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A Morat, le cannabis fleurit en zone grise

Plantation de cannabis sur le domaine de Prehl près de Morat. chanvre-info

En Suisse, le marché du chanvre pèse environ 1 milliard de francs par an. Ce qui n'a pas empêché le Parlement d'éluder le débat sur la dépénalisation du cannabis.

Pour le chanvrier André Fürst, c’est une illustration de l’hypocrisie du système. Reportage.

Nul doute n’est permis en arrivant sur l’exploitation agricole d’André Fürst sur les hauts de Morat.

D’immenses panneaux d’affichages le revendiquent haut et fort: ici, on cultive et on exploite le chanvre sous toutes ses formes. Et les limites en THC (substance active psychotrope) imposées par les autorités ne sont pas de nature à intimider le propriétaire.

«En Suisse, la situation des chanvriers est totalement absurde, déclare André Fürst. L’Office fédéral de l’agriculture subventionne, à raison 1500 francs par hectare, la culture du chanvre industriel pour autant que sa teneur en THC ne dépasse pas 0,3%. Mais ce produit n’a quasiment pas de débouché.»

«En revanche, poursuit d’André Fürst, un chanvre à plus haute teneur en THC offre de multiples possibilités de transformation. Et pour celui là, il existe un énorme marché.»

La fumette paie bien

André Fürst exploite le chanvre sous toutes ses formes. Non content de le cultiver, son entreprise ‘Chanvre-Info’ a développé une unité de recherche et de fabrication de fibres textiles, de matériaux de construction ou d’aliments.

Elle exploite également deux magasins en Suisse où elle commercialise toutes sortes de produits à base de chanvre.

En 2002, l’entreprise a réalisé un chiffre d’affaires de plus de deux millions de francs. Mais ce n’est pas la vente de vêtements ou de produits cosmétiques qui rapporte gros.

De l’aveu même de son patron, ce sont avant tout les ‘produits thérapeutiques’ qui rapportent le plus. Autrement dit, ceux qui partent…en fumée.

«Le rendement à l’hectare du chanvre récréatif vendu au détail avoisine le million de francs», admet André Fürst.

La loi du rendement

A ce chiffre, il faut encore ajouter la vente de tous les produits dérivés tels que les huiles essentielles et autres produits cosmétiques.

«Les huiles essentielles issues d’un chanvre à haute teneur en THC rapportent quelque 30’000 francs par hectare», précise le chanvrier.

Selon lui un hectare de chanvre industriel produit 2 litres d’huiles essentielles alors que, pour une même superficie, le rendement des plantes non homologuées avoisine les 20 litres.

André Fürst ne s’en cache d’ailleurs pas. Sur son domaine, il cultive au moins un demi-hectare de chanvre contenant jusqu’à 6% de THC.

«L’exploitation de cette parcelle rapporte plus que les 20 autres hectares de terre agricole que compte mon domaine», affirme le moratois.

Une économie souterraine

Et le patron de ‘Chanvre-info’ n’est pas le seul à contourner la loi. Selon l’Office fédéral de l’agriculture (OFAG), la Suisse ne compte que quelque 17 hectares de chanvre agricole subventionné.

Toutefois, précise Christophe Darbellay, chef de la division principale des paiements directs à L’OFAG, «il existe entre 200 à 300 hectares de chanvre dont la teneur en THC dépasse les 0,3% autorisés.»

Des chiffres jugés minimalistes par les professionnels de la branche. Selon eux, les estimations officielles sous-estiment la production sous serres.

Très discrètes, ces plantations permettrent quatre à six récoltes par année. Elles fournissent, en outre, des plantes dont la teneur en THC est trois fois supérieure aux cultures en plein-champs.

«L’an dernier, la production de chanvre non homologué avoisinait probablement les 1’000 hectares», corrige André Fürst. Et d’ajouter, «sans les saisies effectuées par la police, les récoltes auraient permis de couvrir la consommation indigène.»

«Actuellement, les chanvriers suisses assurent environs 50% de la consommation, poursuit André Fürst. L’autre moitié est importée.»

Un marché juteux

«Cela représente un important manque à gagner pour la paysannerie suisse, déplore l’intéressé Et la situation est d’autant plus absurde, que les bénéfices tombent dans les caisses du crime organisé».

Les chiffres laissent songeur. On estime en effet que 600 000 à 700 000 helvètes consomment régulièrement du cannabis. A lui seul, ce marché ne pèserait pas moins d’un milliard de francs par année.

«Il faut mettre de l’ordre dans cette économie souterraine, affirme André Fürst. Cela passe nécessairement par une dépénalisation de la consommation.»

Et de poursuivre, «la proposition en ce sens du Conseil des Etats semble raisonnable. Elle permettrait de casser le marché noir en instaurant un système de contrôle efficace tant pour la culture que pour la vente du chanvre.»

André Fürst estime d’ailleurs que les autorités ne sont pas dupes. «Aujourd’hui, la situation est ingérable et même la police souhaiterait aboutir à une solution plus transparente pour contrôler le marché», déclare le chanvrier.

Une enquête en cours depuis 1997, et plusieurs saisies sur son domaine ne l’empêchent d’ailleurs pas d’estimer que les autorités font preuve d’une certaine bienveillance à son égard.

«Il m’arrive même de penser que la police apprécie le travail d’information que nous réalisons», ajoute le patron de ‘Chanvre-info’.

Pour autant, les députés, eux, ont rechigné à aborder la question mardi dernier. Le Conseil national (la Chambre basse) a décidé une nouvelle fois de reporter le débat sur la dépénalisation de la consommation de cannabis.

Dans le meilleur des cas, la révision de la loi sur les stupéfiants, que le Conseil des Etats (la Chambre haute) a déjà adoptée en décembre 2001, ne sera pas traitée avant l’automne.

swissinfo, Vanda Janka

Selon la dernière étude de l’ISPA (1997) (Institut suisse de prévention de l’alcoolisme et autres toxicomanies).
26,7% de la population de 15 à 39 ans a goûté une fois au haschisch ou à la marijuana.
La proportion est de 38% chez les 14-20 ans.
De façon générale, on estime que 600 000 à 700 000 des Helvètes fument.

– Le projet de révision de la loi sur les stupéfiants maintient l’interdiction de principe de la culture et de la vente de cannabis, mais il fixe des exceptions par voie d’ordonnance.
– Les producteurs devront se faire connaître et des points de vente seront tolérés, où les consommateurs d’au moins 18 ans pourront s’approvisionner en quantités restreintes.
– Toute exportation sera interdite.
– La Chambre haute a déjà approuvé le projet décembre 2001.
– La Chambre basse a reporté le débat en septembre.

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