Des perspectives suisses en 10 langues

Apologie de l’inutile pendant l’Euro

La boule d'or roulera sept fois jusqu'en 2108.

«Le rien en or»: c'est le titre d'une action menée par l'inclassable Dieter Meier avant, pendant et longtemps après l'Euro à Zurich. Vendredi soir a été présentée pour la première fois «La Boule d'or centenaire». Mais tout cela n'a rien à voir avec le football!

«Je planifiais ce projet depuis longtemps, mais il n’a rien à voir avec l’Euro. Celui-ci est seulement l’occasion de réaliser mes manifestations.»

Avec l’Euro, le musicien et artiste zurichois Dieter Meier a néanmoins trouvé une plateforme idéale pour sa dernière idée, et la ville de Zurich s’est montrée si enthousiaste qu’elle a fourni toutes les autorisations nécessaires.

A la première lecture, on se demande s’il ne s’agit pas d’un gag, tant l’absurde est au rendez-vous.

Avec «le projet Le Rien en Or, Dieter Meier, président de l’Association des Maîtres de Rien (AMR) va dorer toute une série d’objets insignifiants tels que balustrades de pont, plaques de signalisation, trams…», annonçait mi-avril la ville de Zurich, ou plutôt l’organisation «Nous vivons Zurich», créée pour donner un cadre à toutes les manifestations de la ville autour de l’Euro.

Avec le maire

Il ne s’agit donc pas d’un gag. Le maire de Zurich, Elmar Ledergerber, devait assister vendredi soir à la première action du programme. Il deviendra même membre d’honneur de l’AMR.

Dans l’invitation, l’AMR expliquait qu’à 19 heures, dans le hall principal de la gare, une Boule d’or centenaire créée pour l’occasion roulera pour la première fois sur le «Bois du voyage», long de 12 mètres puis sera rangée dans une sorte de puits.

Sept fois, jusqu’en 2108, elle sera sortie, roulera, et rentrera dans sa boîte, trois fois à Hambourg, quatre fois à Zurich, après quoi elle devra être jetée. Les dates ont été choisies totalement au hasard.

Contrats avec Zurich

Dieter Meier est très sérieux lorsqu’il explique: «C’est une sorte de memento mori. La boule roulera huit fois en 100 ans et on pourra dire que c’était sa vie. Ce ridicule petit mouvement lent me survivra assurément».

L’artiste a un contrat avec Zurich. «La boule sera sortie aux dates fixées et, dans le cas improbable où la gare devait être détruite durant ces 100 prochaines années, la caisse devra être placée ailleurs.»

La ville ne verse pas un centime pour tout ce programme. «La fondation des Maîtres de Rien a un hectare de vigne en Argentine (où Dieter Meier exploite une ferme et pratique l’agriculture biologique, ndlr) et le produit de la vente de ce vin servira à organiser les manifestations et à les entretenir», explique le musicien.

Rien donc, ni la boule de même forme que le ballon, ni l’or comme le but final, n’est lié au football. «Non, non, dit Dieter Meier en levant les bras, quand on lui pose la question.» Des explications supplémentaires restent donc bel et bien nécessaires.

«Refuser l’utilitarisme»

«Je refuse l’utilitarisme consistant à donner de l’importance et une utilité à tout. Beaucoup de gens pensent que leur vie est un moyen pour atteindre un but et passent totalement à côté de la vie. C’est la vie, le but. J’ai emprunté ma devise au célèbre alpiniste français Lionel Terray, qui a intitulé son autobiographie «La conquête de l’inutile». Notre vie est inutile, non pas parce qu’elle n’a pas de sens, mais parce qu’elle ne sert aucun autre but qu’elle même.»

Dieter Meier utilise beaucoup le français pour son programme «de l’inutile», «un peu par coquetterie en pensant à l’avant-garde», dit-il.

Vise-t-il le succès? «Le succès n’est que le fruit du hasard, répond-il. Je ne dirai jamais que c’est moi qui en suis la cause… En fait, cela m’est égal. J’ai déjà perdu des manuscrits, oublié des expositions. Tout ce qui reste de nous, ce sont les traces de nos pieds qui ont marché pendant quelques dizaines de milliers de secondes. C’est sans importance…»

swissinfo, Ariane Gigon à Zurich

Le programme «Le Rien en or» s’inscrit dans le cadre des manifestations entourant l’Euro de football à Zurich. Mais il n’a rien à voir avec le football.

Entre mai et juillet 2008, le musicien et artiste Dieter Meier va mettre une feuille d’or de 18 carats sur 11 objets «insignifiants» de la ville de Zurich, quai de gare, bout de balustrade, gouttière, etc.

La première action est un programme en soi: le 9 mai à la gare de Zurich roulera pour la première fois la «Boule d’or centenaire», qui sera activée sur un «bois du voyage» avant d’être rangée dans un puits. Elle sera ensuite sortie sept fois ces 100 prochaines années, à Zurich et à Hambourg (en 2016, 2033, 2064, 2082, 2097, 2108)

Un des nombreuses actions de Dieter Meier se rapprochant le plus de la Boule d’or centenaire a été sa pose d’une plaque à Kassel en 1972 sur laquelle était écrit «On March 23 1994, from 3 to 4 pm, Dieter Meier will stand on this plaque» («le 3 mars 1994, entre 3 et 4 heures de l’après-midi, Dieter Meier se tiendra sans bouger sur cette plaque»). Il avait tenu sa promesse.

Né en 1945 à Zurich, fils d’une riche famille de banquiers, Dieter Meier, après des études de droit, s’est fait remarquer sur la scène artistique zurichoise vers la fin des années 60.

«Après coup, je me rends compte que dès le début, j’ai tenté d’approcher les manifestations du rien et de l’inutile. En 1970, j’ai tracé un parcours au sol et j’ai demandé aux passants de me dédier leur marche sur ces rails. A New York, je proposais 1 dollar aux gens pour qu’ils me disent un «oui» ou un «non».

C’est avec la musique que le succès sera – vraisemblablement – pas totalement inutile: avec Boris Blank, il crée le groupe Yello et vend des millions d’albums, aujourd’hui encore.

Il a aussi réalisé des clips vidéos et des films («Jetzt und Alles», 1981 et «The Lightmaker», 2001) et est aussi écrivain. Il est en train de terminer une pièce de théâtre, «Goldfisch».

Depuis quelques années, Dieter Meier possède une exploitation d’agriculture biologique en Argentine. Il y est devenu vigneron et vend ses produits dans un restaurant au centre de Zurich, «Ojo de Agua».

En conformité avec les normes du JTI

Plus: SWI swissinfo.ch certifiée par la Journalism Trust Initiative

Vous pouvez trouver un aperçu des conversations en cours avec nos journalistes ici. Rejoignez-nous !

Si vous souhaitez entamer une conversation sur un sujet abordé dans cet article ou si vous voulez signaler des erreurs factuelles, envoyez-nous un courriel à french@swissinfo.ch.

SWI swissinfo.ch - succursale de la Société suisse de radiodiffusion et télévision

SWI swissinfo.ch - succursale de la Société suisse de radiodiffusion et télévision