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Aimé Césaire: «Une vitalité inouïe»

Reuters

La francophonie pleure l'écrivain et homme politique martiniquais, mort jeudi sur son île à 94 ans. Directeur de la collection «Le Cippe» aux Editions Zoé, qui publiera cet automne un essai autour des «Armes miraculeuses» de Césaire, Patrick Amstutz dit son émotion.

Figure emblématique des Antilles françaises, Aimé Césaire avait été admis pour des problèmes cardiaques le 9 avril à l’hôpital de Fort-de-France.

La France organisera des obsèques nationales pour ce chantre de la négritude, homme de gauche, de mots et d’actes.

swissinfo: Comment réagissez-vous à cette disparition?

Patrick Amstutz: Elle était préparée par une semaine d’annonces douces. C’est une tristesse toute sereine. Sereine, parce qu’il a réussi à mener une vie d’homme extrêmement remplie.

Sur le plan du politique, en tant que citoyen, Aimé Césaire a été plus de quarante ans maire de Fort-de-France. C’est un personnage du personnel politique français extrêmement important, qui s’est fortement battu en 46 pour la loi de départementalisation – pour que la Martinique reste un département, outre-mer, au sein de la République.

Au niveau de l’écriture, de son œuvre artistique, je ressens une immense tristesse. Il a eu une vie remplie, il a atteint l’âge de 94 ans en pleine forme et lucide jusqu’au bout – on se souvient la visite de chacun des candidats à la dernière présidentielle, passage symbolique chez le sage de la Nation. Mais surtout, Césaire est un des plus grands poètes et artisans de la langue française du 20e siècle.

Avec son ami si proche qu’était Léopold Sedar Senghor, décédé en décembre 2001, on a là le dernier de ceux qu’on appelait les chantres de la négritude.

Ces auteurs voulaient asseoir une sorte de chant nègre dans la langue française et l’imposer comme un nouveau souffle, un nouvel avenir pour notre langue. Faire de la langue française, non seulement une langue européenne, mais aussi une langue africaine.

D’ailleurs, de fait, démographiquement, la langue française est une langue africaine. On l’oublie. C’est donc un personnage cardinal qui disparaît. Une disparition que certains sous-estiment sans doute.

swissinfo: Quelle est l’influence de Césaire sur la littérature d’aujourd’hui?

P.A.: Elle est difficile à évaluer, on est dedans. Je distinguerais deux plans. Celui, d’abord, de ses compatriotes des Antilles, des Caraïbes, d’Outre-mer.

Chez Raphaël Confiant ou Patrick Chamoiseau par exemple, on a un immense respect pour cette figure du père. Mais on se construit aussi contre son discours. On élabore un nouveau discours de contestation, plus radical, par rapport à des questions identitaires. On ajoute plus de lexique d’un français issu des Antilles – au lieu de dire vieux sorcier, on dira vieux ougan. Pour dire la colline, on dit le morne. On innerve la langue française de cette créolité.

Chez de plus jeunes poètes en Europe, la lecture se fait moins sous l’angle de la contestation idéologique. Mais plutôt à travers un héritage à digérer, à repenser. Comme un exemple de travail de la langue.

Césaire a été aux franges du surréalisme. Sa langue est d’une inventivité et d’une vitalité folle. Il suffit de se plonger dans quelques pages, ça saute à la figure. Ça n’a pas vieilli d’un pouce.

swissinfo: Son apport à la langue, justement, c’est ce côté explosif?

P.A.: Une vitalité, je dirais. Une vitalité inouïe, que semblait presque symboliser ce corps, qui n’en finissait pas d’agoniser, pendant une semaine maintenant. Il a su rendre le cri, rendre la matière, les désirs les plus forts, dans une langue qui n’hésite pas à être riche lexicalement et à chercher les images les plus fortes, les plus convulsives.

Césaire bouscule les règles, mais très consciemment. Il maîtrisait drôlement l’histoire littéraire et sa propre langue. Il contestait une suprématie occidentale tout en l’ayant totalement assimilée, sachant lire grec et latin, ayant toute la littérature française dans le crâne. C’est un immense exemple face à ceux qui pensent pouvoir jeter les héritages par-dessus bord.

swissinfo: Quel plaisir ressent-on à lire Césaire?

P.A.: Le premier mot qui me vient, c’est le mot jubilation.

Interview swissinfo, Pierre-François Besson

Né à Basse-Pointe le 25 juin 1913, Aimé Césaire est encouragé aux études par les professeurs de son lycée.

A Paris en 1932, il lance la revue «L’Etudiant noir» où – c’est une première – des écrivains noirs réfutent les modèles littéraires traditionnels. Après de brillantes études littéraires, il devient professeur.

Césaire rencontre le Sénégalais Léopold Sedar Senghor et publie en 1939 son recueil «Cahier d’un retour au pays natal», où apparaît le mot «négritude».

Il écrit des pièces, de la poésie et des essais. Il est aussi homme politique, maire de Fort-de-France de 1945 à 2001, député de 1946 à 1993.

Poésie:

«Cahier d’un retour au pays natal» (1939)
«Les armes miraculeuses» (1946)
«Soleil cou coupé» (1948)
«Corps perdu» (1950)
«Ferrements» (1960)
«Cadastre» (1961)
«Moi Laminaire» (1982)
«La poésie» (1994)

Théâtre:

«Et les chiens se taisaient» (1958)
«La tragédie du roi Christophe» (1963)
«Une saison au Congo» (1966)
«Une tempête» (1969)

Essais:

«Victor Schoelcher et l’abolition de l’esclavage» (1948)
«Discours sur le colonialisme» (1950)
«Toussaint Louverture. La Révolution française et le problème colonial» (1961)

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