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A Genève, l’OMC passe un test démocratique

Keystone

Les citoyens de Genève votent aussi dimanche sur un projet d'extension du siège de l'OMC. Consultatif, ce scrutin peut sérieusement porter ombrage au projet, en cas de vote négatif, et porter atteinte à la crédibilité de la Suisse auprès des organisations internationales.

«Accorder une faveur à l’OMC? Non merci». Dans un éditorial paru ce samedi, Le Courrier – seul quotidien de gauche de Suisse romande – tire une dernière cartouche contre le projet d’extension du siège de l’OMC.

Rachad Armanios, l’auteur du commentaire, assène: «On a affaire à une organisation qui a abusé de sa capacité de nuisances en mettant à genoux des millions de paysans et d’ouvriers (…) Refuser l’extension, c’est sanctionner l’arrogance et la politique de l’OMC tout en signifiant aux autorités que les parcs ont d’autres vocations que d’accueillir des bureaux.»

Un thème politique présent en arrière-plan de la campagne. «Les partisans du projet ont bien pris soin d’expliquer que ce n’est pas l’OMC qui fait l’objet du vote. Il concerne uniquement un projet d’aménagement », relève le consultant François Nordmann, ancien diplomate suisse.

De son coté, Yves Lador nuance cette appréciation. «La question de la protection des parcs publics est à bien des égards un prétexte pour mener une action contre l’OMC. Du coté des partisans du projet, ce vote a été transformé en une sorte de plébiscite en faveur de la Genève internationale. Résultat: un peu comme le referendum européen en France, les messages lancés durant la campagne ne portent pas toujours sur l’objet du vote», estime ce consultant genevois spécialisé dans les droits humains.

Une organisation contestée

De fait, l’OMC n’est pas n’importe quelle organisation internationale. «C’est la seule organisation internationale à avoir suscité des groupes organisés d’opposants», souligne Yves Lador, en référence au mouvement altermondialiste.

Et d’ajouter: «Certes, l’OMC a évolué dans son discours. Mais pas vraiment dans les faits. Ce n’est d’ailleurs pas l’Organisation mondiale du commerce, mais l’Organisation mondiale de promotion du libre-échange. Cet objectif figure en toute lettre dans les statuts de l’OMC.»

Cela dit, Yves Lador estime que c’est une chance d’avoir l’OMC à Genève, parce qu’elle se trouve au milieu d’autres organisations internationales travaillant dans des domaines touchés par les règles de l’OMC, que ce soit la CNUCED, le BIT ou l’OMS.

«L’objectif à long terme poursuivi par un certain nombre d’ONG, explique le consultant, est de réintégrer l’OMC dans la famille des Nations Unies, alors que l’OMC fonctionne aujourd’hui de manière autonome, sans avoir de compte à rendre en matière environnementale, sociale ou sur les droits de l’homme.»

Une libéralisation négociée

Réponse de l’OMC: «Il est vrai que l’un des principes qui sous-tend le système de l’OMC est d’amener les pays à réduire leurs obstacles au commerce et à libéraliser les échanges. Quant à l’ampleur de la réduction de ces obstacles, c’est une question que les pays membres négocient entre eux. Le rôle de l’OMC est de servir de cadre à la négociation de la libéralisation. Elle fixe également les règles régissant le déroulement de la libéralisation», précise l’organisation dans son argumentaire.

Une appréciation que partage l’ancienne présidente de la Confédération Ruth Dreifuss, sortie de sa réserve pour défendre le projet d’extension. «Si l’argument de la protection du parc est facile à combattre, celui d’une opposition de principe à l’OMC l’est tout autant. Cette organisation reste le lieu où peuvent se régler certains conflits entre des Etats riches et des pays en voie de développement, souvent à l’avantage de ces derniers», souligne la socialiste genevoise dans un récent entretien accordé au quotidien Le Temps, en faisant référence à l’Organe de règlement des différents, le tribunal de l’OMC.

