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Mesurer l’impact réel des sanctions économiques

Malgré le programme «Pétrole contre nourriture», la population irakienne a beaucoup souffert de l’embargo décrété par l’ONU. Reuters

Depuis la fin de la Guerre froide, les Nations unies usent de plus en plus souvent des sanctions comme arme diplomatique. En Suisse, on soutient plutôt les sanctions ciblées. Mais l’impact réel reste incertain. Une vaste recherche en cours devrait permettre de mieux le cerner.

Même si les sanctions internationales – ou les embargos – sont prévues dans la Charte des Nations unies depuis 1945, c’est surtout depuis la fin de la Guerre froide qu’elles ont été appliquées, contre des pays comme l’Irak, l’Iran, la Libye ou le Rwanda notamment.

En Suisse, le Secrétariat d’Etat à l’Economie (Seco) définit les sanctions comme «l’imposition de mesures économiques restrictives en vue de produire certains effets politiques».

Mais comme l’admet Marie Avet, sa porte-parole, il est difficile de déterminer quels embargos ont été les plus efficaces pour atteindre leurs objectifs. «Le Conseil de sécurité de l’ONU ou certains Etats décident de sanctions pour s’attaquer à certains problèmes comme le terrorisme, les violations des droits de l’homme ou le non-respect flagrant des lois ou des principes fondamentaux de la démocratie», rappelle-t-elle.

Et s’il est vrai que certains embargos reçoivent une couverture médiatique plus importante que d’autres, il n’est pas possible de distinguer des régimes de sanctions «plus ou moins pertinents», ajoute Marie Avet.

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«Les sanctions ne doivent pas punir les mauvaises personnes»

Ce contenu a été publié sur Le comte von Sponeck avait démissionné de son poste en février 2000, pour protester contre des sanctions dont il ne «voulait pas devenir complice». Dans une interview à swissinfo.ch, celui qui fut aussi secrétaire général adjoint des Nations Unies s’exprime sur l’embargo contre l’Iran, sur le Printemps arabe et sur la crise en Syrie. swissinfo.ch:…

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Problématiques

Dans les dix dernières années, la Suisse a appliqué vingt séries différentes de sanctions internationales, contre des pays comme la Somalie, la Corée du Nord ou le Soudan. «Six régimes de sanctions étaient basés sur des décrets de l’Union européenne et 14 sur ceux des Nations unies. Dans trois cas – Iran, Libye et Guinée-Bissau -, les sanctions suisses sont une combinaison de décrets de l’ONU et de l’UE», précise la porte-parole du Seco.

Rien que cette année, la Suisse a remis à jour une série de sanctions contre des personnes liées à la nébuleuse ben Laden – Al-Qaïda – talibans, ainsi que contre le Zimbabwe, la Syrie et la Corée du Nord.

Le plus souvent, les sanctions frappent indistinctement les populations, avec des conséquences économiques et humanitaires qui peuvent être graves. La Suisse fait partie des pays qui s’en émeuvent et qui ont poussé au changement, pour des nouveaux modes d’application des sanctions qui les rendent plus ciblées et plus efficaces.

En 1998-1999, la Suisse a parrainé une série de conférences internationales sur les sanctions financières à l’enseigne du processus d’Interlaken. Les résultats ont été publiés en 2001 sous forme de manuel. L’Allemagne et la Suède ont ensuite repris le flambeau, en se concentrant sur les questions de restrictions de voyages, de trafic aérien, des embargos sur les armes et finalement des possibilités de mise en œuvre et de contrôle de sanctions ciblées.

En plus des Nations unies, certains Etats appliquent aussi à titre individuel différents types de sanctions et d’embargos contre d’autres pays. Un des exemples les plus connus est l’embargo commercial américain contre Cuba, en place depuis 1962.

