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Affaire UBS: la justice suisse met son veto

La décision de la justice porte un nouveau coup dur au gouvernement dans sa volonté de protéger UBS d'attaques judiciaires. EPA/JUSTIN LANE

En acceptant le recours d’une contribuable américaine, le Tribunal administratif fédéral a porté vendredi un sérieux coup à l’accord extrajudiciaire signé l’été dernier entre la Suisse et les Etats-Unis pour régler le litige opposant UBS au fisc américain.

Diffusé vendredi, le verdict constitue une «décision pilote», selon un communiqué du Tribunal administratif fédéral (TAF). Il donne définitivement gain de cause à cette contribuable, puisqu’il ne peut être attaqué par un recours au Tribunal fédéral (TF), plus haute instance judiciaire du pays.

Selon le TAF, l’accord signé en août dernier entre la Suisse et les Etats-Unis n’a qu’une portée «amiable». Il ne peut modifier ou compléter la Convention de double imposition entre ces deux pays, qui distingue soustraction fiscale et fraude fiscale. Dans le cas d’espèce, la contribuable avait omis d’envoyer au fisc le formulaire par lequel elle aurait dû déclarer avoir un compte bancaire à l’étranger, soit le formulaire W-9.

Pour les juges du TAF, ce grief ne constitue pas une fraude. Par conséquent, l’entraide administrative ne saurait être accordée, compte tenu de l’article 26 de la Convention de double imposition. La même conclusion devrait s’imposer pour de nombreux autres dossiers litigieux. En particulier pour les 25 procédures pendantes devant le TAF, qui concernent elles aussi des griefs de soustraction fiscale à l’encontre de contribuables américains.

4450 comptes concernés

Toujours selon le TAF, l’Administration fédérale des contributions devrait reconsidérer les décisions qu’elle a prises jusqu’à ce jour. Occupée depuis des mois par ces procédures administratives, l’AFC a déjà rendu des centaines de décisions.

L’accord passé en août dernier entre Berne et Washington cible des clients UBS domiciliés aux Etats-Unis. Ils doivent avoir été les titulaires directs et les ayants droit économiques de comptes non déclarés entre 2001 et 2008. La Suisse s’était engagée à traiter la demande d’entraide concernant 4450 comptes bancaires.

Selon le TAF, la transmission de données suppose un comportement «frauduleux». L’omission d’envoyer un formulaire, qui constitue uniquement un cas de soustraction fiscale, ne peut justifier une entraide administrative.

Illégal

Ce cas de figure risque cependant de constituer la majorité des dossiers litigieux. Selon les statistiques de l’Office fédéral de la justice, pas moins de 4200 dossiers, parmi les 4450 recensés, rentreraient dans la catégorie des cas visés par la décision pilote diffusée vendredi.

L’an dernier, l’Autorité fédérale de surveillance des marchés financiers (FINMA) avait court-circuité la justice. Elle avait décidé de remettre aux autorités américaines les noms de 300 clients d’UBS.

Saisi de plusieurs recours, le TAF était arrivé à la conclusion que ce transfert de données était illégal. Comme la FINMA l’a annoncé jeudi, elle a décidé de soumettre ce litige au Tribunal fédéral, dont le verdict ne devrait pas tomber avant plusieurs mois.

Mutisme du gouvernement

Le Conseil fédéral (gouvernement) s’est contenté vendredi de prendre acte de l’arrêt du Tribunal administratif fédéral. Il décidera de la suite des opérations lors de sa prochaine réunion mercredi. D’ici là, les services d’Eveline Widmer-Schlumpf, ministre de la Justice, lui remettront une première analyse.

Dans une réaction officielle faite au nom du Conseil fédéral, son porte-parole André Simonazzi rappelle en outre que le Conseil fédéral avait approuvé l’accord concernant l’UBS «après avoir pris en compte l’avis d’experts».

