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Au Paléo Festival, Portishead fait oublier la gadoue

Beth Gibbons, une voix toujours plus affirmée au sein du groupe de Bristol. Keystone

Dans la poussière de 1998, ils avaient dévasté plus d’un festivalier. Les Anglais de Portishead étaient de retour au Paléo Festival de Nyon mercredi, au lendemain du coup d’envoi d’une 36e édition noyée dans la boue. Contrat rempli.

Dans les magasins de Nyon, la botte caoutchouc a la cote. Un quotidien régional a même consacré un mini-reportage au rush. Car la pluie est au rendez-vous du roi des festivals open air du pays, après plusieurs éditions sèches. Elle devrait le rester, au moins par intermittences, jusqu’au final de dimanche.

D’entrée de jeu mardi, les organisateurs ont même déclenché en mode partiel leur plan Diluvio, qui prévoit la fermeture de parkings sur l’herbe et l’ajout de bus. La gadoue… Mais l’industrie de la botte caoutchouc ne cartonne pas seulement sur les bords de Lac Léman. Paléo draine en effet son public loin à la ronde, bien au-delà de son bassin naturel.

Le festival s’est amusé l’an dernier à tirer le profil de ses amateurs, au moyen d’un sondage en face à face. Résultat: la moitié viennent du canton de Vaud, le troisième canton suisse par la population, et trois sur dix de Genève.

Paléo peine à séduire les Confédérés de langues allemande et italienne (2%), qui ont de quoi sustenter leurs oreilles à Berne, Frauenfeld, St. Gall et ailleurs. Par contre, le festival de Nyon se taille un joli succès en France, avec tout de même un spectateur sur dix arrivant de l’Hexagone voisin. Et un sur cent, d’ailleurs dans le monde.

Si l’âge ne fait rien à l’affaire, il s’avère que 60% des festivaliers ont moins de trente ans. A l’autre bout de la pyramide, quinze sur cent ont la cinquantaine passée. Et la très grande majorité n’en sont pas à leur première expérience paléo qui, cette année, prend un tour résolument anglo-saxon, voire nerveusement rock.

«Assez peu d’artistes francophones sont sur la route, a expliqué le patron de Paléo Daniel Rossellat sur les ondes radiophoniques. Contrairement à beaucoup d’anglo-saxons. Cela donne évidemment une couleur particulière. Mais qui dépend beaucoup de la conjoncture des tournées.»

Les cachets qui montent

Fondateur du festival et maire de la ville qui l’accueille, le même Rossellat a aussi son explication sur l’explosion des cachets des artistes. Une tendance qui conduit du reste Paléo à travailler avec 24 autres festivals européens afin d’échanger infos et compétences et opposer une identité forte aux obsédés de la cagnotte.

«La vraie explication de la hausse des contrats, c’est la forte augmentation du nombre de festivals, estime Rossellat. Nous, on fait ce qu’on peut avec ce qu’on a. On ne peut pas tout se permettre. (…) Mais la poésie est dans les chansons, pas dans les contrats.» 

La poésie, justement. En 1998, la poussière râpait la gorge et Portishead mouillait les yeux. Treize ans plus tard, le trio de Bristol, augmenté d’un second batteur et d’une deuxième guitare est passé à autre chose. La musique qui fend le cœur, le blues de synthèse tirant son ADN des musiques de film de John Barry (James Bond, Amicalement vôtre), les nappes suaves, c’était hier. Même si les textes restent fidèles à l’introspection et aux bleus à l’âme.

Aujourd’hui, Portishead donne toute sa mesure lorsque Geoff Barrow martèle ses peaux tribales. Lorsque la guitare d’Adrian Utley tombe du ciel, anglée, vibrante. Lorsque la voix dorénavant très en avant de Beth Gibbons nie sa fragilité. Plus organique mais plus abstraite aussi, naviguant entre épure et flot bruitiste, cette musique convoite davantage la tête et les corps.

