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Billy Cobham, le choix d’apprendre

'Palindrome'... la volonté de réconcilier passé et présent swissinfo.ch

Deuxième partie de l’entretien que le batteur Billy Cobham nous a accordé chez lui, dans son village bernois, à l’occasion de la sortie de «Palindrome», son nouvel album. Un disque qui, à travers un travail de relecture, lui permet de revenir sur son vaste parcours.

Appartement tranquille, niché dans un immeuble d’un village bernois. Salon, bibliothèque… Qu’est-ce qui pourrait nous rappeler que nous sommes chez Billy Cobham, l’un des plus grands batteurs de l’histoire du jazz et du rock réunis?

Ah oui… là-haut, sur la mezzanine, il y a le ‘home studio’ de Mr. Cobham. Sa batterie électronique – qui permet de jouer à volume modéré, ses claviers, son matériel informatique. D’ailleurs, tout à l’heure, il nous fera écouter l’une ou l’autre maquettes, œuvres en gestation…

Pour l’heure, cap sur «Palindrome». Un disque du nom de ces mots qu’on peut lire aussi bien du début que de la fin, «Bob», «kayak», ou «saippuakivikauppias», le plus long mot-palindrome, un mot finnois en l’occurrence, qui donne son titre à l’un des morceaux de l’album!

Si Billy Cobham reconnaît qu’il a découvert la notion de palindrome un peu par hasard, il affirme avoir rapidement été intéressé par ce mot. «Puis j’ai découvert une phrase entière qui était négative si on la lisait à l’endroit, mais totalement positive si on la lisait à l’envers. Et je me suis dit que c’était une idée intéressante pour poursuivre mon travail entamé avec ’Fruit From The Loom’, c’est-à-dire, la relecture, la réinterprétation, de certains de mes anciens morceaux», explique-t-il.

swissinfo.ch: Vous avez publié un nombre impressionnant d’albums. Comment choisissez-vous les morceaux que vous souhaitez reprendre?

Billy Cobham: Il y a des titres auxquels je n’avais pas assez accordé assez d’attention à l’époque. J’ai donc décidé de les revisiter en tentant de faire en sorte qu’ils représentent acoustiquement ce que je suis maintenant. Et de les combiner à du matériel nouveau.

«A Days Grace», par exemple, avait été enregistré en 1981, à l’époque où je travaillais avec George Duke, mais je n’avais pas trouvé la combinaison de musiciens qui collait vraiment à ce titre. Et je n’avais peut-être pas non plus la maturité pour le jouer. Bref, la formule n’était pas la bonne. Je l’ai donc mis de côté, pendant presque trente ans. Mais il restait dans un coin de ma tête et je savais que je m’y attèlerais à nouveau un jour, quand je trouverais les bonnes personnes.

Jusque là, je n’avais eu que des collaborations très rares avec des musiciens français – le violoniste Didier Lockwood, le bassiste Thierry Mineau. Et il a fallu toutes ces années pour que je réunisse un groupe, où, étonnamment, la plupart des musiciens sont francophones. Ils viennent du Pays basque, de Marseille, de Tunisie, du Maroc… Et cela fonctionne!

swissinfo.ch: Avez-vous une explication au fait que ces relectures ont ‘fonctionné’ avec des musiciens francophones et pas d’autres? Sont-ils différents des musiciens américains?

B.C.: Absolument! La musique se reflète dans le caractère d’une société. J’y crois absolument. Des musiciens américains auraient abordé cette musique avec la façon dont ils vivent, là-bas, ce qui n’aurait peut-être pas constitué les ingrédients dont j’avais besoin pour faire ressortir la personnalité de la musique que j’ai écrite.

Ce que jouent les musiciens est toujours basé sur leur expérience de vie. J’ai joué parfois avec des gens qui me disaient «Ne t’inquiète pas, je lis extrêmement bien, pas de problème, ça va sonner!» Et quand je les ai entendus jouer mes morceaux… cela déconnait complètement. Ils ne jouaient pas la musique, ils jouaient pour ne pas avoir l’air mauvais, une sorte de mécanisme de défense. Mais cela, ça ne me sert à rien.

La seule question est, en matière de musiciens, s’ils sont capables d’interpréter correctement ce qui est écrit sur le papier. Et s’ils ne l’interprètent pas dans le sens où je l’entends, ce n’est pas leur faute. C’est la mienne, parce que je n’ai pas choisi les bonnes personnes.

En plus, en France, j’ai trouvé des personnalités très particulières, qui me respectent pour ce que je fais, pas parce que c’est moi qui ai écrit «Spectrum» il y a des années, par exemple.

swissinfo.ch: En retravaillant d’anciens morceaux, qu’est-ce que vous apprenez sur votre musique… et sur vous-même?

