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«Nous aimons parler de refondation d’Haïti»

Il faut tirer les leçons de ce drame et donc faire les choses différemment, reconnaît la ministre des affaires étrangères. swissinfo.ch

Membre fondateur de l’OIF, Haïti est un thème fort à Montreux après le séisme qui a frappé le pays en janvier. De quoi réjouir la ministre haïtienne des affaires étrangères Marie Michèle Rey, qui représente le président René Préval lors du sommet de ce week-end. Interview.

Les chefs d’Etat et de gouvernement de l’OIF réunis à Montreux ce week-end devraient adopter une résolution qui demande à tous les pays membres de venir en aide à Haïti.

Mais la Francophonie n’a pas attendu pour se confronter à ce chantier gigantesque, comme le confirme Marie Michèle Rey, qui fut aussi ministre des finances et de l’économie dans les années nonante.

swissinfo.ch: Quelle est votre analyse de la situation actuelle en Haïti après le séisme de janvier dernier?

Marie Michèle Rey: La situation en Haïti est toujours difficile, complexe, à plus d’un titre. Le tremblement de terre du 12 janvier a causé des dégâts énormes. Sur le plan des infrastructures, il y a d’énormes tâches à accomplir. Malheureusement, ce ne sont pas des choses qui vous pouvoir être réalisées du jour au lendemain – il y a eu tant de destructions.

Mais il est impératif de refaire, et de bien faire. C’est pourquoi nous aimons parler de refondation d’Haïti. Nous ne pouvons pas refaire les mêmes choses de la même manière. Il faut tirer les leçons de ce drame, d’où la nécessité impérieuse de faire les choses différemment.

Je souhaite aussi parler de la dimension humaine du problème. Les pertes en vies humaines ont été énormes. Comme je le dis souvent, on peut reconstruire, on ne peut pas refaire les êtres humains. Les survivants ont connu des traumatismes et des séquelles énormes. Cela va prendre du temps, à penser à guérir et à apprendre à vivre avec.

Mais nous avons une population en majorité jeune. J’aime en toutes circonstances faire un plaidoyer pour les jeunes, qui doivent assurer la relève de notre pays. Ils ont besoin d’accompagnement, de formation, d’éducation. Ce sont de gros défis que nous avons pour devoir, tous, de relever.

swissinfo.ch: Après la séisme, la Francophonie vous a-t-elle aidé, et si oui, comment concrètement?

M.M.R.: La Francophonie a été là dès les premières heures. Le Secrétaire général a mobilisé tout ce qu’il pouvait, tous les pays membres de la Francophonie.

Ils étaient sur le terrain, dans les situations d’urgence, ensuite, pour la continuité, avec des actions bien cadrées et ciblées, dans un esprit de respect et de coopération avec le gouvernement et le peuple haïtien.

Ils ont été là bien avant le séisme, puisque certains états membres de la Francophonie font partie de la MINUSTAH, qui est la force de stabilisation des Nations unies.

Ils nous accompagnent actuellement dans le processus électoral [élections présidentielles le 28 novembre prochain]. Je dirais donc que ce sont là des actions vraiment concrètes, sans compter les programmes d’éducation, de formation à distance, qu’ils continuent de mener.

La Francophonie est en train de réorganiser une équipe formelle, qui devra être sur place de manière définitive à travers une antenne [Antenne régionale pour les Caraïbes], comme cela était le cas il y a quelques années. Je crois donc que de ce point de vue là, nous avons été bien accompagnés par les pays membres de la Francophonie. C’est l’occasion pour moi de remercier tous ceux qui y travaillent, et en particulier le Secrétaire général, Monsieur Diouf.

swissinfo.ch: Mais voyez-vous des manques dans l’action francophone en Haïti?

M.M.R.: Je ne pense pas que nous soyons dans la situation de tirer des bilans, de dire ce que celui-ci ou celui-là aurait dû faire ou pas. Vous savez, quand on a connu un drame comme le nôtre, tout ce qui vient de manière spontanée est apprécié. Chacun a ses problèmes, et nous étions à mille lieues d’imaginer une catastrophe de cette envergure.

Je reconnais, et je ne suis pas la seule dans le gouvernement à le faire: le président, le premier ministre et chacun des ministres chaque fois qu’il a l’opportunité d’intervenir, reconnaît l’aide, le support que nous avons eu de la communauté internationale, dès les premières heures, les premiers jours, à un moment où nous étions complètement désarçonnés, démunis, K-O, sans communications, sans aéroport, les routes encombrées, des cadavres dans toutes les rues… C’était dur. C’était dur. Et nous remercions tous ceux qui étaient avec nous.

swissinfo.ch: Avec quoi souhaiteriez-vous quitter ce sommet de la Francophonie?

M.M.R.: J’ai été très satisfaite de la première partie de la rencontre, au niveau ministériel. Encore une fois, nous avons fait l’expérience dans toutes les rencontres auxquelles nous avons eu à participer que tout le monde est mobilisé sur le cas Haïti. Et ce ne sont pas que des vains mots. On sent que le souci de faire bien est là. Le souci de bien aider est là. Le souci d’aider autrement, également. Si nous continuons sur cette voie, je crois que nous réussirons à relever ce défi. C’est un long chemin à parcourir, mais ensemble, nous pouvons réussir.

swissinfo.ch: Lorsque vous dite «aider différemment», qu’entendez-vous par là?

M.M.R.: Les conséquences du 12 janvier ont été dramatiques. Ça a été comme un coup de fouet. Quelques semaines après, nous avons eu un tremblement de terre encore plus fort au Chili, et les pertes n’ont pas été les mêmes. Il y a donc eu des leçons à tirer, tant du côté haïtien que de ceux qui nous accompagnent sur le plan technique, financier, humanitaire. Nous avons donc pour devoir de faire différemment. Car cela veut dire que quelque part, quelque chose n’a pas marché. C’est la plus grosse leçon, au-delà du drame humain.

Haïti et sa capitale Port-au-Prince avant tout a été frappé par un séisme qui aurait fait plus de 250’000 morts et un million et demi de déplacés en janvier dernier.

Les pays donateurs ont annoncé fin mars à l’ONU des promesses de financement pour la reconstruction du pays à hauteur de 9,9 milliards de dollars. L’OIF note qu’actuellement, les décaissements des Etats ne sont pas à la hauteur des annonces.

Après des violentes intempéries, Haïti est actuellement confronté à une épidémie de choléra qui a déjà fait plus de 130 morts et qui toucherait 1500 personnes dans le Nord du pays.

Active depuis plus de 20 ans en Haïti, la Francophonie a mobilisé tous ses réseaux et opérateurs (TV5, Agence universitaire, etc) après le séisme et présenté fin mars une série de propositions qui s’inscrivent dans le plan d’action des autorités haïtiennes.

Elle attend maintenant que les Etats membres lui en donne les moyens. Pour autant les actions sur le terrain sont en cours.

La cible est double: renforcement des capacités des institutions, de la gouvernance et du secteur de la justice d’une part, aide à la refondation du système éducatif de l’autre.

Exemple d’actions, l’élaboration d’un guide du maître et la densification du réseau de Centres d’animation culturelle et de lecture (Clac).

Hormis la mise à disposition de deux fonds d’urgence, l’AUF va notamment prendre en charge une école doctorale et lancer une douzaine de campus numériques francophones.

TV5 appuie la télévision haïtienne et souligne pour sa part l’urgence à aider cette dernière à se reconstruire alors que les chaines diffusées sur place sont américaines, explique Marie-Christine Saragosse, directrice de TV5.

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