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«Il est préférable de travailler avec la Chine, que de l’ignorer»

Bertrand Badré rendant visite à des travailleuses indépendantes dans l'Etat du Bihar, au nord de l'Inde en mai 2013. AFP

Lancée par la Chine en octobre 2014, la Banque asiatique d'investissement pour les infrastructures (AIIB) se pose en alternative aux autres fonds de développement, comme le FMI ou la Banque mondiale. Bertrand Badré, directeur financier de la BM, salue pourtant l’initiative. Interview.

Après avoir critiqué la création de la nouvelle banque chinoise de développement, les États-Unis viennent de lever partiellement leurs réserves. «Nous nous félicitons de la création de l’AIIB et nous l’encourageons à cofinancer des projets avec les institutions existantes telles que la Banque mondiale et la Banque asiatique de développement», a déclaré à la mi-mai le secrétaire d’Etat John Kerry lors d’une visite à Pékin. Et ce avant d’avertir: «La nouvelle banque devra se conformer à nos standards élevés pour les institutions financières mondiales.»

La Suisse est l’un des 57 pays à avoir exprimé un intérêt à se joindre à la Chine en tant que membre fondateur de l’AIIB. Surnommée la «Banque mondiale chinoise» par les médias, l’AIIB doit officialiser sa charte fondatrice fin juin.

Dans une interview accordée à swissinfo.ch lors du Symposium de St-Gall – un forum organisé par des étudiants de l’Université de St-Gall, rassemblant des dirigeants du monde entier – Bertrand Badré estime que la nouvelle banque de développement peut beaucoup offrir.

swissinfo.ch: Que pense la Banque mondiale de l’AIIB?

Bertrand Badré: La Banque mondiale (BM) estime que l’AIIB est la bienvenue. Et ce pour une série de raisons. Il faut être cohérent avec ce que nous disons. Or ce que nous disons, c’est que les besoins sont énormes, que nous voulons éradiquer la pauvreté. Il manque chaque année jusqu’à 2 trillions (soit 2 milliards de milliards) de dollars pour financer des infrastructures. Nous seuls, ou même avec tous nos partenaires, nous ne pouvons pas gérer cela. Donc des ressources supplémentaires sont toujours les bienvenues. Nous devons stimuler les projets, et plus il y a de gens impliqués et à même de soulever des questions, mieux c’est.

swissinfo.ch: Comment la Banque mondiale et l’AIIB vont coopérer?

BB: Nous ne disposons pas d’un contrat officiel, mais nous travaillons avec eux. La Chine, tout comme les États-Unis en 1945, tente de mettre sur pied un système qu’elle domine, mais elle a aussi besoin de partager.

L’AIIB compte 58 membres potentiels. Comment organiser cela? Voilà une question très pratique que la Banque mondiale peut aider à résoudre avec ses 70 ans d’expérience.

La Banque asiatique d’investissement pour les infrastructures

L’AIIB  a pris son envol en octobre 2014, lorsque 21 pays asiatiques, dont la Chine, principal sponsor, ont signé un mémorandum d’accord pour mettre en place le projet. La Chine a initialement promis 50 milliards de dollars pour le fonds central de l’AIIB, pour le faire passer plus tard à 100 milliards de dollars. La banque mettra l’accent sur le financement d’une série de projets d’infrastructure en Asie, notamment dans l’énergie, l’alimentation, le transport, la communication, l’eau et son assainissement.

Le 20 mars 2015, la Suisse a annoncé qu’elle avait formellement demandé à devenir l’un des 57 membres fondateurs de l’AIIB. Le gouvernement a déclaré que la décision finale serait prise après la signature de la charte de la banque prévue en juin.

swissinfo.ch: Les querelles entre la Chine d’un côté et les Etats-Unis et le Japon de l’autre sont-elles une diversion malvenue?

