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Accords Rubik: Berne, Londres et Berlin sous pression

Le commissaire européen à la fiscalité Algirdas Semeta veut que l'Allemagne et le Royaume-Uni renégocient leurs accords avec la Suisse. Keystone

La Commission européenne fait pression sur l’Allemagne et la Grande-Bretagne afin qu’elles modifient spontanément les accords fiscaux bilatéraux qu’elles ont conclus avec la Suisse. A défaut d’obtempérer, Berlin et Londres seront traînés devant la Cour de justice de l’UE.

Les accords dit Rubik prévoient la régularisation des avoirs que les résidents allemands et britanniques ont jadis dissimulés en Suisse ainsi que l’imposition effective des revenus de la fortune (intérêts, dividendes, gains en capitaux, etc.) qu’ils continueront à percevoir dans le pays à l’avenir. Des impôts à la source, libératoires, seront prélevés, dans ce contexte.

Le service juridique de la Commission estime que Berlin et Londres ont outrepassé leurs compétences en signant ces accords, qui permettent de préserver l’anonymat des fraudeurs et dont le champ d’application interfère en partie avec celui de la réglementation européenne sur la fiscalité de l’épargne – et de l’accord qui lie Berne et l’UE dans ce domaine, depuis 2004.

Tout cela, en outre, est sans compter avec certains «problèmes techniques» inhérents au système Rubik. Le taux de la retenue à la source libératoire qui sera prélevée sur les revenus de la fortune versés aux Allemands a par exemple été fixé à 26,375%, alors qu’il s’élève à 35% dans le cadre de l’accord sur la fiscalité de l’épargne.

Par la force de conviction

«Les Etats peuvent conclure des accords bilatéraux avec des pays tiers, mais uniquement dans la mesure où ceux-ci n’empiètent pas sur la législation européenne», confirme Emer Traynor, la porte-parole du commissaire européen à la fiscalité, Algirdas Semeta.

Les juristes de la Commission prônent donc le déclenchement de «recours en manquement»  à l’encontre de Berlin et Londres, devant la Cour de justice de l’UE. Afin de ne pas en arriver là, ce qui ferait mauvaise impression en période de crise sévère dans la zone euro, Algirdas Semeta, et ses services tentent de convaincre l’Allemagne et la Grande-Bretagne de renégocier – rapidement et en profondeur – leurs accords avec la Suisse.

Au-delà du problème de compétence que pose leur conclusion, craint-on en effet à Bruxelles, ils pourraient avoir une influence néfaste sur la renégociation, en cours, de la directive (loi) européenne sur la fiscalité de l’épargne. De fait, le Luxembourg et l’Autriche, qui exigent d’être mis sur un pied d’égalité avec Berne, et donc de pouvoir sauvegarder leur secret bancaire, ont déjà saisi le prétexte de Rubik pour bloquer le dossier. Partant, la présidence polonaise de l’Union européenne a décidé de le laisser sommeiller jusqu’à ce que l’écheveau suisse soit démêlé.

Du pain bénit

Dans ce contexte, les réunions se multiplient, ces jours-ci. Algirdas Semeta s’est entretenu le 8 novembre avec le grand argentier allemand, Wolfgang Schäuble, et devrait rencontrer le 25 novembre la ministre suisse des Finances, Eveline Widmer-Schlumpf. En attendant, les experts de la Commission ont déjà reçu ceux de Berlin et de Londres. En fonction du résultat de ces réunions et des suites concrètes que leur réserveront la Suisse, l’Allemagne et la Grande-Bretagne, la Commission décidera d’engager, ou non, les procédures d’infraction envisagées, en principe avant la fin de décembre.

Bruxelles souhaite que Berlin et Londres fassent diligence, afin d’éviter que leurs accords avec la Suisse fassent tâche d’huile et que la situation devienne incontrôlable. La Grèce, en effet, a déjà entamé (prudemment) des discussions sur Rubik avec Berne. Eveline Widmer-Schlumpf, de son côté, a approché les ministres des Finances belge, néerlandais et luxembourgeois, le 8 novembre, et a rencontré le 17 novembre à Paris son homologue français, François Baroin.

Afin de prévenir ce risque, le commissaire Algirdas Semeta a lui-même mis en garde François Baroin contre la tentation de céder au chant des sirènes suisses – Rubik représente en effet du pain bénit pour les pays qui doivent impérativement regarnir leurs caisses, puisqu’ils sont assurés de récupérer des milliards d’euros sans coup férir. Il a été entendu. En tout cas, «on a dit à la Suisse que les conditions n’étaient pas réunies pour engager des discussions sur ce type d’accord», a souligné le Ministère français des finances à l’issue de la rencontre du 17 novembre.

L’Italie, désormais gouvernée par l’ancien commissaire européen Mario Monti, est lui aussi «très conscient» qu’il doit faire preuve de prudence, dit-on. Le contraire serait étonnant: Mario Monti a été à l’origine de l’adoption de la réglementation européenne sur la fiscalité de l’épargne.

Anonymat. Le projet intitulé «Rubik» de l’Association des banques étrangères en Suisse (AFBS) veut séparer le revenu du patrimoine et percevoir l’impôt à la source pour le remettre aux Etats tiers, dans le respect de l’anonymat du détenteur étranger d’un compte en Suisse.

Protection. Selon l’AFBS, cette stratégie privilégiant la sphère privée du client aurait aussi pour effet de protéger les collaborateurs des banques étrangères en Suisse d’éventuelles poursuites judiciaires lancées par des pays tiers.

Maintien. La garantie de l’anonymat aurait aussi pour conséquence d’encourager les détenteurs étrangers de capitaux sous gestion dans des banques helvétiques à conserver leurs avoirs en Suisse au lieu de rapatrier leur argent, assurent les promoteurs du projet.

Le secret bancaire suisse subit de constantes attaques depuis la crise de 2008. Endettés, les pays développés cherchent à remplir leurs caisses en réprimant l’évasion fiscale, qui est devenue une priorité.
 
En 2009, la Suisse a dû se résoudre à un accroissement de l’échange d’informations bancaires. Elle a renégocié une série d’accords de double imposition afin de sortir de la liste noire de l’OCDE.
 
La même année, UBS a admis avoir aidé des contribuables américains à frauder le fisc de leur pays, amende à la clé. Le gouvernement suisse s’est ensuite vu contraint de livrer les noms de 4450 clients américains au fisc US.
 
En 2009 et 2010, plusieurs pays parmi lesquels la Grande-Bretagne, l’Italie, les Etats-Unis et l’Allemagne ont offert à leurs contribuables de se mettre au net sur le plan fiscal par le biais d’amnisties fiscales.
 
La vente illégale de données bancaires a encore accru le nombre de fraudeurs du fisc identifiés. L’Allemagne et la France ont été les principaux acquéreurs des CD controversés, mais les informations qu’ils contenaient ont diffusé dans d’autres pays.

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