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«Nous nous tenons toujours entre les fronts»

Angelo Gnädinger: «le CICR ne capitulera pas devant la violence». Keystone

Depuis 140 ans, le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) s’engage pour les victimes de la guerre ou de la violence.

Depuis quelques années, il est souvent pris pour cible, comme lors des récents attentats de Bagdad. swissinfo a rencontré Angelo Gnädinger, directeur général du CICR.

Les attaques contre les délégations du CICR dans le monde font de plus en plus souvent les gros titres de la presse. En Afghanistan d’abord, puis récemment en Irak.

Désormais, il semble que l’indépendance et la neutralité du CICR ne suffisent plus à le protéger contre les attaques de tous bords.

L’organisation est présente en Irak, depuis 20 ans. Elle y a donc vécu la guerre contre l’Iran, la première guerre du Golfe, puis la seconde, qui a vu le régime de Saddam Hussein renversé par les Américains et leurs alliés.

swissinfo: Après le dernier attentat de Bagdad, le CICR a décidé de suspendre provisoirement ses activités en Irak. Est-ce une capitulation devant la violence?

Angelo Gnädinger: Non. On ne peut pas parler de capitulation! Mais de violence, ça oui. Et nous ne l’affrontons pas seulement en Irak. Cet été, par exemple, nous avons vécu des jours très critiques au Liberia.

Nous sommes présents dans pratiquement toutes les zones de tensions du monde, que ce soit en Colombie, au Libéria, dans la région d’Aceh en Indonésie et, bien sûr, en Irak.

La violence que nous y rencontrons est réelle et nous devons la prendre au sérieux. Mais nous restons très motivés et très actifs.

Si vraiment nous ne sommes pas acceptés et que nous devons fermer un bureau, alors nous le faisons. Mais ce n’est pas une manière de fuir nos responsabilités, ni d’oublier notre mandat.

Dans ces cas, nous devons trouver de nouveaux moyens de remplir notre mission malgré tout.

swissinfo: Désormais, c’est le CICR lui-même qui est pris pour cible. Peut-on dire que la «guerre contre le terrorisme» lancée après les attentats du 11 septembre a compliqué sensiblement votre tâche?

A. G.: Aujourd’hui, on est de plus en plus confronté à des situations de guerre asymétriques. Vous avez des Etats (et leurs armées) qui luttent contre des nébuleuses, des groupes diffus, aussi difficiles à cerner qu’à contacter.

Nous devons donc trouver les moyens d’expliquer clairement notre mission à ces groupes. En insistant sur le fait que, par définition, nous sommes neutres et indépendants et que nous travaillons toujours entre les fronts.

Car aujourd’hui, des Etats ont tendance à nous considérer comme leur allié et d’autres comme leur ennemi. Le nouveau défi du CICR, c’est de faire comprendre que nous ne sommes ni l’un ni l’autre.

swissinfo: Diriez-vous que les Conventions de Genève sont de moins en moins respectées?

A. G.: Non. A tout le moins, les attentats terroristes ont eu pour effet que l’on parle davantage de ces conventions.

De plus en plus de gens sont au courant du contenu de ces textes, à commencer par ceux qui sont le plus directement concernés. Et ils se battent davantage pour faire respecter leurs droits et ceux des populations civiles.

Bien sûr, les Conventions de Genève ont été formulées en Occident, mais les valeurs qu’elle défendent sont universelles et largement admises par la communauté internationale.

Le droit humanitaire est comme un rempart entre la civilisation et la barbarie et on assiste actuellement à une «guerre totale» visant à abattre ce rempart.

swissinfo: Justement, que répondez-vous à ceux qui exigent que l’on reformule les Conventions de Genève à cause de leur origine trop occidentale?

A. G.: Pour moi, ces textes n’ont pas besoin d’être totalement réécrits. Mais nous avons effectivement besoin d’un large débat sur la pertinence du droit humanitaire.

Et celui-ci ne doit pas impliquer uniquement les militaires et les groupes armés, mais également le monde politique et la société civile. Nous avons besoin de gens qui s’engagent pour que notre travail soit possible.

Prenez le cas de l’Irak. C’est un pays que nous connaissons relativement bien. Et nous pensions que nous y étions bien connus. Et bien malgré cela, nous allons devoir à nouveau expliquer ce que nous y faisons.

Nous devons apprendre à adapter nos vieilles structures d’inspiration occidentale. Car aujourd’hui, pratiquement la moitié de nos activités ont pour théâtre le monde musulman.

Les conflits actuels sont fortement marqués par l’idéologie ou la religion. Mais pour ma part, je pense qu’il s’agit en fait de conflits de souveraineté. C’est une des conséquences de la globalisation et des mouvements de résistance qu’elle engendre.

D’autre part, on voit de plus en plus les militaires essayer d’intégrer la dimension humanitaire à leur action. C’est nettement le cas en Afghanistan et cela devient problématique. Car le CICR ne peut pas être au service d’une armée.

Attention, je ne veux pas dire que les militaires ne doivent avoir aucun égard pour les populations civiles. Les Conventions de Genève sont là pour leur rappeler les devoirs d’une force d’occupation.

swissinfo: Que peut faire le CICR quand un pays comme les Etats-Unis pose ses propres règles humanitaires, comme dans le cas des prisonniers de Guantanamo?

A. G.: Nous faisons là-bas ce que nous faisons dans les autres situations de conflit. Nous avons accès aux prisonniers et ils peuvent contacter leurs familles par notre intermédiaire.

Mais la question de leur statut n’est toujours pas réglée. Et nous tenons beaucoup à ce que cela se fasse. Chacun de ces 660 prisonniers a droit à un statut légal et cela est particulièrement urgent pour les plus jeunes d’entre eux.

swissinfo: Angelo Gnädinger, vous travaillez maintenant depuis presque 20 ans pour le CICR. Personnellement, qu’est-ce qui vous motive encore face à ces vagues de violence?

A.G.: Comme je ne suis plus directement actif sur le terrain, les choses sont parfois plus difficiles. Mais il suffit que je visite une de nos délégations pour que tout redevienne clair.

Ainsi, j’étais récemment à Kaboul, où le CICR soutient les soins orthopédiques pour les blessés de guerre depuis presque 20 ans. Et nos gens accomplissent là-bas un travail fantastique.

Ce genre de choses suffisent à entretenir une motivation.

Interview swissinfo, Rita Emch
(Traduction et adaptation, Marc-André Miserez)

– Fondé en 1863 par le Suisse Henry Dunant, le mouvement de la Croix-Rouge est aujourd’hui chapeauté par deux organisations qui ont toutes deux leur siège à Genève.

– Le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) a pour mission de protéger les victimes des conflits et de promouvoir le droit humanitaire.

– La Fédération internationale des Sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge (FICR) regroupe les sociétés nationales, dont le but est de fournir de l’assistance aux victimes de catastrophes et d’améliorer les conditions générales de santé.

– Dès mardi et jusqu’à la fin de la semaine, la FIRC tient à Genève sa 28e Conférence annuelle, sur le thème «Protéger la dignité humaine».

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