BB: Je ne suis pas porte-parole du Japon ou des Etats-Unis. Si nous travaillons ensemble, c’est le meilleur moyen de faire converger les politiques. Si nous ignorons la Chine, elle va agir de son propre chef et nous n’aurons aucun contrôle. Je pense qu’il est préférable de travailler ensemble. C’est un moment critique pour les Etats-Unis. Ils doivent engager la discussion avec la banque.

swissinfo.ch: Est-il juste que tant d’autres pays (57, dont la Suisse) se sont précipités pour rejoindre la Chine comme membres fondateurs de l’AIIB?

BB: Des pays comme la Grande-Bretagne, l’Australie et la France ont dit qu’ils voulaient s’assurer ainsi que la banque fonctionne correctement. Ces actionnaires veulent qu’elle soit compatible avec ce qu’ils font dans d’autres institutions financières internationales. Ces participations produisent un multilatéralisme que la Chine n’avait peut-être pas prévu au départ.

swissinfo.ch: N’y-a- t-il pas un risque que la Banque mondiale et l’AIIB se marchent sur les pieds?

BB: Pour nous, il s’agit d’une saine concurrence. Cette nouvelle concurrence nous incite à en faire plus et nous aide dans notre propre réforme.

Il faudra du temps pour que l’AIIB atteigne le même niveau de financement que la Banque mondiale, que ce soit en terme d’argent, d’expertise, de capacité à conclure un accord, de définir et superviser un projet et de le faire fonctionner. Il faudra de nombreuses années pour que l’AIIB atteigne ce niveau. Nous avons donc de la marge pour nous ajuster.

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swissinfo.ch: L’AIIB se concentrera sur des projets d’infrastructure. Est-ce la bonne approche?

BB: C’est absolument nécessaire si l’on veut éradiquer la pauvreté. Nous avons besoin de trois types d’infrastructures: sociales (principalement l’éducation), physiques (transport, énergie, télécommunications, etc.) et financières.

swissinfo.ch: Est-il vrai que la Chine a mis en place l’AIIB car elle était frustrée d’avoir si peu à dire au sein de la Banque mondiale?

BB: Les économies émergentes ont 48% des droits de vote à la Banque mondiale (depuis la réforme de 2010). Il n’y a donc pas de déséquilibre. Les droits de vote ne sont pas seulement basés sur la dimension économique et le PIB du pays, la formule est plus complexe.

La Banque mondiale est une institution de développement qui fonctionne avec des subventions. La vérité est que, pour le moment, les plus importantes subventions sont fournies par l’Europe (et la Suisse est un grand donateur), les Etats-Unis, le Japon et l’Australie, moins par la Chine et d’autres.

Il y a une frustration des BRICS  (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud) car la réforme du vote au FMI est bloquée par le Congrès américain. C’est là que les tensions sont au maximum.

La 2e raison de la création de l’AIIB tient aux réels besoins de développement des infrastructures en Asie et au rôle central de la Chine dans la région. Vous ne créez pas une telle banque juste pour prouver que les institutions de Bretton Woods (FMI, BM) ont tort. 

La Banque mondiale

La Banque internationale pour la reconstruction et le développement (connue comme la Banque mondiale) a été mise en place, tout comme le Fonds monétaire international, par la conférence de Bretton Woods en 1944. L’objectif initial de ces deux institutions était de stimuler la reconstruction des pays ravagés par la Seconde Guerre mondiale.

Elle a actuellement deux objectifs déclarés: effacer l’extrême pauvreté (réduire le pourcentage de personnes qui gagnent moins de 1,25 dollar par jour à 3% en 2030) et augmenter les bas revenus dans tous les pays. L’année dernière, elle a promis plus de 40 milliards de dollars pour aider à financer divers projets à travers le monde.

La Banque mondiale est basée à Washington avec 10’000 employés basés dans 120 pays. Les États-Unis sont  l’actionnaire le plus important et le seul pays membre à avoir le droit de veto sur les changements apportés à l’institution. La Suisse a rejoint la Banque mondiale en 1992.

(Traduction de l’anglais: Frédéric Burnand)

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