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Alain Tanner, la poésie et la vie

Alain Tanner, une vie désormais hors du cinéma. swissinfo.ch

Deuxième partie de notre entretien avec le réalisateur genevois Alain Tanner, auquel la Cinémathèque française vient de consacrer une rétrospective d'un mois. Alain Tanner, cette année, a 80 ans. Retour sur 50 ans de cinéma.

En 2003, Alain Tanner annonçait que «Paul s’en va» serait son dernier film. Dernière pierre d’une œuvre qui l’aura vu réaliser moult fictions bien sûr, de «La Salamandre» à «Dans la ville blanche» en passant par «Jonas qui aura 25 ans en l’an 2000», mais aussi, et c’est moins connu, pas mal de documentaires pour la Télévision suisse romande.

C’est en 1955, à Londres, que l’aventure avait vraiment commencé.

swissinfo: Une rétrospective Alain Tanner qui s’achève à la Cinémathèque française, mais que l’on verra bientôt à la Cinémathèque suisse… Amusant de se rappeler que votre parcours cinématographique avait justement démarré dans une cinémathèque, à Londres, en 1955.

Alain Tanner: Londres, j’y étais parti un peu par hasard. J’avais 25 ans, je suis allé d’abord à Paris, mais je n’y connaissais pas grand monde, et je ne voyais pas de possibilité. Je glandais un peu, à l’époque! Je me suis donc dit que j’allais continuer à Londres.

Beaucoup de cinéastes, en particulier ceux qui allaient former le groupe du ‘Free Cinema’, venaient à la Cinémathèque. Ils ont été très hospitaliers. A l’époque, je travaillais pour survivre dans un grand magasin du centre de Londres, je vendais des torchons et des serviette! Ils m’avaient proposé de me trouver un petit job à la Cinémathèque, ce qui a marché après pas mal de formalités administratives. J’y ai travaillé pendant deux ans, à faire du sous-titrage, de l’archivage…

Pendant cette période, j’ai fait venir de Genève mon ami Claude Goretta. Et ensemble, on a réalisé, presque sans argent, un court-métrage consacré à Piccadilly la nuit. Ce film a très bien marché. Cela a été un peu le point de départ.

swissinfo: Vous avez vécu plus de 50 ans immergé dans l’activité du cinéma, l’œil collé à une caméra ou à un écran. Cela a-t-il modifié votre regard sur ‘la vraie vie’?

A.T.: En aucune façon. Ce serait plutôt le contraire qui serait vrai. Au fil des années et de la trajectoire, la vie modifie votre façon de faire le cinéma. Dans mon cas, les ‘films-discours’ que je pratiquais dans les années 70 ont été balayés par les années 80. Plus personne ne voulait voir ça. J’ai donc essayé d’aller regarder ailleurs. Il faut dire que, dès le départ, j’avais aussi la casquette ‘poétique’, que j’avais mis un peu de côté. Je me suis donc dit que j’allais déposer la casquette du discours pour mettre la casquette poétique!

C’est vrai qu’auparavant, je faisais un cinéma complètement lié au présent, au contemporain, des films ‘à l’année’, qui n’auraient pas pu être faits deux ans plus tard. Dans la mesure où l’Histoire bouge, je bougeais avec elle.

swissinfo: Vous n’avez donc jamais eu le sentiment que vous viviez dans un film, entouré de personnages?

A.T.: Non. Par contre, au cinéma, il y a effectivement toujours un côté ‘jeu’. Les acteurs jouent. Et on peut passer très rapidement des pires trucs, d’un texte qui a un contenu dur, difficile, à autre chose. A la seconde où la caméra s’arrête, on retombe sur ses pattes et on peut se marrer…

On est donc tout le temps dans un système qui est lié au jeu. C’est pour cela qu’un jour, j’ai dit à un journaliste qui constatait que j’avais fait beaucoup de films que non, moi, j’avais le sentiment de n’avoir jamais rien foutu de ma vie ! (rires)

Quand je vois les gens au travail, mon facteur le matin sous la pluie, mon dentiste qui, à peine il en a fini avec moi, passe au patient suivant, je me dis que ces gens bossent, qu’ils ont un vrai métier. Moi, je n’ai pas eu un vrai métier. On fait un peu ce qu’on veut, on est dans le jeu. J’ai parfois le sentiment d’avoir plus rêvé ma vie que vécu ma vie.

swissinfo: Depuis votre dernier film, ‘Paul s’en va’, en 2003, avez-vous eu parfois l’impression d’un vide?

