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Alcoolisme: une peluche pour venir à bout d’un tabou

Boby, un ami avec qui partager ses soucis. sfa/ispa

Un chien en peluche pour dire que la dépendance à l'alcool ne doit pas être un tabou. Cette campagne de l'Institut suisse de prévention de l'alcoolisme et autres toxicomanies (ISPA) pour les enfants d'alcooliques rappelle aussi qu'on peut toujours demander de l'aide.

Les chiens seront remis aux clients des guichets postaux au cours des deux dernières semaines de novembre. Ce personnage en peluche est tiré d’un livre écrit spécialement pour l’ISPA et destiné à des enfants âgés de cinq à huit ans.

Boby est un chien que son maître – Fred – délaisse parfois, ou qu’il oublie de nourrir. Boby ne comprend pas très bien ces oublis et pense qu’il doit avoir fait quelque chose de faux pour que son maître se comporte ainsi. Il a trop honte pour en parler aux autres chiens.

C’est seulement lorsque son ami Felix parle de l’expérience d’un autre chien et de sa maîtresse et qu’il explique que les bouteilles qui se trouvent dans la poubelle indiquent que Fred est malade que Boby réalise deux choses. Non seulement il n’est pas responsable de cette situation, mais il existe aussi un espoir pour Fred.

Briser un tabou

L’ISPA estime qu’il y a dans le pays quelque 100’000 enfants dont les parents ont un problème avec l’alcool.

L’impact sur ces enfants peut être dévastateur, rappelle le directeur de l’Institut, Michel Graf. Comme Boby, ils ne comprennent pas pourquoi leurs parents ont des sautes d’humeur, sont déprimés ou agressifs.

Le problème peut se manifester de plusieurs manières. Monika, qui a grandi avec un père alcoolique et qui a plus tard épousé un homme qui a également développé un problème avec l’alcool, a parlé de son expérience à swisisnfo.ch.

«Enfant, c’est avec ma mère que j’avais une relation difficile, raconte-t-elle. Elle faisait de son mieux pour cacher le problème de mon père, mais je la sentais souvent triste ou en colère. Elle devait faire tellement de choses qui auraient normalement incombé à mon père et elle était tellement attentive à présenter une image parfaite à l’extérieur qu’elle était vraiment sous pression et dépressive.»

Ironiquement, son père a pour sa part toujours été très gentil avec elle. «Peut-être parce qu’il se sentait coupable», commente Monika.

Mais Monika admet avoir fait «exactement les mêmes erreurs» avec ses propres enfants. «C’est seulement lorsque j’ai recherché de l’aide pour moi-même en relation avec les problèmes de notre mariage que j’ai été capable de commencer à en parler, notamment aux enfants, et de parler ouvertement de l’alcoolisme comme d’une maladie.»

Comme l’expérience que Monika a connu avec sa mère le montre bien, le tabou entourant l’alcoolisme ajoute encore au stress lié au fait de vivre avec cette dépendance. La campagne avec Boby le chien vise à briser ce tabou.

Prise de conscience

Le livre de Boby a été distribué dans les crèches et les garderies de tout le pays. Il n’est pas pour autant assuré de tomber entre les mains des enfants qui en ont le plus besoin. L’idée est donc aussi de développer la conscience de tous ceux qui le lisent, afin qu’il puisse eux aussi jouer le rôle de Felix.

C’est la raison pour laquelle cette campagne se fait au travers du réseau postal. Les guichets sont vus comme un bon moyen d’atteindre un maximum de public, parce que tout le monde ou presque y passe. Or, plus la prise de conscience du public sera grande, plus cela aidera les parents à accepter leur dépendance comme une maladie qui peut être traitée.

Un projet pilote

Pendant de nombreuses années, on a largement ignoré les problèmes des enfants d’alcooliques, note Irene Abderhalden, membre de l’ISPA. Par ailleurs, très peu de programmes se sont intéressés spécifiquement à ces enfants.

Bien que les parents veuillent faire de leur mieux pour leurs enfants, il leur est souvent difficile d’admettre qu’ils ont un problème. Beaucoup sont effrayés, car ils pensent que leur enfant leur sera enlevé s’ils révèlent leur dépendance.

Mettre sur pied un réseau d’aide efficace n’est pas une tâche facile; cela nécessite des années de travail. En effet, un tel réseau demande une coopération entre des spécialistes de différents domaines, notamment des écoles, des médecins et des thérapeutes, afin d’atteindre le plus grand nombre possible d’enfants.

Un projet pilote débutera l’année prochaine dans le canton d’Argovie avec le soutien de l’Institut et de la Fondation argovienne pour l’aide aux personnes victimes d’addictions. Les enfants âgés de 8 à 15 ans pourront s’exprimer dans des groupes de discussion et il y aura bien sûr aussi des cours à l’intention des parents.

Il est clair que ce projet n’atteindra pas tous les enfants concernés. Mais l’ISPA estime que si 20% d’entre eux le sont, ce sera déjà un excellent résultat.

Julia Slater, swissinfo.ch
(Traduction de l’anglais: Olivier Pauchard)

Selon une estimation que l’ISPA qualifie de «prudente», quelque 100’000 enfants en Suisse ont au moins de leurs parents dépendant de l’alcool.

Ce n’est que récemment que les chercheurs ont commencé à s’intéresser aux problèmes que rencontrent ces enfants. Les premières études ont été faites dans la partie germanophone de l’Europe dans les années 90.

Les parents alcooliques ont tendance à créer une insécurité dans leur foyer, et leurs enfants ni trouvent pas les repères dont ils ont besoin pour se structurer.

On estime qu’un tiers environ d’entre eux vont reproduire le même problème dans leur vie d’adulte, un tiers vont souffrir de problèmes psychologiques et un dernier tiers pourra vivre une vie normale.

On ne sait pas pourquoi certains enfants résistent mieux que d’autres. Mais le fait de pouvoir en parler et d’avoir des activités hors du chaos de la famille est certainement bénéfique.

Le livre d’images «Boby» a été écrit pour l’ISPA par Marie-Claude Amacker, enseignante spécialisée forte d’une longue expérience avec les personnes dépendants de l’alcool.

Il est disponible en Suisse, en français et en allemand. Il a été publié en édition brochée en 2006 et en cartonné en 2007, grâce aux dons récoltés par l’ISPA. 4000 exemplaires de cette édition ont été distribués dans les crèches, les jardins d’enfants et les librairies.

Afin de relancer la campagne, les offices de poste d’une certaine importance distribuent dès la mi-novembre des peluches miniature à l’image de Boby, attachées à un porte clé.

Le petit chien connaît également une carrière internationale. Le livre a été publié en flamand en Belgique et en anglais en Ecosse, où on l’a rebaptisé Rory.

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