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Afghanistan: «Karzaï sera réélu, ce sera pire»

Malgré leur désenchantement, certaines Afghanes ont osé braver l'insécurité pour aller voter. Keystone

Pour la deuxième fois de l'histoire de leur pays, les Afghans se rendent aux urnes jeudi pour choisir leur président. A Kandahar, l'ex-capitale talibane, la reporter Anne Nivat a rencontré des femmes pour qui la situation risque d'empirer encore après les élections.

A Kandahar-la-maudite où le président Karzaï n’a même pas osé se rendre pour un dernier meeting de campagne ce dimanche, ce sont les femmes qui ont le plus de mal à continuer de vivre «normalement».

Non seulement la burqa, le «passeport vers l’extérieur» comme me l’avait définie il y a quelques années l’une d’elles, leur est plus que nécessaire, mais les femmes ont pour ainsi dire disparu de la voie publique tellement, en cette veille d’élection, se trouver dans la rue, même pour un court moment, apparaîtrait incongru.

Une des premières jeunes filles de Kandahar à être devenue présentatrice de télévision a fêté ses 21 ans il y a peu, je la convaincs de venir me parler dans une maison du centre-ville où je donne mes rendez-vous.

Son âge sur un papier

Pour vous donner une idée des rapports hommes-femmes dans cette société, si la «star» locale m’assure braver tous les interdits pour aller voter ce jeudi, elle hésite en revanche à me donner son âge… en présence d’un de mes amis qui me sert de traducteur. Toute rougissante, elle consent finalement à me le griffonner sur un bout de papier.

«Je pense que la situation va empirer après les élections, et justement parce que Karzaï va être réélu», explique-t-elle. La semaine précédente, elle a dû démissionner suite aux trop nombreux coups de fils, lettres anonymes et textos de menaces qu’elle recevait parce qu’elle est une femme qui ose montrer son visage (voilé) à la télévision locale.

Comment ses parents avaient-ils accepté qu’elle exerce ce métier? «Uniquement pour mon salaire de 350 dollars mensuels, parce que j’étais alors la seule, dans la famille, à avoir une situation.» Une autre journaliste locale femme, productrice pour une radio étrangère en langue pachtou, me tient des propos similaires, pourtant je ne les ai pas vues ensemble.

Elle explique que «la campagne électorale a été terrible». «Je sais qu’on obligera les femmes à voter pour Hamid Karzaï. Ici, le chantage est permanent, les femmes ne sont pas éduquées et elle feront ce qu’on leur dit. Dans les rares cas contraires, d’autres s’en chargeront pour elles.»

La parole d’Hamid Karzaï

Malgré tout, elle reste en faveur de la présence de troupes étrangères à la seule condition que le futur président se montre capable de les contrôler et non pas le contraire… «Combien y a-t-il eu d’incidents avec mort d’innocents?», demande-t-elle.

«Karzaï affirme faire cesser ces bavures mais il ne tient pas parole! Dans ma vie de tous les jours, mon problème récurrent est l’insécurité, et ce n’est pas seulement le mien, c’est celui de tout le monde. Ici, les seuls à ne pas avoir de problèmes sont ceux qui les provoquent!»

Puis elle disparaît, accompagnée de son neveu de 7 ans, aussi vite qu’elle était apparue. Aucun membre de la famille de cette journaliste hormis ses parents ne connaît la nature de son travail, son emploi du temps ou tout autre détail la concernant.

Dernières femmes rencontrées, une institutrice et sa soeur, elles aussi venues accompagnées par une présence masculine, le fils de l’une d’elle, 4 ans. Pour 80 dollars par mois, cette jeune femme de 25 ans à l’air beaucoup plus âgée partage son savoir avec des jeunes filles d’une décennie plus jeunes qu’elle, que leurs parents osent envoyer à l’école.

On brûle des écoles

Et quand elle rentre dans sa maison, c’est pour, deux fois par semaine, recevoir encore d’autres filles, celles que les parents refusent d’envoyer en cours, d’autant plus après le jet d’acide contre un groupe de cinq jeunes femmes en novembre 2008, défigurées alors qu’elles portaient leur burqa.

