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«Skinhead Attitude» enseigne la tolérance

Deux skins antiracistes de Montréal. Image tirée du film "Skinhead Attitude"

Le documentaire de Daniel Schweizer sur l’histoire méconnue des skinheads entame sa tournée en Suisse alémanique, après avoir remporté un joli succès en Romandie.

Ce film casse en effet les clichés du skinhead forcément facho: une bonne moitié d’entre eux sont antiracistes et de gauche.

Après sa tournée romande, «Skinhead Attitude» sort ce jeudi sur les écrans suisses alémaniques. Le film a déjà remporté un bon succès public pour un documentaire.

C’est que le sujet intrigue. Pensez-donc, un film qui parle aussi des «gentils skinheads», les skinheads traditionnels, plutôt de gauche et surtout antiracistes.

A l’opposée par exemple des «hammerskins», une faction radicale d’obédience américaine, prônant le «White Power» qui fut le sujet du film «Skin or die» (1998), également signé Daniel Schweizer.

Ce film, largement diffusé par les TV européennes a fait réagir les skins traditionnels. Ils se sont plaints «que les médias ne parlaient jamais d’eux», raconte le cinéaste.

«La presse s’est focalisée sur les skinheads néo-nazis, alors qu’ils ne sont apparus que tard dans l’histoire du mouvement, poursuit le réalisateur. Mais on n’a parlé ni de la résistance des skinheads antiracistes, ni des redskins communistes, tels qu’ils existent en Allemagne, en France et en Suisse, ou des skinheads anarchistes.»

Et quand environ 2000 skinheads de gauche se réunissent chaque année à l’Usine de Genève, personne n’en parle. Les médias et le public préfèrent se contenter d’une image diabolisée et figée du skinhead.

Plongée musicale dans l’histoire skin

Le cinéaste a donc décidé de raconter l’histoire complète de cette contre-culture. Avec deux fils conducteurs: la musique et Carole, une jeune skin traditionnelle française qui le conduira partout, d’Europe aux Etats-Unis.

Images d’archives et témoignages actuels nous apprennent que le mouvement a émergé en Angleterre, à la fin des années 60. Et c’est le ska, dérivé du reggae inventé par un musicien noir, Laurel Aitken, qui va d’abord réunir des jeunes prolétaires blancs et jamaïcains.

Ensemble, ils refusent les valeurs dominantes: argent et réussite. Ils adoptent un look provocateur, chahutent le bourgeois et cultivent la fraternité à grandes rasades de bière.

«Etre skinhead, c’est danser plus fort que tout le monde. Mais surtout être antiraciste», raconte un vétéran, Buster Bloodvessel du groupe Bad Manners.

Le mouvement va ensuite se radicaliser avec la crise et l’émergence du mouvement punk, à la fin des années 70. Comme ultime signe de provocation envers leurs parents, les punks seront les premiers à arborer des croix gammées sur leurs T-shirts.

A la même époque, Screwdriver, ancien groupe punk, crée la cassure, musicale d’abord. Avec «Oï!», les skinheads ont trouvé leur musique: le white noise. Puis, les paroles de Ian Stuart, leader au nationalisme exacerbé, vont dériver vers un style néo-fascisant: ultra-violence et racisme.

Soutenu par le British National Party et le National Front, Screwdriver est mis au ban de l’industrie musicale. Il crée alors le mouvement Blood&Honour, financé par les disques et T-shirts.

Le White Power était né. Et en réaction, des factions antiracistes, dont le SHARP (Skinhead Against Racism) est le fer de lance. Dans chaque camp, les têtes sont mises à prix par l’autre bord.

Une lutte fratricide

Cette polarisation perdure d’ailleurs entre skinheads d’extrême droite et ceux qui sont restés fidèles aux origines. Avec, au centre, une frange de skinheads apolitiques, les «fashion skins».

Les skins traditionnels sont pourtant aussi nombreux que les néo-fascistes, selon le réalisateur qui enquête dans ces milieux depuis 1996.

Les extrémistes de droite ont toutefois gagné la bataille médiatique. «Ce sont aussi les plus agressifs et les plus dynamiques», analyse Daniel Schweizer.

Il clôt d’ailleurs son film sur une anecdote qui illustre cette guerre fratricide. A Los Angeles, Carole découvre que, cinq ans plus tôt, deux skinheads antiracistes ont été abattus dans le désert par un groupe de nazis-skins.

Le réalisateur conclut en voix off sur une note des plus pessimistes: «Les fils de Caïn sont revenus, alors que les antiracistes n’ont pas laissé d’héritiers».

Boucler la boucle

Daniel Schweizer repart d’ailleurs de ces dernières images américaines pour entamer la suite de sa trilogie. Elle sera consacrée au White Power, mouvement américain ségrégationniste et «suprématiste». Inspiré par le national-socialisme européen, cette idéologie est en train de revenir en Europe.

«La Scandinavie et les anciens pays de l’Est sont considérés comme les derniers bastions de la survie de la race blanche. Aux Etats-Unis, vu le métissage et l’évolution démographique, l’homme blanc devient une minorité.»

Et des gens comme David Duke, un ancien du Klu Klux Klan, ont des contacts réguliers avec des mouvements ultra-nationalistes russes.

Le réalisateur a d’ailleurs commencé son tournage en décembre dernier, lors du plus grand rassemblement néo-nazi de l’après-guerre (2000 personnes), dont personne n’a parlé.

A ce désintérêt médiatique, plusieurs explications: après l’interdiction en Allemagne de Blood and Honour, ces groupes radicaux se sont retirés dans la clandestinité. Ils ont aussi compris que la médiatisation de certains rassemblements les gênaient.

«Ils n’en continuent pas moins à se structurer», prévient Daniel Schweizer.

swissinfo, Anne Rubin

Sorti fin novembre sur les écrans romands, le film a rencontré un bon succès public pour un documentaire.
Il amorce sa tournée en Suisse alémanique dès le 4 mars.

– Skin Attitude (2003) a demandé un an de préparation, un an de tournage et huit mois de montage.

– Daniel Schweizer avait approché ces milieux dès les années 96-97, pour tourner «Skin or die» (1998).

– Il est depuis resté en contact avec certains groupes et a ainsi pu s’introduire dans les milieux les plus extrêmes, de droite comme de gauche.

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