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‘Mein Kampf’, une farce qui tord le cou à Hitler

Bernard Escalon et Anna Pieri dans la pièce présentée à Genève.

A Genève, Frédéric Polier met en scène la pièce satirique de George Tabori, écrivain hongrois d'expression allemande.

Son spectacle se veut comme une mise en garde contre les dictatures qui pointent encore leur nez.

Pourquoi les auteurs germanophones font-ils courir les metteurs en scène romands? Sans doute parce que ces derniers trouvent chez les premiers une manière forte d’appréhender passé et avenir à la lumière de l’Histoire universelle. Une manière d’écrire radicale qui n’a pas son équivalent dans l’espace francophone.

Après Brecht, Dürrenmatt, Karl Kraus et Gerhart Hauptmann qui ont marqué de leurs griffes acérées cette saison théâtrale romande, voici donc, en guise de final, George Tabori.

Tabori est un écrivain européen dans le plein sens du terme: Hongrois de naissance, Britannique de passeport, Allemand d’expression. Ses racines plongent dans les combats du 20e siècle: la lutte interminable des hommes pour leur liberté.

Cette lutte, George Tabori (né en 1914, de parents juifs) va la gagner dans ses pièces de théâtre, dont on retiendra “Le Courage de ma mère”. Mais aussi et surtout “Mein Kampf (farce)”, un texte à l’humour abrasif qui peut être lu comme le pendant satirique du livre éponyme écrit par un certain Hitler.

Hitler justement que l’écrivain découvre un jour de 1933 à Berlin. Du potentat, Tabori gardera alors une image suffisamment caricaturale et ridicule pour en faire, des années plus tard, un histrion invétéré dans “Mein Kampf (farce)”.

Extrémismes politiques

Ecrite en 1987, cette pièce a été montée en Autriche, en Allemagne et en France, entre autres. Elle est actuellement présentée à Genève dans la mise en scène de Frédéric Polier. Lequel avoue l’avoir en tête depuis plus de dix ans.

«Je l’ai proposée, confie-t-il, à plusieurs théâtres romands qui l’ont refusée. Je suis heureux de pouvoir enfin la mettre en scène car je trouve qu’elle se projette dans le présent et reflète bien l’Europe d’aujourd’hui qui s’acoquine avec le fascisme».

Une mise en garde donc contre «les extrémismes politiques qui pointent encore leur nez, y compris chez nous, poursuit Frédéric Polier. Là-dessus, il y aurait des livres à écrire. La Suisse n’est pas exclue de certaines compromissions. Il suffit pour s’en convaincre de lire l’ouvrage de Jean Ziegler “La Suisse, l’or et les morts”».

Ancrée dans les années 1910, “Mein Kampf (farce)” se déroule dans un foyer pour sans-abri dirigé par Shlomo Herzl, un vieux juif généreux qui accueille avec amour et attention un jeune peintre sans talent et sans argent, dénommé Hitler.

«Une fable préventive»

Mais attention, ce n’est pas pour autant une énième histoire sur l’Holocauste. «C’est une fable préventive sur la naissance d’une dictature, de toutes les dictatures, avertit Frédéric Polier. A cet égard, la pièce est emblématique».

Quand l’histoire commence, Hitler n’est pas encore le monstre que l’on sait. Il en a le potentiel seulement. Mais ce potentiel va éclore à cause de Shlomo le juif qui par son aveuglement ouvrira la voie à tous les abus pratiqués ensuite par Hitler.

Très référencée historiquement, la pièce n’en demeure pas moins universelle par son message moral: la bonté mal placée est dangereuse. «On ne peut pas monter ce texte par dessus la jambe, observe Frédéric Polier. Il nous fallait, aux acteurs et à moi, respecter la satire de Tabori en évitant aussi bien les clichés sur le nazisme que les images d’archives et l’iconographie convenue».

swissinfo, Ghania Adamo

“Mein Kampf (farce)”, de George Tabori, mise en scène Frédéric Polier. A voir au Théâtre du Loup, Genève, jusqu’au 17 juin.

Metteur en scène romand, né en 1963.
Il joue, à ses débuts, dans plusieurs pièces de Shakespeare aux côtés de Valentin Rossier.
Fondateur de la compagnie Atelier Sphynx, il monte ensuite des spectacles remarqués, comme dernièrement “Le Maître et Marguerite” et “Dostoïevski à Cuba”.

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