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A Genève, les gardiens de prison sont débordés

Keystone

La prison de Champ-Dollon a passé le cap des 500 détenus à mi-janvier. Le personnel a dû menacer de se mettre en grève pour obtenir une compensation face à la dégradation de ses conditions de travail. Visite guidée.

«Surpopulation = Ras le bol!» Accrochées à la clôture extérieure de la prison, des banderoles mettent le visiteur dans l’ambiance. «Agressions, bagarres, notre travail est de plus en plus difficile et nous exigeons une reconnaissance», explique l’un des gardiens du poste d’entrée.

Ces derniers mois, ils ont par deux fois bloqué l’accès de la prison pour obtenir des augmentations de salaires et d’effectifs. Mais, satisfait des entretiens de ce mardi, le syndicat «enterre la hache de guerre». Il précise que l’exécutif doit signer un protocole d’accord la semaine prochaine.

De son côté, Laurent Moutinot, magistrat en charge au sein du gouvernement cantonal, s’est refusé à commenter le communiqué syndical sur l’accord trouvé avec les gardiens.

Mais jeudi soir devant le Grand Conseil (parlement), il devra répondre à une interpellation urgente sur ses recettes pour remédier à la surpopulation carcérale.

Un seuil psychologique

En moyenne, 456 détenus vivent dans cette «prison-modèle» construite en 1977 pour… 270 individus. «Quand on dépasse les 500 détenus, on franchit un seuil psychologique, explique Constantin Franziskakis, directeur de Champ-Dollon. C’est une prison préventive et nous avons 1500 mouvements de détenus par mois.»

Il reconnaît que «les conditions se dégradent». Jusqu’à sept personnes se partagent une cellule de cinq, voire de trois.

Pour la journaliste, impossible de visiter ou de parler aux détenus, sécurité oblige. Mais le gardien ouvre une cellule vide du quartier des femmes, avec lit superposé sans sommier et mini-WC.

Ensuite, la visite consiste à le suivre dans des couloirs et des ateliers vides. Tout le monde est en cellule. De la terrasse du toit, on aperçoit tout en bas, dans une cour grillagée, trois jeunes femmes «en promenade». Aux fenêtres, des hommes les interpellent ou discutent, formant un brouhaha dominé par les accents africains.

«Ajoutée au fait que la majorité des détenus vivent dans l’attente d’un jugement, l’incertitude et l’inaction (il n’y a que 140 places dans les ateliers d’occupation), cette promiscuité est problématique», ajoute M. Franziskakis.

«Il y a 25 ans, c’était de vrais truands et leur violence se dirigeait contre nous, témoigne Michel Demierre, gardien-chef. Aujourd’hui, avec la drogue, tout a changé et la violence se cristallise entre ethnies.» Près de 70% des détenus sont des étrangers non domiciliés en Suisse.

«C’est très difficile de faire cohabiter des Africains, des Arabes et des Albanais. Il suffit d’un rien pour provoquer une bagarre», ajoute Michel Demierre.

Une grande frustration

Un autre gardien ajoute: «Il y a une grande frustration. Certains se sentent incompris et dérapent. Essayez de raisonner quelqu’un qui essaie de se taillader au rasoir, lui ou son voisin… ou le gardien. Il faut avoir le cœur solide et l’estomac, parfois.»

«La surpopulation est affolante. En 1977 les détenus souffraient d’isolement, maintenant c’est le contraire», confirme Jean-Marie Crettaz, avocat. Nombre de rapports d’experts relèvent que la justice genevoise recourt trop souvent à la préventive et pour de trop longues durées. Par ailleurs, des détenus se sont plaints de mauvais traitements et d’insultes racistes.

«Le comportement du gardien joue un grand rôle, relève encore un surveillant d’une autre prison genevoise. Je crois que les gardiens de Champs-Dollon ne sont pas assez formés. En plus, ce sont des policiers et ce ne sont pas des tendres.»

Un reflet de la société

Multiculturalité, précarité, chômage, la violence gratuite augmente en général. «Une prison, c’est le reflet de la société», remarque Constantin Franziskakis.

Genève doit aussi compter avec la proximité de la frontière et de la délinquance française. Il y a aussi la récidive et les atteintes à la loi sur le séjour des étrangers. «Je rencontre chaque jour dans la rue des petits délinquants que j’ai vus en prison.

D’autre part, avec Schengen et la suppression des contrôles douaniers, la police passe son temps à les arrêter et à les ramener à la frontière. Bref, ils rentrent et ils sortent de Champ-Dollon», commente un gardien.

Le problème des cas psychiatriques

Enfin, il y a les détenus souffrant de troubles psychiques: «Nous ne sommes pas formés et nous manquons de moyens pour répondre à leurs besoins», reconnaît le gardien-chef Michel Demierre.

«On a fermé les asiles et les cas psychiatriques sont incarcérés avec les autres détenus, ce qui a provoqué une sorte de pénalisation du champ médical», explique de son côté Constantin Franziskakis.

Heureusement, le parlement cantonal devrait approuver bientôt le budget de construction de «Curabilis», premier établissement de Suisse conçu pour des détenus ayant commis des délits en rapport avec leur état mental. Dans le périmètre de Champ-Dollon, l’établissement offrira 62 places d’ici à 2012.

En attendant, le quartier des femmes est réorganisé pour récupérer une douzaine de places, il est aussi question d’installer des lits supplémentaires à La Brenaz… Bref, on bricole.

swissinfo, Isabelle Eichenberger

En 2008, 2652 détenus (dont 148 femmes) ont séjourné à Champ-Dollon.

67,3% étaient des étrangers résidant à l’étranger, 58,5% des musulmans.

52,2% ont entre 20 et 29 ans.

25% sont libérés dans les 8 jours

Le nombre total de nuitées a atteint 167’264.

Cette «prison modèle» a remplacé en 1977 la prison préventive de St-Antoine, datant de 1711. Elle emploie 240 collaborateurs.

Un détenu coûte 260 francs par jour à l’Etat.

Elle compte 188 cellules et est conçue pour 270 détenus.

108 nationalités – parlant au moins 60 langues – y sont représentées.

Ses ateliers offrent 140 places. La majorité des détenus passent 23 heures sur 24 en cellule.

Elle enregistre entre un et quatre suicides par an.

En 1983, Licio Gelli, dirigeant de la Loge maçonnique italienne P2, s’était évadé avec l’aide d’un gardien. Sinon, pas d’évasion réussie depuis août 2001.

Alors que les Suisses doivent voter sur l’extension de la libre circulation avec la Roumanie et la Bulgarie, les ressortissants de ces deux pays peuvent déjà (depuis 2004) venir en Suisse pour trois mois.

En 2008, aucune augmentation de la criminalité n’a été relevée dans ce groupe et le nombre de Roumains dans les prisons suisses représentait 0,5% de l’ensemble des détenus.

Champ-Dollon n’a abrité qu’une bonne soixantaine de Roumains, et une quinzaine de Bulgares.

«Je suis devenu surveillant par hasard, car j’étais au chômage et j’ai été attiré par une offre d’emploi», explique Christian (prénom fictif).

«Je n’aurais jamais pensé faire ce métier, mais je vais continuer: c’est intéressant, varié, avec des horaires irréguliers. Il faut être calme, ouvert aux autres. C’est dangereux et parfois pesant, mais je n’ai pas peur.»

«Le pire, c’est de ne pouvoir raisonner quelqu’un qui perd les pédales et, bien sûr, les suicides, heureusement rares. Le meilleur, c’est la camaraderie avec les collègues.»

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