Une heure quinze minutes

Le trio augmenté a dispensé mercredi quatorze titres alignés au pas de charge, sans rappel. Une heure quinze montre en main. Dans le lot, plusieurs titres des deux premiers albums. Comme Glory Box, Sour Times, Mysterons ou Roads. Livraisons sans faille, mais exemptes de la brûlure qui les a un jour rendus nécessaires.

Wandering Star a fait exception, trainée poétique portée par le vibrato de Beth Gibbons et Geoff Barrow à la guitare. De quoi inciter à sortir les briquets. Mais c’est bien avec les titres de Third, dernier album en date, que Portishead a convaincu.

Avec We Carry On par exemple en guise de claque ultime, avec aussi Magic Doors, livré presque à l’arrache, très rock tellurique, qui a secoué les festivaliers massés devant la Grande scène. Morceaux parmi les plus réussis dans la carrière du groupe, Machine Gun a lui aussi mis tout le monde d’accord, plus incontestable que son titre.

Presque cinq heures plus tôt, Geoff Barrow avait déjà donné de la baguette, au sein d’un projet plus personnel et radical. Une sorte d’aboutissement ponctuel baptisé Beak>. Claviers-guitare/basse/batterie. Un trio cool pour une musique qui ne l’est pas.

Pas franchement guillerette

Dans la forme, le magma proposé par Beak> fonctionne par longues phases progressant en crescendo, sur un même accord ou un arpège, tempi moyens, binaires, martelés avec détermination, irrémédiables.

C’est un peu schématique, mais ça dit le côté à la fois répétitif, souvent tendu, d’une musique qui donne beaucoup moins dans la mélodie que dans l’efficacité caverneuse, noyant les plaintes et les scansions de la voix très en arrière, quasi synthétique, de Geoff Barrow.

Une musique sans apprêt, d’apparence primitive, aux codes qui échappent à l’auditeur moyen, parfois gagné par l’ennui. L’émotion? A petites doses seulement, au moment de paroxysmes distordus, au détour de griffures au clavier ou d’accord dissonants. Mais les tripes des festivaliers ont nettement résisté.

La 36e édition du Paléo festival a lieu à Nyon, sur les bords du Lac Léman, jusqu’au dimanche 24 juillet. 102 artistes, dont 83 sont à Paléo pour la première fois, participent à ces 6 jours et 6 nuits de musique et de fête, sur et autour de 6 scènes et plus de 200 stands. 230’000 spectateurs sont attendus pour assister aux 200 concerts et spectacles.

En 1976, le «First Folk Festival», ancêtre du Paléo, attirait 1800 spectateurs sur trois jours trois jours dans la salle communale de Nyon. Un temps installé sur la prairie de Colovray, le Paléo Festival occupe depuis 1990 le site de l’Asse, une prairie de plus de 15 hectares située au nord de la cité de Nyon. Son budget atteint 23 millions de francs.

Le trio est né durant la première guerre du Golfe à Bristol. Son nom reste attaché, avec ceux de Massive Attack et de Tricky, au trip-hop, caractérisé par ses thèmes lourds et noirs et ses infrabasses.

Mais Portishead est surtout un défricheur jamais satisfait. Les trois albums studio du trio en témoignent – l’ovni Dummy en 1994, la confirmation Portishead en 97 et le radical Third en 2008. Un quatrième opus est en préparation.

Beth Gibbons (chant, 1965), Geoff Barrow (batterie, platines, production, 1971) et Adrian Utley (guitares, clavier, 1957) ont tous mené des projets en solo. Disque parfumé folk pour la première, groupe Beak> pour le deuxième, collaboration avec Bashung pour le troisième. Juste histoire de se faire une idée.

Fou d’impro, le trio britannique réunit Matt Williams (clavier), Bill Fuller (basse) et Geoff Barrow. Il a sorti son premier album en 2009.

Pour info, les spécialistes situent sa démarche à la confluence du Krautrock, de la coldwave et du dub noisy. Bref, de l’énergie brute.

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