Un aimant pour la Genève internationale

Reprenant l’argument phare des nombreuses personnalités qui se sont mobilisées en faveur de l’extension de l’OMC, le genevois François Nordmann souligne l’importance de cette organisation pour Genève et l’ensemble de la Suisse.

«C’est l’OMC qui a relancé la Genève internationale, rappelle l’ancien diplomate. Avec cette organisation, le commerce international a cessé d’être l’affaire de quelques pays pour devenir une question quasi universelle.»

De fait, 153 pays sont membres de l’OMC et une vingtaine d’autres Etats sont candidats. «Si à l’époque (1995), Genève n’avait pas obtenu ce siège, son volet international aurait certainement décliné. L’OMC a poussé toute une série de pays à établir à Genève des missions permanentes», ajoute François Nordmann.

L’impact d’un NON

Reste à savoir quel impact aurait un vote négatif ce dimanche. Techniquement, les citoyens de la ville de Genève se prononcent sur un référendum lancé contre le préavis positif donné par la municipalité sur le projet d’extension du siège de l’OMC. Municipal, ce scrutin n’est que consultatif. Mais le canton de Genève ne pourra pas ignorer un vote négatif quand il décidera de donner ou non son feu vert, une décision également soumise à référendum.

Quoi qu’il en soit, François Nordmann ne croit pas qu’un vote négatif incitera l’OMC à quitter les rives du Léman. «L’OMC n’a pas brandi cette menace. Si ce projet n’aboutit pas, on cherchera une autre solution.»

Dans un entretien accordé ce lundi à la Tribune de Genève, le patron de l’OMC n’est pas aussi catégorique. «Beaucoup de pays aimeraient avoir l’OMC (…) Nous avons un désir fort de rester à Genève (…) Mais il est certain que nous avons besoin de places de travail en plus dont nous ne disposons pas dans notre siège datant de 1926.»

Vice-président du Grand conseil (parlement cantonal de Genève), Guy Mettan estime, lui, qu’un non marquerait le début du déclin pour la Genève internationale. «Un tel vote entamerait la crédibilité de Genève et de la Suisse vis-à-vis des organisations internationales.»

Un point de vue partagé par Yves Lador: «Tout ce qui touche l’OMC est suivi de très prêt par ses pays membres. Un refus par les Genevois sera perçu par les diplomates présents à Genève et les chancelleries comme un signe négatif à l’égard de l’ensemble des organisations internationales installées à Genève. Ce qui pourrait susciter un nouvel élan des villes qui désirent accueillir l’OMC, voire d’autres organisations internationales.»

Et le consultant d’enfoncer le clou: «Un vote négatif serait aussi malvenu pour la Suisse qui n’est pas dans la meilleure position possible sur la scène internationale. »

Frédéric Burnand, Genève, swissinfo.ch

Referendum. Le 27 septembre, les électeurs de la Ville de Genève décident s’ils sont favorables ou non à l’extension du siège de l’OMC. Un référendum a été lancé contre le préavis positif donné par la municipalité.

Majorité. La plupart des partis genevois et la Confédération, qui soutient financièrement le projet de rénovation et d’extension du Centre William-Rappart, siège de l’OMC, à hauteur de 65 millions de francs, sont en faveur du projet.

Extrême-gauche. Combattu par l’association Action patrimoine vivant, ce projet prévoit notamment la construction d’un nouveau bâtiment dans le parc Barton, au bord du lac Léman. Le référendum lancé par l’association a été soutenu par l’extrême-gauche genevoise.

Domaine public. Les opposants considèrent que ce projet va dénaturer le parc. Ils estiment aussi que les normes de sécurité des organisations internationales vont empiéter sur le domaine public, restreignant l’accès aux rives du Léman et ouvrant ainsi la porte à une privatisation des lieux.

Besoins. Ces arguments sont rejetés par les partisans du projet. L’extension du bâtiment ne portera pas atteinte au parc car elle sera construite sur un parking. Grâce à cet agrandissement, le siège de l’OMC disposera de suffisamment de place pour couvrir ses besoins jusqu’en 2040, selon l’OMC.

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