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Pipilotti Rist tient sa première rétrospective

Pipilotti Rist a promis de se mêler incognito aux visiteurs... Keystone

Le Musée des beaux-arts de St-Gall rend hommage à une des plus célèbres artistes suisses avec une rétrospective sur Pipilotti Rist, qui fête ses 50 ans cette année et illumine les salles du musée avec ses œuvres colorées.

Le titre de l’exposition a un nom improbable, comme il est d’usage dans l’art de Pipilotti Rist: Caméras mues par le sang et des espaces jaillissants (Blutbetriebene Kameras und quellende Räume). Cette première rétrospective suisse a été conçue en collaboration avec l’artiste tout spécialement pour les espaces du Kunstmuseum de St-Gall.

Selon le respecté Kunstkompass de 2011 (un ranking artistique créé en 1970), Pipilotti Rist fait partie des 10 artistes contemporains les plus importants au monde. Elle a déjà reçu des commandes des musées les plus prestigieux, y compris du Musée d’art moderne de New York, le MoMA.

Le Kunstmuseum de St-Gall présente une vingtaine de travaux, anciens et récents, dans des espaces agencés sur mesure pour le format des œuvres de l’artiste. De quelques centimètres à une salle entière, elles sont de toutes tailles, mais reliées par un point commun: leurs vives couleurs, «marque de fabrique» de l’artiste.

Points de vue inédits

«La vidéo et le son sont de mauvaises copies de nos sens, a expliqué Pipilotti Rist à swissinfo.ch. C’est pourquoi j’essaye tous les formats… pour faire comme si nous sortions nos yeux de nos têtes et les suspendions dans l’air.»

Et de fait, les œuvres d’art donnent au spectateur des points de vue théoriquement impossibles à adopter, comme dans Belle étoile (Unter freiem Himmel), une vidéo projetée sur le sol carrelé du musée. Les images donnent l’impression d’une terre tournant comme une toupie et vous invitent à marcher dessus.

Le curateur Konrad Bitterli ne cache pas qu’il lui importait tout particulièrement de rendre hommage à cette dimension des œuvres de Pipilotti Rist: «L’immersion du spectateur. Nous sommes tous invités à devenir une partie des installations, à être séduits par ses images et à jouer avec.»

L’œuvre St Galler Antimateria anime intelligemment le ciel à l’arrière-plan et le lac au premier plan d’un tableau du peintre pré-impressionniste Camille Corot en projetant une vidéo sur la reproduction. Les images animées épousent exactement les lignes du tableau, enveloppant l’arbre feuillu et les montagnes du paysage.

«Un nouveau langage»

La carrière de la Saint-Galloise a véritablement pris son envol en 1993, lorsque sa galerie d’alors, Stampa, à Bâle, organise une exposition solo. L’année suivante, la galerie n’expose que des œuvres de Pipilotti Rist à la Foire de Bâle.

«Elle avait fait sensation», se souvient la directrice de la galerie, Gillian Stampa. «Il y avait d’une part le nouveau langage artistique inventé par Pipilotti avec la vidéo et, d’autre part, une position volontairement féminine.»

Le point de vue féminin est devenu une marque distinctive de l’art de la Suissesse, comme la rétrospective le montre bien. Parmi ses premières œuvres, on peut admirer Pickelporno et I’m not a Girl that Misses Much (Je ne suis pas une fille qui nous manque beaucoup).

L’installation Hiplights or Enlighted Hips (Lumières à la hanche ou hanches éclairées) accueille les visiteurs à l’entrée du musée. Les couleurs vives et le charme de Pipilotti Rist rendent l’art accessible et facile à comprendre à tout un chacun.

«Mon art est destiné à tout le monde, a-t-elle déclaré lors du vernissage. Il y a 50% de chance qu’un enfant naisse garçon…»

D’autres œuvres révèlent aussi une dimension politique ou sociale plus large. C’est le cas de Lippenbekenntnis (Belles paroles), tout en rouge monochrome, dédiée aux victimes des camps de travail nord-coréens.

Art «féministe»

Pour Roland Wäspe, directeur du Kunstmuseum de St-Gall, Pipilotti Rist n’a pas varié d’un millimètre dans ses convictions. «Etre féministe, cela veut dire être autonome en tant qu’individu. Avec le succès qu’elle rencontre en tant qu’artiste femme, Pipilotti transforme un monde technique masculin en monde accessible à tous. Ce travail est très féministe.»

Le curateur Konrad Bitterli, lui, se demande si cette étiquette est vraiment très utile. «A mon avis, les étiquettes sont contreproductives pour les œuvres d’art, explique-t-il. Elles réduisent leur portée en limitant la perspective que nous lui attribuons. Certaines artistes femmes insistent peut-être sur le fait d’être féministes, mais je crois que la majorité d’entre elles veulent être connues en tant qu’artistes.»

En revanche, l’étiquette «femme» ou «féministe» n’a aucun effet réducteur lorsqu’il s’agit de ventes… «De nombreuses artistes femmes jouent en première ligue, comme Sylvia Bächli ou Sylvie Fleury. Mais c’est le contenu qui est important, non le fait que l’artiste soit homme ou femme», note Jörg Lederle, spécialiste du marché de l’art.

Pipilotti Rist n’est en tout cas pas indifférente à ce que le public pense de son travail. «J’enlèverai mes lunettes et me coifferai autrement pour me mêler aux visiteurs, affirme-t-elle. J’aime être comme un spectateur normal, lancer des discussions pour savoir ce que les autres pensent honnêtement. Je le ferai aussi souvent que possible.»

1962: née le 21 juin à Grabs, dans le canton de St-Gall.

1982-1986: études d’art, d’illustration et de photographie à l’Institut des arts appliqués de Vienne (Autriche).

1986-1988: études de communication audiovisuelle à l’Ecole de design de Bâle.

Depuis 1986: œuvres et installations vidéo et audio.

1988-1994: membre du groupe de rock féminin «Les Reines Prochaines».

1997-1999: directrice artistique de l’Exposition nationale suisse (Expo.02)

2002: professeure invitée à l’UCLA, Los Angeles.

2005-2009: produit son premier film de fiction Pepperminta.

Depuis 2004: vit et travaille notamment à Zurich. Son chiffre préféré est 54, elle a un fils né en 2002 et elle déteste  tabous et  stéréotypes.

L’exposition Des caméras mues par le sang et des espaces jaillissants (Blutbetriebene Kameras und quellende Räume) du Kunstmuseum de St-Gall est la première rétrospective consacrée à Pipilotti Rist, 50 ans cette année, en Suisse.

Elle est à voir jusqu’au 2 novembre 2012.

Préparée en collaboration avec la Hayward Gallery de Londres et la Kunsthalle de Mannheim, elle présente une vingtaine d’œuvres.

(Traduction de l’anglais: Ariane Gigon)

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