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«Le règlement, ça a toujours été un problème pour moi»,dit Mac Murphy

La prestation de Bernard Tapie est largement plus convaincante que l’adaptation et la mise en scène. Keystone

Standing-ovation quasi générale, mardi au Théâtre de Beausobre, pour conclure la première suisse de «Vol au-dessus d´un nid de coucou» millésime 2000. Dans le premier rôle: un débutant du nom de Bernard Tapie.

Amusant: la bonne société de Morges et environs s’est déplacée en masse pour se rendre au théâtre peut-être, mais surtout pour y voir l’Homme. Bernard Tapie, ex-golden boy, ex-ministre de la Ville sous François Mitterrand, ex-patron de l’OM, ex-tôlard. Et l’a applaudi, à tout rompre. Soit les mentalités ont changé, soit Bernard Tapie est vraiment très fort. La deuxième solution paraît plus crédible.

Après Paris, c’est donc en tournée que Bernard Tapie est Mac Murphy, le héros d’une pièce signée Dale Watermann d’après le roman de Ken Kesey, un héros rendu populaire notamment grâce à l’interprétation qu’en donna Jack Nicholson dans le film de Milos Forman (1975). Le débutant B.T. a donc une lourde tâche: gommer de nos mémoires l’antécédent Nicholson, et faire oublier qui il est réellement.

Premier challenge réussi. Rapidement, on évacue Nicholson et son bonnet pour s’intéresser à ce Mac Murphy franchouillard, meneur, grande gueule, gouailleur, hâbleur et indiscipliné. Portrait du personnage ou de l’interprète? Les deux, évidemment.

Et sur ce point-là, l’adaptateur Robert Cordier n’a rien fait pour lever l’ambiguïté: «Je suppose que chez les barges, il y a un barge dominant!» s’exclame Mac Murphy en déboulant chez les fous. «Avez-vous des ambitions présidentielles?» lui rétorque le chef des frappadingues. Et le héros de lui répondre: «Rassurez-vous, je ne pense pas prendre votre place parmi les malades». Ou l’art de souligner les choses.

De manière générale d’ailleurs, la prestation de Tapie, entouré de quatorze comédiens dont plusieurs aux personnalités certaines, est largement plus convaincante que l’adaptation et la mise en scène de la pièce, appuyées, qui n’hésitent pas à employer les ficelles de la démagogie et du boulevard.

«Tapie ne joue pas, il est lui-même, il fait du Tapie», a-t-on régulièrement lu et entendu à propos de son rôle dans «Vol au-dessus d’un nid de coucou». Une manière de saluer la performance tout en évacuant son talent d’acteur, pourtant incontestable. Etonnant de constater comme ce qui peut être un compliment à l’égard de certains (Gabin par exemple) devient une façon de se distancer face à d’autres.

Dans le cadre de la chanson ou du cinéma, on pourrait l’accuser, encore, de tricher. Avec le théâtre, c’est impossible: pas de trucages, ni de montage. Sur scène, Tapie est condamné… à l’honnêteté. Acceptons donc les faits: Mitterrand est mort depuis bientôt cinq ans et Bernard Tapie est comédien. Il y a des trucs comme ça, qui vous font subitement réaliser à quel point le temps passe vite.

«Vol au-dessus d’un nid de coucou», c’est l’histoire d’un sympathique réfractaire aux règlements, un délinquant mi-voyou, mi-rebelle, qu’on tente de dompter en jouant de prétextes fallacieux. Mais c’est également l’histoire d’un type qui croit en sa bonne étoile (une peine de six mois), et que sa bonne étoile abandonne abruptement (une lobotomie).

«J’ai essayé… parce qu’il faut toujours essayer. Et si ça ne marche pas, tu recommences encore et encore!» s’enflamme Mac Murpy-Tapie avant d’être transformé en légume. Accumulant le désamour d’une bonne partie des Français, le mépris des élites, la faillite, le déferlement médiatique, l’humiliation de la prison, tout être humain normalement constitué se serait retrouvé K.O., cassé, broyé, hébété… lobotomisé, en quelque sorte. Pas Tapie. On reste interloqué devant le culot du bonhomme, sa faculté d’encaisser les coups et de renaître ailleurs.

Bernard Léchot

«Vol au-dessus d’un nid de coucou», mise en scène de Thomas Le Douarec, à voir au Grand Casino de Genève les 5 et 6 décembre.

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