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Un mariage de raison avec le standard de l’OCDE

Les jours du secret bancaire suisse sont comptés. Keystone

C’est une volte-face, mais elle est inévitable: la place financière et la politique suisses se préparent à l’échange automatique d’informations, que l’OCDE veut introduire rapidement à l’échelle internationale. Berne a même participé activement à son élaboration.

L’époque où le ministre suisse des Finances expliquait que le secret bancaire « n’est pas négociable et qu’il est gravé dans le marbre » est bel et bien révolue. Plus encore: la Suisse a participé à l’élaboration du modèle d’accord de l’Organisation pour la coopération et le développement économiques (OCDE), qui sera officiellement présenté ce week-end lors de la rencontre du G20 à Sydney, et elle a réussi à faire en sorte que ses exigences soient prises en compte.

«Il était certainement judicieux que la Suisse participe activement, même si au fond l’idée la rebutait. Ses exigences font sens et sont dans l’intérêt de la Suisse», déclare Hans Geiger, expert bancaire zurichois et défenseur zélé du secret bancaire.

Parmi les exigences helvétiques, il y a la réciprocité de l’échange de données bancaires. Sur ce point, le modèle d’accord de l’OCDE diffère de l’accord FATCA avec les Etats-Unis. De plus, les trusts doivent dévoiler qui sont leurs bénéficiaires économiques et l’échange d’informations se limite au domaine fiscal et est par conséquent soumis à la protection des données.

Le nouveau standard de l’échange automatique d’informations a été élaboré plus rapidement que prévu, a déclaré la ministre suisse des Finances Eveline Widmer-Schlumpf dans une interview au quotidien Neue Zürcher Zeitung.

Pour cette raison, «le temps presse maintenant pour trouver une solution avec les autres Etats sur les questions qui nous intéressent vraiment, c’est-à-dire l’accès aux marchés des autres pays pour les banques suisses et la régularisation des avoirs pas encore déclarés», a-t-elle souligné.

Du moment qu’avec l’échange automatique d’informations, toutes les données bancaires devront être communiquées aux autorités fiscales, la Suisse espère pouvoir parvenir à une solution globale avec les pays intéressés, en particulier l’Allemagne, la France et l’Italie.

Eveline Widmer-Schlumpf a l’intention de soumettre l’an prochain déjà au Parlement un projet de loi pour l’adoption des nouveaux standards internationaux.

Pas toutes les informations

Concrètement, cela signifie que, par exemple, le fisc allemand «vérifiera si le compte de Monsieur ou Madame Müller est effectivement soumis à l’impôt en Allemagne. Les autorités fiscales n’ont cependant pas le droit de transmettre ces informations à d’autres autorités», explique Peter V. Kunz, professeur de droit économique et de droit comparé à l’Université de Berne.

Si Monsieur Müller possède un compte non déclaré, une procédure fiscale sera ouverte, mais «l’information ne sera pas transmise à un tribunal ou à son épouse en cas de divorce par exemple. C’était très important pour les banques suisses», rappelle Peter V. Kunz.

Quant à la divulgation des bénéficiaires économiques des trusts, elle «évitera un désavantage concurrentiel de la place bancaire suisse par rapport aux établissements anglo-saxons», juge encore le professeur.

Privilèges pour les Etats-Unis

Le calendrier de l’OCDE pour l’introduction de l’échange automatique d’informations est ambitieux et concret. Le standard sera adopté lors de la rencontre ministérielle du G20 en septembre à Cairns (Australie). Plus de 40 pays – parmi lesquels les Etats-Unis, l’Allemagne et la France – ont déjà annoncé vouloir l’introduire aussi vite que possible.

Cependant, il semble que les Etats-Unis ont l’intention de réclamer des privilèges en refusant une réciprocité totale dans l’échange d’informations et en introduisant des exceptions dans les règles concernant les trusts et les places off-shore. «Ce sera inévitable, s’irrite Hans Geiger. Les Etats-Unis ne veulent pas observer le standard et font valoir leur statut de puissance mondiale.»

Le standard de l’OCDE correspond en pratique à un modèle d’accord qui servira de base aux gouvernements pour la conclusion d’accords de double imposition. Le système prévu d’échange automatique d’informations n’aura pas d’effets rétroactifs. Il ne comprend donc pas de normes destinées à régulariser le passer et à légaliser les fonds cachés jusqu’à présent auprès des banques suisses.