B.C.: Que j’ai poussé! Je ne suis plus là où j’étais à l’époque. Et quand je reviens à l’un de ces morceaux, tout à coup je me dis: ok, maintenant, je vois…

swissinfo.ch: Avec Miles Davis, puis le Mahavishnu Orchestra, vous avez été l’un des créateurs du ‘Jazz Fusion’, paroxysme de liberté… C’était la fin des années 60, le début des années 70. A l’heure des ordinateurs, quel regard portez-vous sur cette époque vraiment folle?

B.C.: Oh… J’aimerais qu’on y soit encore… mais qu’on ait également les ordinateurs! Pouvez-vous imaginer «E.S.P.» de Miles Davis avec les outils d’aujourd’hui? (Rires) C’était le début de tout ça, le premier album de ‘fusion’! Ce serait extraordinaire! Mais on ne peut pas revenir en arrière.

Les ordinateurs, les boîtes à rythme, je suis dedans depuis quarante ans! Je suis un musicien acoustique, mais quand vous allez enregistrer, il est essentiel que tout ait été mis en place en pré-production. Sur scène, la technologie informatique est aussi extrêmement importante. Avec moi, j’ai toujours deux techniciens brillants, qui connaissent ma musique comme si c’était la leur. Mieux nous sommes synchrones, mieux nous sonnons… mieux nous jouons et meilleur est le spectacle.

swissinfo.ch: Billy Cobham, vous avez commencé à jouer de la batterie à l’âge de trois ans… Que diriez-vous aujourd’hui à un enfant qui rêve de devenir batteur?

B.C.: Que ce soit seul ou avec l’aide de quelqu’un, d’écouter toutes les musiques possibles. D’apprendre à faire preuve de discernement, à développer sa personnalité, à comprendre ce qui lui convient, et à être honnête avec soi-même. Si tu es honnête avec toi-même, et si tu es sérieux, cela te prendra déjà un moment… peut-être toute ta vie.

Si tu es vraiment sérieux, tu ne seras jamais un enseignant, mais toujours un étudiant. Toute ta vie. Tu partageras tes idées avec d’autres étudiants… qui te verront peut-être comme un enseignant. Pourtant, à leur écoute, toi aussi tu apprendras de nouvelles choses!

Bernard Léchot, swissinfo.ch

Panama – NY. Né en 1944 à Panama, il grandit à New York où s’est installé sa famille. Il obtient son diplôme de la ‘High School of Music and Art’ en 1962.

Miles Davis. A la fin des années 60, il va collaborer notamment avec les Brecker Brothers, puis travailler avec le trompettiste Miles Davis, avec lequel il tourne et enregistre plusieurs albums.

Mahavishnu Orchestra. L’étape suivante sera la fondation en 1971, avec John McLaughlin, du Mahavishnu Orchestra, formation-clé de ce que l’on nommera le ‘Jazz Fusion’.

Spectrum. Son 1er album solo, ‘Spectrum’ (1973), avec notamment le guitariste Tommy Bolin et le claviériste Jan Hammer, fera l’effet d’une bombe musicale.

Collaborations. Les bases sont posées… Au cours des années 70, 80 et 90 les collaborations vont être multiples: Carlos Santana, Carly Simon, Jack Bruce (‘Jack Bruce & Friends’), Stanley Clarke, George Duke, John Scofield, Grateful Dead etc.

Peter Gabriel. Avec Peter Gabriel, il collabore à la musique de ‘La dernière tentation du Christ’, participe au festival Womad en 1993. Une partie de ‘Palindrome’ a été travaillée dans les studios Real World, et la plus grande partie à Berne.

Séries. Il s’est attelé à plusieurs ‘Séries’ discographiques. ‘Drum N voice’ (dernier volet en date en 2009, avec notamment Chaka Khan, Gino Vanneli, George Duke, Brian Auger, John Scofield), mais aussi ‘The Art of Jazz’ (alternant trio, quartet, quintet) ou les relectures de son passé musical comme ‘Palindrome’.

«Open handed lead». Billy Cobham est un ambidextre de la batterie, c’est-à-dire qu’il peut mener le tempo de l’une ou l’autre main et a développé un style éminemment personnel grâce notamment à cet atout.

Musiciens: Ernie Watts (bois), Michael Rodriguez (trompette), Marshall Gilkes (trombone), Jean-Marie Ecay & Dean Brown (guitares), Philippe Chayeb (basse), Wilbert Junior Gill (Steel drums), Christophe Cravero (keyboards and violin) & Marco Lobo (percussions).

Reprises: ‘Moon Germs’ (tire de ‘Total Eclipse’, 1975), ’Days Grace’ (album ‘Flight Time’, 1981), ‘Two For Juan’ (album “Picture This”, 1987), ‘Alfa Waves’ (album ‘The Traveler’, 1995) et ‘Mirage’ (album ‘Focused’, 1997).

Film. En 2007, le réalisateur Mika Kaurismäki a consacré un film documentaire à Billy Cobham. «Un voyage musical depuis la Finlande jusqu’au Brésil en passant par les Etats-Unis et la Suisse où un centre d’accueil de jeunes autistes utilise la musicothérapie».

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