«Dans les districts environnant Kandahar, des écoles sont brûlées en permanence, à tel point que ce sont maintenant même les garçons qui n’y vont plus. J’essaie néanmoins de leur apprendre à lire et à écrire tout en sachant que leur mariage sonnera la fin de leurs études.

Et je suis obligée d’avaler que si certains parents envoient encore leurs enfants à l’école, c’est pour recevoir un peu d’aide alimentaire humanitaire et non parce qu’ils sont convaincus du bien-fondé de leur éducation!»

La burqa? Non seulement les deux soeurs y sont habituées et savent que, sans ce voile intégral, nous n’aurions même pas pu nous rencontrer, mais elles me font part d’une façon nouvelle de la porter, signe des temps on ne peut plus sinistre: pour tromper les hommes qui, dans la rue, épient les femmes qui sortent, ces dernières, en un étonnant pied-de-nez, trompent leur monde en changeant la couleur de leur burqa au gré de leurs allées et venues.

«Nous n’en avons pas une, bleue, mais trois ou quatre, brune, blanche, grise.. Ainsi, il est plus difficile de savoir, à coup sûr, qui se cache sous le voile.»

Restaurer la sécurité

Je suis sidérée. Voter, dans ces conditions, ne paraît-il pas ridicule? «Pas du tout», rétorquent en choeur les deux soeurs. «Nous irons voter car le progrès est impossible sans la sécurité. Il faut voter pour que la police contrôle à nouveau la situation, il faut voter en faveur de celui qui nous offrira cette sécurité.»

Qui donc? Silence. Déçues par les huit dernières années, les deux soeurs ne savent pas pour qui voter. A l’occasion du premier débat télévisé en direct avec un président en exercice, Hamid Karzaï a promis que les enceintes sacrées des maisons des Afghans ne seraient plus la cible de violentes perquisitions nocturnes accompagnées de présences canines, qu’il n’y aurait bientôt plus de prisonniers afghans dans des geôles tenues par des étrangers (il faudrait donc fermer celle de la base militaire de Bagram), que les forces militaires internationales ne pourraient plus rien faire sans l’accord du peuple afghan.

Paroles en l’air? Fine communication électorale? Nul ne s’en préoccupe, le plus important demeurant la survie au quotidien, même si elle doit prendre des allures, en province afghane, de lutte acharnée contre une spirale de l’enfer.

Anne Nivat, Rue89/swissinfo.ch, à Kandahar

Les Afghans élisent jeudi leur président pour la seconde fois de leur histoire. Ils élisent aussi leurs représentants dans les 34 conseils provinciaux (un par province) du pays.

Environ 17 millions de personnes se sont enregistrées sur les listes électorales.

Le président Hamid Karzaï part favori de l’élection face à ses adversaires: Abdullah Abdullah, ex ministre des Affaires étrangères; Ashraf Ghani, économiste de renom; l’ancien ministre Ramazan Bashardost.

Les talibans ont juré de perturber les élections et ont menacé de représailles les électeurs qui iraient voter.

A Kaboul, un journaliste de l’Associated Press qui s’est rendu dans six bureaux de vote n’y a vu aucune file d’attente.

A Kandahar, berceau du mouvement islamiste des tablibans, un responsable électoral a déclaré que la participation était de 40% inférieure à celle de la première élection présidentielle au suffrage universel de 2004.

Les résultats préliminaires devraient tomber entre le 3 et le 16 septembre. Sauf contretemps, le résultat final devrait être annoncé le 17 septembre 2009.

Un second tour pourrait être organisé le 1er octobre pour départager les deux candidats ayant rassemblé le plus de suffrages.

Un observateur. La Suisse soutient le processus électoral en Afghanistan. La semaine dernière, elle a débloqué deux millions de francs et elle enverra un observateur sur place.

Coopération. Depuis 2002, la Suisse a consacré en moyenne 20 millions par année au développement de ce pays, qui bénéficie d’un programme spécial de la Direction du développement et de la coopération.

Expatriés. En 2007, 183 Suisses vivaient en Afghanistan.

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