«En passant cet accord avec les Etats-Unis, l’objectif du Conseil fédéral était de trouver une solution correcte au regard de l’Etat de droit permettant d’écarter la menace de conflit entre les ordres juridiques de la Suisse et des Etats-Unis, d’éviter une atteinte à la souveraineté de la Suisse et de gérer les conséquences de l’affaire UBS», rappelle le gouvernement dans un communiqué.

Un arrêt très important

L’ancien procureur tessinois Paolo Bernasconi estime que «cet arrêt est très important et déclare la quasi nullité de la valeur de l’accord du 19 août signé entre les gouvernements américain et suisse».

Cette décision signifie aussi qu’UBS doit cesser de remettre des dossiers aux autorités fiscales, affirme Paolo Bernasconi à swissinfo.ch. «J’estime que cela concerne plusieurs centaines de cas mais je n’oserais pas parler de milliers. Il faut se rappeler que ces gens ne sont pas tous des voyous!»

L’avocat et professeur tessinois juge également légitime que la justice prenne position dans cette affaire sensible. «Heureusement qu’il y a encore des juges! Notre Etat de droit se fonde sur la démocratie, or l’administration n’a pas le pouvoir de créer des lois, c’est au Parlement de le faire».

Une commission d’enquête?

Afin de faire toute la lumière sur cette affaire, le Parti socialiste, l’Union démocratique du centre (UDC / droite conservatrice) et les Verts évoquent avec toujours plus d’insistance la création d’une commission d’enquête parlementaire (CEP). Pour le PS, l’arrêt du Tribunal fédéral condamne la politique «hésitante» du Conseil fédéral. La CEP est le moyen le plus fort et le seul efficace pour apporter de la lumière dans ce «fiasco» et restaurer la confiance dans l’Etat de droit suisse, estime-t-il.

L’erreur du Conseil fédéral a été de vouloir changer le droit en vigueur avec un accord à l’amiable, fait remarquer pour les Verts le député zurichois Daniel Vischer. L’UDC se trouve pour sa part confortée dans sa position. Lors de la signature de l’accord entre la Suisse et les Etats-Unis en août, le parti avait dit douter de sa validité juridique.

Le Parti libéral-radical (PLR / droite) et le Parti démocrate-chrétien (PDC / centre-droit) pensent au contraire que ce jugement renforce l’Etat de droit et le secret des clients des banques. Le PDC estime que le Conseil fédéral a fait du bon travail et que la possibilité de prouver son innocence fait partie de l’Etat de droit.

swissinfo.ch et les agences

Février. La grande banque UBS est autorisée par les autorités suisses à livrer aux Etats-Unis l’identité de 255 clients qu’elle a aidé à échapper au fisc américain. Et cela, sans attendre la décision sur les recours déposés par ces clients. Donc en violation de la loi sur le secret bancaire.

Mars. Dans le collimateur de l’OCDE, le gouvernement annonce sa décision d’assouplir le secret bancaire en suivant les standards de l’organisation en matière d’échange d’informations. Il annonce la renégociation des conventions de double imposition. L’assistance internationale sera accordée en cas de fraude fiscale, mais aussi lors d’infractions touchant l’évasion fiscale.

Avril. Le G20 met la Suisse sous pression en la plaçant sur une liste grise des paradis fiscaux prêts à faire des efforts en matière d’échange d’informations.

Août. La Suisse et les Etats-Unis trouvent un accord sur UBS. Les Américains ne chercheront plus à obtenir l’identification de 52’000 titulaires de comptes. Une entraide administrative entre les deux gouvernements est décidée sur 4450 comptes de quelques 4200 clients de la banque.

Septembre. Après avoir signé douze conventions élargies de double imposition, la Suisse est biffée de la liste grise de l’OCDE.

Novembre. Le gouvernement propose au parlement de soumettre les nouveaux accords de double imposition au référendum facultatif.

Et l’Union européenne reporte à 2010 un projet d’accord sur la fiscalité de l’épargne impliquant l’échange automatique d’informations pour les pays membres. Les secrets bancaires autrichien et luxembourgeois sont en danger. A terme, la pression se reportera sur la Suisse.

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