A.T.: Aucune. Il n’y a rien de plus agréable pour moi, aujourd’hui, que le sentiment de ne pas avoir de projet de film. Je me sens léger, alors que je me sentirais très lourd si j’avais des projets cinématographiques. Tout ce qui vient avant et après le film est devenu tellement impossible!

La question du financement a toujours été difficile, cela fait partie de la règle du jeu. Mais aujourd’hui cette règle est complètement pervertie. Je n’ai plus du tout envie de mettre mes pieds dans cet immonde marécage que sont l’avant et l’après-film. Et puis il y a aussi le fait que cela demande beaucoup d’énergie, de mouvement. Et à 80 ans, on n’a plus l’énergie de ses 25 ans.

swissinfo: Vous dites que vous n’avez jamais écrit plus de deux fois un scénario. Que changeriez-vous dans la seconde mouture du scénario de l’histoire d’Alain Tanner?

A.T.: Ça va comme ça! J’ai eu la chance insigne, pour un cinéaste, de faire ce que j’ai voulu, quand j’ai voulu, en toute liberté et en toute indépendance. Jamais un producteur ou un distributeur ne m’a dit fais ci, fais ça, prends tel comédien! Si les films ne sont pas bons, c’est moi qui porte le chapeau. Je ne mettrai jamais en cause un collaborateur pour les fautes que j’ai faites.

Dans la mesure où j’ai eu cette indépendance, et un peu de chance par rapport à l’époque, je ne toucherais rien du tout au scénario. Oh… je couperais peut-être une scène ou l’autre, que je trouve un peu longue, mais sinon, je ne changerais rien.

swissinfo, Bernard Léchot, Paris

La rétrospective Alain Tanner, présentée à Paris du 14 janvier au 15 février 2009, sera l’hôte de la Cinémathèque suisse à Lausanne dès le 5 mars, puis passera à Zurich et à Bâle.

Naissance à Genève en 1929. Etudes de sciences économiques à l’Université de Genève.

Entre 1952 et 1953, il est écrivain de bord dans la marine marchande.

Dès 1955, il travaille au British Film Institute de Londres. En 1957, il réalise son premier film, avec Claude Goretta, Nice Time (Picadilly la nuit).

De retour d’Angleterre, il entre comme réalisateur à la Télévision Suisse Romande (TSR) où il signera plusieurs courts métrages et des documentaires.

En 1962, il crée l’Association suisse des réalisateurs.

En 1968, il fonde le Groupe des 5 avec Michel Soutter, Claude Goretta, Jean-Louis Roy et Jean-Jacques Lagrange. Une sorte de «Nouvelle Vague» façon helvétique.

Ses films des années 60-70 vont connaître une renommée internationale:
Charles mort ou vif (1969),
La Salamandre (1971),
Le Retour d’Afrique (1973),
Le Milieu du monde (1974),
Jonas qui aura 25 ans en l’an 2000 (1976).

Suivront notamment:
Messidor (1978),
Les Années lumière (1981),
Dans la ville blanche (1983),
La vallée fantôme (1987),
Le Journal de Lady M (1992),
Requiem (1998),
Jonas et Lila, à demain (1999)
et Paul s’en va (2003).

Alain Tanner reçoit le titre de Docteur honoris causa de l’Université de Lausanne en 2008.

Un cinéma baptisé «La Salamandre», en hommage au film d’Alain Tanner paru en 1971, existe à Morlaix, en Bretagne.

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