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Banque suisse

Ce contenu a été publié sur Son reportage nous emmène au coeur d’un secret à 7000 milliards de francs. La place financière suisse recèle un tiers des actifs offshore en raison de la stabilité politique et d’une stricte réglementation du secret bancaire. A elles seules, UBS et Credit Suisse occupent la moitié de ce marché et règnent sur le secteur bancaire.

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Gros travail pour le gouvernement

Dans la majeure partie des pays, les gouvernements disposent déjà des compétences nécessaires pour introduire l’échange automatique d’informations. En Suisse, il faudra en revanche une modification de la loi et la conclusion de nouveaux accords internationaux. Les modifications devront être soumises au Parlement et, peut-être, au vote du peuple.

«Le climat politique interne aura une grande influence sur ce processus, prévoit Peter V. Kunz. On s’attend donc à un gros travail pour le gouvernement suisse. Lors des négociations en vue de nouveaux accords bilatéraux, il devra chercher à obtenir des concessions en échange de l’abandon du secret bancaire.»

Dans ce contexte, l’un des grands défis consistera à obtenir que ces pays adoptent des amnisties fiscales pour régulariser le passé ou des programmes d’auto-dénonciation des fonds non déclarés. «Mais au cœur des négociations entre la Suisse et ses partenaires, il y aura aussi la question du libre accès des banques suisses aux marchés des pays intéressés», ajoute Peter V. Kunz.

Selon ce dernier, en l’absence de solutions pour la légalisation des fonds cachés, la place financière suisse courra le risque de voir d’énormes capitaux partir vers des paradis fiscaux avant l’introduction de l’échange automatique d’informations.

L’échange automatique d’informations équivaut à un changement de paradigme dans la lutte contre la fraude fiscale à l’échelle internationale.

Pour l’Organisation pour la coopération et le développement économiques (OCDE), il s’agit simplement de la poursuite du modèle d’échange d’informations sur la base d’une demande.

Le Comité des affaires fiscales de l’OCDE, dont la Suisse fait partie, a établi que le standard de l’échange automatique d’informations sera présenté les 22 et 23 février à Sydney, dans le cadre d’une rencontre ministérielle du G-20.

En juin 2013, le gouvernement suisse a chargé l’administration fédérale de collaborer à l’élaboration de ce nouveau modèle.

Le Comité des affaires fiscales de l’OCDE a l’intention d’approuver le nouveau modèle en juin 2014 et en septembre, il reviendra aux Etats membres du G-20 de donner leur aval politique.

Le standard ne fixe aucune règle par rapport aux problèmes hérités du passé.

Volte-face des banques

Le gouvernement suisse entend faire avancer rapidement les procédures légales et administratives destinées à l’introduction de l’échange automatique. Mais on s’attend à une forte opposition au plan politique, surtout de la part de l’Union démocratique du centre (UDC / droite conservatrice).

De leur côté, les banques ont désormais renoncé à toute résistance. «Depuis le début 2013, c’est-à-dire quand le Luxembourg et l’Autriche ont abandonné leur réserves, il est devenu clair que la place financière suisse devait elle aussi s’ouvrir. Il existe une évolution au niveau international à laquelle nous ne pouvons pas échapper. Nous voulons et nous sommes prêts à introduire l’échange automatique d’informations», déclare Sindy Schmiegel Werner, porte-parole de l’Association suisse des banquiers.

«La Suisse a été contrainte de se familiariser à l’idée de devoir accepter l’échange automatique d’informations dès lors que c’est en train de devenir un standard international. Cela arrive plus rapidement que ce que nous avions prévu, mais cela n’a pas de sens de chercher à lutter contre ce qui est inévitable. Non seulement les banques, mais également la politique officielle de la Suisse ont accepté cette volte-face», estime Peter V. Kunz.

Contraire au principe de la bonne foi

Pour Hans Geiger, les normes de l’échange automatique d’informations équivalent à des «méthodes policières totalement contraires au principe de la bonne foi» qui devrait régir les rapports entre l’Etat et les citoyens. C’est pour cette raison, selon lui, que la Suisse conservera au niveau interne le modèle de l’auto-déclaration et donc du secret bancaire.

A l’échelle internationale, en revanche, la Suisse s’est désormais résignée à accepter les nouveaux standards internationaux, observe Hans Geiger, pour qui «il s’agit probablement d’une décision juste qui tient compte de la réalité pratique».

Andreas Keiser, swissinfo.ch

(Traduction de l’allemand: Olivier Pauchard)

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