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Au Congo, une ONG suisse amène la justice au village

Mike Hoffman (à gauche) au cours d'un 'procès' tenu lors d'une Chambre foraine. Photo Vivere

Au Sud Kivu, dans l'Est de la République démocratique du Congo (RDC), Vivere organise des procès dans des régions reculées pour permettre aux victimes de tortures et de violences sexuelles de retrouver justice.

Une façon pour cette ONG lausannoise, dirigée par Mike Hoffman, de lutter concrètement contre l’impunité.

En cette matinée de décembre, une grande foule se presse autour de la place centrale de Baraka, dans le Sud Kivu. La journée est historique : pour la première fois, sur ces hauts plateaux à trois jours de piste de la capitale régionale, Bukavu, des militaires suspectés des pires exactions vont être jugés par un tribunal.

En République démocratique du Congo, près de 4 millions de personnes sont mortes en six ans et des dizaines de milliers de civils sont victimes de tortures, de violences sexuelles et de rapts. Dans 99% des cas, les responsables sont des militaires qui restent presque toujours impunis.

Mais aujourd’hui c’est le tribunal militaire in corpore qui a fait le déplacement de Baraka pour cet exceptionnel procès de brousse.

Pas d’exécutions capitales

«Depuis 2006, nous avons organisé trois Chambres foraines et la prochaine est prévue dans quelques jours», nous explique Mike Hoffman, président de Vivere, petite association lausannoise à l’origine de l’initiative.

«A ce jour, une vingtaine de militaires ont été jugés et condamnés à des peines allant jusqu’à vingt ans de prison.» Même si la peine capitale est prévue par le code pénal militaire congolais, une entente a été conclue avec les autorités pour qu’aucune condamnation à mort ne soit instruite lors des opérations soutenues par Vivere.

La plupart des prévenus sont des multirécidivistes qui faisaient régner la terreur dans toute la région. «Aujourd’hui, ça commence à changer», se réjouit Hoffman.

Le déclassement de maîtres sanguinaires



Ce militant de long date, ancien collaborateur de Terre des Hommes, en est convaincu : juger les suspects là-même où ils auraient commis les crimes sert à lutter contre l’impunité. Preuve que même dans les zones les plus reculées personne n’échappe à la justice.

Et à l’entendre l’impact est spectaculaire: «C’est impressionnant de voir 300 personnes se passionner deux jours durant pour les délibérations de la cour, d’autant que les criminels sont souvent connus. Pour la population, c’est le déclassement de maîtres sanguinaires».

Selon lui, la donne est en train de changer dans la région et même les militants de son association partenaire sur le terrain osent plus s’affirmer face aux militaires. Pour preuve, il évoque le cas d’une fille de quatorze ans enlevée par un militaire qui en avait fait son esclave sexuelle.

«Nous sommes allés la chercher directement chez lui et l’avons ramenée à ses parents, sans nous laisser impressionner par ses intimidations. » Car les autorités, même civiles, commencent à comprendre qu’elles ne sont pas au-dessus des lois.

«J’ai été accosté par le comandant de police responsable de toute la région qui m’a avoué à demi-mot que ses hommes aussi, de temps en temps, commettent peut-être des bavures. Pour les prévenir, nous avons conçu ensemble un programme de formation aux droits de l’homme pour les policiers, qui va se tenir fin mars. »

Des coûts dérisoires

Pour effectuer ce travail pionnier, Vivere s’appuie sur l’UCPDHO, une minuscule ONG locale dirigée par un avocat, Samy Mukombozi, qui négocie avec les juges militaires, les procureurs et les magistrats. Ce qui n’est pas une mince affaire, car ceux-ci sont souvent réticents à faire un déplacement aussi long et craignent pour leur sécurité.

Quant aux avocats de la défense, Vivere met un point d’honneur à payer leurs frais, «sinon personne ne voudrait défendre les criminels, qui se verraient commettre un avocat d’office, souvent de piètre motivation.»

Justement, combien coûtent ces opérations? «1800 US$. Notre intention est d’organiser quatre Chambres foraines par an, mais nous n’y sommes pas arrivés faute de moyens financiers.» Malgré un coût si dérisoire? Mike Hoffmann fait remarquer que Vivere – petite association créée en 1999, forte de cinq personnes actives et d’une cinquantaine de membres cotisants – ne compte que sur les dons du public.

«La première Chambre foraine, un de nos membres l’a financée de sa poche. Pour la deuxième, nous avons puisé dans les fonds de l’association et pour la troisième et quatrième nous avons reçu le soutien d’une ONG amie. Nous manquons d’argent, mais aussi de forces humaines, car tous les militants ont un travail et s’engagent pour l’association pendant leur temps libre.»

Leçons de pugnacité

Les Chambres foraines sont la composante juridique d’une action de plus grande envergure menée par Vivere en RDC, où l’association soutient une dizaine de maisons d’accueil pour femmes victimes de violences sexuelles.

Elles y reçoivent des soins médicaux et psychologiques et peuvent passer des tests de dépistage pour les maladies sexuellement transmissibles. De belles leçons de pugnacité qui ont valu à Vivere le Prix d’Etat des droits de l’homme 2007 de la République française.

swissinfo, Isolda Agazzi/Infosud

Les Chambres foraines font partie de la «justice transitionnelle», une forme de juridiction qui vise à rechercher la vérité et punir les coupables après un conflit.

Le cas le plus connu, mais aussi le plus controversé, est celui des «Gacaca» au Rwanda.

Ces tribunaux populaires avaient été créés après le génocide de 1994 pour juger rapidement le plus de prévenus possibles.
La coopération suisse a soutenu les « Gacaca » jusqu’à fin 2005. Depuis, l’aide a été interrompue car le processus « était devenu une machine à produire des accusés – presque un million à ce jour – et à les juger sans un niveau acceptable d’équité et sans respect d’un droit minimal à la défense» selon Yvan Pasteur, chargé du dossier.

«Dans le cadre d’une justice de transition, on peut accepter que de telles normes internationales ne soient pas entièrement respectées, mais il y a des limites que les autorités rwandaises ont largement dépassées. L’instruction à charge s’est faite par une administration aux ordres du gouvernement, les aveux ont été encouragés par des réductions massives des peines, les procès étaient menés dans des conditions inéquitables et de manière précipitée – souvent quelques heures – sans interrogation de témoins à décharge.»

Fondée en octobre 1999, cette organisation humanitaire sans but lucratif s’est donné pour but de «rétablir le droit élémentaire de vivre à des personnes risquant d’en être privées par une discrimination inacceptable».

Concrètement, cela se traduit par un soutien, souvent financier, mais aussi méthodologique, organisationnel ou militant à de petites structures actives sur le terrain.

Vivere est présente en République démocratique du Congo, pour l’assistance médicale, sociale et juridique aux victimes de torture ou de violences sexuelles, au Maroc, pour la sauvegarde de mères seules en très grande difficulté, en Moldavie, Ukraine et Ouzbékistan, pour l’assistance aux victimes de l’esclavage sexuel, et en Colombie, pour un programme nutritionnel pour enfants et femmes enceintes ou allaitantes.

En 2006, le budget de l’organisation s’est établi à quelque 75’000 francs suisses, alimenté par des dons privés et institutionnels et par les cotisations des membres. Les plus gros postes des dépenses ont été les engagements au Congo (près de 30’000 francs), en Moldavie (20’000) et en Ouzbékistan (10’000).

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