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Amnistie fiscale italienne: la Suisse risque gros

Keystone

Plus de cinq milliards de francs suisses pourraient rentrer en Italie à la faveur de la troisième amnistie fiscale décrétée par Rome. La Suisse observe avec attention, car pas mal de cet argent sortira des coffres de ses banques.

Selon le ministre italien de l’économie, près de 550 milliards d’euros de capitaux transalpins reposent sur des comptes à l’étranger. Et plus de la moitié de ce montant serait placé sur la place financière suisse, dont l’essentiel au Tessin.

Les détenteurs disposent d’un délai de six mois à partir du 15 octobre 2009 pour rapatrier leurs avoirs en Italie. Après s’être acquittés d’une taxe de 5% (contre les 2,5% des précédentes amnisties décrétées par Rome), l’argent pourra entrer dans le circuit économique légal.

On s’y attendait

L’annonce de l’amnistie n’est pas une surprise. L’amendement de la loi sur le décret anticrise (ou plan de relance économique) était en gestation depuis plusieurs mois. Il doit permettre de répondre à la crise économique qui sévit dans la Botte, dont le recul du PIB est l’un des plus sévères enregistrés dans l’Union européenne depuis l’effondrement des marchés.

La base légale vient d’être bouclée juste à temps avant la pause estivale, mais «il faut encore attendre que l’Europe nous donne son feu vert», a souligné, Giulio Tremonti. Une réaction de Bruxelles par ailleurs très attendue par tous les observateurs qui dénoncent les amnisties à répétition promulguées par le gouvernement italien depuis 2001.

Etat complice de la mafia

Les détracteurs de la mesure fustigent le gouvernement et dénoncent une absence de morale qui n’a d’égale, selon eux – partis de gauche et syndicats en tête – que les pratiques de la mafia, dont l’Etat se ferait précisément le complice. «Une base légale criminelle !», s’est écrié le député du parti Italia dei Valori, Antonio di Pietro.

«Il suffit de s’acquitter d’une taxe de 5% pour légaliser le fruit d’activités criminelles. Autant confier immédiatement la gestion de l’Etat à Totò Riina ! [ndr : un célèbre boss de la mafia]».

Mais la question de la moralité de l’Etat n’embarrasse pas Giulio Tremonti: «Ce n’est pas le fisc italien qu’il faut critiquer, mais bien les paradis fiscaux étrangers par la faute desquels les capitaux italiens prennent la fuite. Il faut fermer ces cavernes d’Ali Baba !», a rétorqué le ministre lors d’une conférence de presse à Rome.

Les réserves de la Suisse

Alors que la Suisse n’ose même pas envisager l’idée de prononcer une amnistie fiscale fédérale, quarante ans après le dernier exercice du genre, prononcé en 1969 (et qui avait rapporté 11 milliards de francs), l’Italie de son côté en est à son troisième exercice en moins de neuf ans.

Les deux volets des scudi Tremonti de 2001 et 2003 s’étaient soldés par le rapatriement de quelque 80 milliards d’euros dans la Péninsule. Mais plus de 60% des avoirs italiens qui avaient quitté la Suisse avaient été habilement récupérés par les banques helvétiques, qui avaient pris la peine d’ouvrir des guichets on shore en Italie.

Cette fois encore, une partie de cette fortune de retour pourrait bien suivre la même voie. Mais à la différence de 2001 et 2003, la crise frappe durement une économie italienne en apnée. Du coup, une partie des patrons d’entreprises italiens seront soulagés de pouvoir utiliser leurs liquidités pour financer leurs activités, voire échapper à la banqueroute.

Prudence de mise

En attendant, prudence et torpeur estivale aidant, l’annonce du décret Tremonti n’a pas (encore) suscité de vague de panique. Forts de l’expérience des deux précédentes amnisties, les banquiers du Tessin (troisième place financière helvétique), attendaient le scudo III et ont eu ont le temps de s’y préparer.

Pour Claudio Generali, président de l’Association bancaire tessinoise (ABT): «L’aspect déterminant pour la place financière tessinoise est de connaître la date à laquelle seront énoncés les critères pour lesquels les accords de double imposition, donneront suite à des demandes d’information provenant de l’étranger».

Alfredo Gysi, directeur de la Banca della Svizzera italiana et président de l’Association des banques étrangères en Suisse estime qu’«il faut attendre les détails des modalités de rapatriement des avoirs italiens. Lors des précédentes amnisties, ces indications tardives avaient passablement freiné les ardeurs».

Mais la manœuvre italienne inquiète néanmoins les acteurs de la place financière tessinoise. Le Centre d’études bancaires de Vezia, près de Lugano, vient juste d’annoncer un cycle de conférence et d’information à l’adresse de ses membres, qui démarrera dès le mois de septembre.

Nicole della Pietra, swissinfo.ch

Selon le gouvernement italien, 550 milliards d’euros appartenant à des Italiens seraient placés sur des comptes à l’étranger, et plus de la moitié de cette somme reposerait sur des comptes en Suisse et au Tessin en particulier.

L’amnistie fiscale qui vient d’être promulguée par le ministre italien de l’économie, Giulio Tremonti, est la troisième du genre. Les deux premiers scudi avaient eu lieu en 2001 et 2003.

Les deux amnisties italiennes I et II avaient vu quelque 30 milliards de francs quitter la place financière tessinoise. De nombreux observateurs s’accordent à dire que ce troisième volet pourrait être «plus douloureux» que les précédents.

La dernière amnistie fiscale prononcée par la Suisse au niveau fédéral remonte a quarante ans. Elle avait permis de récupérer 11 milliards de francs suisses.

La conférence des ministres cantonaux des finances planche actuellement sur une proposition de la Tessinoise Laura Sadis, en vue d’une nouvelle amnistie à titre de plan de relance économique.

Les banquiers tessinois, réunis sous l’égide de l’Association bancaire tessinoise (ABT) et même le maire de Lugano, Giorgio Giudici, soutiennent l’initiative de la Lega dei Ticinesi et de l’UDC (droite conservatrice), visant à ancrer le secret bancaire dans la Constitution suisse.

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