centre (UDC / droite conservatrice) n’a rien à envier à la Ligue du Nord ou au Front National.»

Rares sont les Suisses de France à être surpris par le résultat d’hier. Première raison: après le «séisme» de l’an dernier sur les minarets, le vote de dimanche n’est, d’une certaine façon, qu’une réplique assez prévisible. Deuxième raison: l’opinion de Bernard Comment n’est pas représentative de l’ensemble des Suisses vivant en France. Et nombreux sont les expatriés qui ont approuvé l’initiative de l’UDC.

Soutien de l’initiative en France

Faute de statistiques précises, on en est réduit à de petits sondages, effectués ici ou là. «Samedi, lors de la réunion des présidents des associations suisses de l’Arrondissement de Paris (qui recouvre près de la moitié de la France), j’ai constaté que plus de la moitié d’entre eux soutenaient l’initiative, note l’architecte Serge Lemeslif, ancien président de l’association faîtière (UASF). Ici, l’initiative aurait sans doute recueilli plus de 53% des voix.»

Aline Messmer, présidente du Groupe d’études helvétiques de Paris, dresse un constat plus ou moins similaire. «Lors de nos réunions, j’ai tenté de montrer la différence entre l’initiative et le contre-projet du gouvernement, lequel s’opposait au renvoi automatique des délinquants étrangers. Certains membres ont été sensibles à cet argument. Pas tous. Les gens ne s’exprimaient pas volontiers sur ce sujet.»

Plutôt conservateurs

L’éloignement, visiblement, n’est pas synonyme de regard critique ou distancié. «Pour tout ce qui touche à la Confédération, les Suisses de France sont plutôt conservateurs, remarque Serge Lemeslif. Ils en ont une image assez idéalisée.»

«La France ne fait pas beaucoup mieux.» Tel est le credo repris en chœur par de nombreux Franco-suisses. «Si on leur proposait de voter sur cette question, les Français ne répondraient pas autrement», estime Martin Strebel, président de l’Union sportive suisse de Paris.

D’ailleurs, la France s’apprête à durcir la loi sur l’immigration. Les Français d’origine étrangère pourront être déchus de leur nationalité s’ils sont coupables de meurtre sur un agent de police. Les étrangers criminels pourront être renvoyés, mais seulement s’ils vivent sur le territoire français depuis moins de trois ans. «Une des différences majeures, c’est l’automaticité du renvoi que prévoit l’initiative de l’UDC», remarque Serge Lemeslif.

La démocratie directe en cause

C’est devenu presque une habitude. Après chaque votation – et chaque victoire de l’UDC – les Suisses de France passent leur temps à expliquer aux Français le sens de ces décisions populaires. Il faut nuancer les réactions trop violentes.

«Après le vote sur les minarets, une professeur de droit m’a dit, droit dans les yeux: ‘Ils sont vraiment trop bêtes, ces Suisses!’», rapporte Grégoire Dumazy, étudiant à l’Université Paris II. «Il faut bien reconnaître que la démocratie directe ne donne pas toujours de bons résultats.»

Les Suisses vivant en France sont sensibles à l’injustice de la «double peine». Peut-être parce que Nicolas Sarkozy avait fait de sa suppression, ou du moins de sa limitation, un titre de gloire. La double peine: c’est-à-dire le cumul pour les étrangers de la condamnation et du renvoi. «C’est un peu comme au football, quand un défenseur provoque un penalty et, de surcroît, reçoit un carton rouge», remarque Martin Strebel.

Les tensions des premiers siècles du christianisme

Ce dernier est très critique à l’égard des partis du centre-droit et de la gauche. «La votation d’hier me rappelle la campagne de 1992 sur l’adhésion à l’Espace économique européen. Alors que l’UDC remplissait des pages entières dans les journaux, les autres partis s’en lavaient les mains».

Martin Strebel souligne l’extraordinaire tremplin que ce vote représente pour l’UDC. «Le parti était plutôt dans une mauvaise passe électorale, notamment au niveau cantonal. Cette victoire va le relancer.»

«Quand je suis arrivé en Suisse en 1991, année du 700e anniversaire du Pacte du Grütli, j’avais remarqué la tendance de nombreux Suisses à considérer leur pays comme une île paradisiaque, susceptible d’être envahie par des hordes venues de l’étranger, note le Franco-suisse Rémi Gounelle, professeur d’histoire de l’Antiquité chrétienne à l’université de Strasbourg. L’UDC n’a fait malheureusement que renforcer cette idée. »

Le professeur ose un parallèle entre ces peurs très contemporaines à l’égard des étrangers et les tensions des premiers siècles du christianisme.

«C’est quand les chrétiens sont devenus plus visibles, au troisième siècle, qu’ils ont suscité le plus d’hostilité dans le monde gréco-romain. On rejette l’autre parce qu’il est différent et qu’il a acquis un certain niveau de visibilité sociale.»

L’initiative «Pour le renvoi» a été acceptée par 52,9% des votants.

Seuls cinq cantons l’ont refusée: Genève, Vaud, Jura, Neuchâtel et Bâle-Ville.

Le contre-projet à l’initiative a été refusé par 54,2% des citoyens.

Tous les cantons l’ont refusé.

Pas convaincus. Les Suisses de l’étranger – du moins ceux de huit cantons où leurs voix sont décomptées séparément – se sont montrés nettement moins convaincus par l’initiative de l’UDC que les Suisses de l’intérieur.

Même les Appenzellois. C’est à Appenzell Rhodes-Intérieures que la différence est la plus frappante. Seuls 39,3% des expatriés ont accepté l’initiative sur le renvoi, contre 65,7% des habitants du canton et 52,9% des Suisses dans l’ensemble du pays. Les Suisses de l’étranger d’Argovie, de Bâle-Ville, de Lucerne, de Saint-Gall et de Thurgovie ont également voté à contre-courant des majorités de oui enregistrées dans «leurs» cantons.

La déchéance de nationalité est étendue aux Français naturalisés depuis moins de dix ans et condamnés pour meurtres, et tentatives, sur des «personnes dépositaires de l’autorité publique» (gendarmes, policiers, pompiers…).

Des zones d’attente spéciales, à l’instar de celles existant dans les aéroports, peuvent être créées pour faire face à l’arrivée «d’un groupe d’au moins dix étrangers en dehors d’un point de passage frontalier en un même lieu ou sur un ensemble de lieux distants d’au plus dix kilomètres». La zone s’étend du lieu de découverte jusque la frontière la plus proche.

Un étranger, européen ou non, présent depuis plus de trois mois, mais moins de trois ans, pourra être reconduit à la frontière en cas de «menaces à l’ordre public» notamment pour des infractions de vols, de mendicité agressive ou encore dans le cas d’occupation illégale d’un terrain public ou privé.

Obligation, sauf raison humanitaire, de notifier une interdiction de retour sur le territoire français à un étranger qui s’y est maintenu au-delà du délai de départ volontaire.

La durée de la rétention administrative passe de 32 à 45 jours maximum. Le juge administratif se prononcera avant le juge judiciaire (juge des libertés et de la détention).

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