La Havane affirme que ce blocage unilatéral, initié par Washington en réponse à la confiscation de biens américains à Cuba décidée à l’époque par le jeune régime de Fidel Castro, est la principale cause de ses problèmes économiques et aurait causé à l’île des dommages à hauteur de 108 milliards de dollars.

Cuba affirme qu’il n’y a plus aucune raison légitime ni morale de prolonger cet embargo, héritage de la Guerre froide. Mais les Etats Unis maintiennent que leur politique à l’égard de Cuba est axée sur l’encouragement des réformes démocratiques et économiques et sur un meilleur respect des droits de l’homme.

L’année dernière, le président Barack Obama a encore assoupli les restrictions sur les voyages et l’envoi de fonds à Cuba. Il s’est dit prêt à changer de politique à l’égard de l’île, à condition de recevoir certains signaux qu’il attend de La Havane, comme la libération de prisonniers politiques et des garanties quant aux droits humains de base.

Le président américain n’en a pas pour autant levé cet embargo vieux de plus d’un demi-siècle, et l’emprisonnement d’un entrepreneur américain à Cuba est venu interrompre le dégel dans les relations entre les deux pays.

Cet embargo ne concerne pas que les Etats-Unis. Il a été étendu aux firmes non américaines qui font du commerce avec l’île. En 2012, les amendes infligées aux entreprises et aux individus qui ont violé l’embargo auraient atteint un total cumulé de 622 millions de dollars.

Intelligentes

Pour Thomas Biersteker, professeur de relations internationales et de science politique à l’Institut des hautes études internationales et du développement de Genève (HEID), les sanctions intelligentes – comme le gel des avoirs ou l’embargo sur les armes – jouissent d’un soutien croissant de la part des Etats et sont devenues un élément clé de la diplomatie multilatérale.

Dans un essai publié en 2012 par l’HEID, le professeur, qui a travaillé avec l’ONU et les gouvernements suisse, suédois et allemand sur le ciblage des sanctions, détaille quelques-uns des avantages des sanctions dites intelligentes. Selon lui, elles permettent de contenir le terrorisme et les conflits armés, elles aident à consolider les processus de paix et à défendre avec succès les droits humains et elles empêchent la prolifération des armes de destruction massive.

Mais Thomas Biersteker avertit également que l’impact réel des sanctions n’est pas clair, que ce soit sur le plan économique ou sur le plan humanitaire. Le Seco admet également de son côté qu’il ne dispose pas des outils nécessaires pour mesurer l’impact des sanctions qu’il applique.

Evaluation en cours

Ces outils, certains travaillent à les façonner. Thomas Biersteker est justement un des co-directeurs d’un vaste projet de recherche à long terme lancé en 2009 et parrainé par la Suisse, le Canada et la Grande-Bretagne pour évaluer l’effet des sanctions ciblées des Nations unies.

Quinze équipes de recherche de plus de 40 universitaires et praticiens de la politique du monde entier ont passé à la loupe 21 régimes de sanctions intelligentes instaurés par l’ONU depuis 1991. Parmi les cibles, des pays comme l’Angola, la Côte d’Ivoire, la Corée du Nord, la RD Congo, Haïti, l’Iran, le Libéria et l’ancienne république de Yougoslavie, mais également des organisations non étatiques comme Al Qaïda ou les talibans.

Ce travail a déjà débouché sur une base de données consacrée aux sanctions ciblées des Nations unies à l’intention des étudiants et des politiciens ainsi que sur un guide pratique pour élaborer des sanctions intelligentes. Ceci en attendant le rapport final et complet.

«Nous travaillons aussi sur une application interactive en différentes langues pour les praticiens, qui devrait être prête pour la fin mai, explique Thomas Biersteker. Il est également prévu d’organiser des sessions de formation pour un panel sélectionné d’experts. Le défi sera alors de garder nos informations à jour, car les sanctions sont un domaine qui évolue rapidement».

avec la collaboration de Simon Bradley (Traduction de l’anglais: Marc-André Miserez)

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