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Brigadistes: questions autour d’une réhabilitation

Les Brigades internationales défilent à Madrid pendant la Guerre civile. Keystone

Les brigadistes suisses partis se battre contre le franquisme en Espagne dans les années 30 sont en passe d'être réhabilités. Emprisonnés à leur retour pour avoir servi dans une armée étrangère, ils se sont vu refuser cette mesure à plusieurs reprises. Le regard de deux historiens.

Au total, quelque 800 Suisses avaient rejoint les Brigades internationales pour défendre l’Espagne républicaine. Entre 1936 et 1939, 170 d’entre eux étaient morts au combat. Aujourd’hui, seule une poignée sont encore en vie.

Condamnés à leur retour en Suisse pour s’être engagés dans une armée étrangère, ils avaient écopé de plusieurs mois de prison. Le Parlement, qui a jusqu’ici refusé de les réhabiliter juridiquement, s’apprête à franchir le pas.

Professeur d’histoire à l’Université de Genève, Mauro Cerutti est spécialiste de l’histoire du mouvement ouvrier et de l’antifascisme. Juriste et historien des idées politiques, Olivier Meuwly a lui travaillé sur l’histoire du parti radical (PRD / droite). Leurs avis diffèrent sur cette réhabilitation.

swissinfo: 70 ans après les faits, la réhabilitation des brigadistes est-elle justifiée selon vous?

Mauro Cerutti: Oui, mais je dois avouer que je n’y croyais plus après l’échec de 2003. C’est une bonne nouvelle, car cela peut contribuer à faire connaître cette page de l’histoire suisse, qui est une page positive.

Olivier Meuwly: Dans le cas de la réhabilitation des anciens brigadistes, il faut raisonner en termes d’égalité. Cela avait été fait pour les Suisses qui avaient aidé des victimes du nazisme, il n’y a pas de raison que cela ne se fasse pas pour les anciens brigadistes.

En revanche, le mélange de justice, de politique politicienne et d’histoire qu’implique une telle démarche, même légitime par rapport à certaines thématiques, me paraît extrêmement dangereux car elle est nécessairement conditionnée par l’ambiance politique, idéologique, philosophique, historique du moment.

swissinfo: La majorité du Parlement s’est longtemps opposée à la réhabilitation des brigadistes en invoquant notamment le fait qu’ils s’étaient engagés dans une armée étrangère. Un argument encore valable aujourd’hui?

Mauro Cerutti: A l’époque, on leur avait aussi reproché d’avoir violé la neutralité. Avec le temps, ce reproche s’est estompé. Par contre sur le plan juridique, l’article 94 du code pénal militaire au nom duquel ils ont été condamnés est toujours en vigueur. La peur de créer un précédent a donc bloqué le processus. Mais cette peur est aujourd’hui dépassée.

A ce propos, il est intéressant de relever que lors de la première discussion sur leur amnistie devant le Parlement, en 1939, certains radicaux et centristes avaient compris le sens de leur engagement et les valeurs éthiques et traditionnelles auxquelles ils se référaient. Cela n’a malheureusement pas suffi.

Olivier Meuwly: Au niveau juridique, on est aujourd’hui encore embêté par cet article. Si la réhabilitation des brigadistes est légitime sur le plan moral et historique, si on peut aujourd’hui considérer que, juridiquement, cette loi a été appliquée à l’époque avec une dureté que seul le recul permet d’apprécier, il est plus délicat de légiférer sur cette question.

swissinfo: Les brigadistes ont été réhabilités moralement et politiquement en 1994, n’était-ce pas suffisant?

Mauro Cerutti: Depuis les excuses de Kaspar Villiger en 1995 et le rapport Bergier, le contexte est devenu plus favorable. Mais n’oublions pas que la Suisse a été une des démocraties les plus sévères à l’égard des brigadistes. Ils n’ont pas seulement été emprisonnés, on les a privés de leurs droits civiques et on les a fichés. C’est particulièrement grave. Même si cette réhabilitation est tardive, elle était souhaitable.

Olivier Meuwly: On peut tout au plus admettre qu’au nom de l’Etat, un homme politique reconnaisse des erreurs du passé, comme par exemple Chirac l’a fait avec Pétain ou Kaspar Villiger avec les ‘J’ sur les passeports des juifs. Mais je suis beaucoup plus sceptique quant à un processus parlementaire qui aboutit à une loi.

D’une part car il s’agit d’un acte essentiellement moral dont le fondement juridique est discutable, d’autre part car cela risque d’ouvrir des champs qu’on risque très vite de ne plus maîtriser. Il ne viendrait à l’idée de personne aujourd’hui de réhabiliter les Suisses qui avaient jugé bon de se battre du côté des nazis, mais qui peut dire ce qui se passera demain ?

swissinfo: Derrière les récentes réhabilitations pratiquées en Suisse – que ce soit celle des personnes ayant aidé des juifs ou celle de Maurice Bavaud – il y a toujours l’idée que leur action était ‘juste’. Ce constat s’applique-t-il aux brigades internationales?

Mauro Cerutti: Les brigadistes se sont engagés pour une république qui était légitime. Il est vrai que la majorité était membre du parti communiste, mais leur engagement était avant tout personnel et individuel. Il leur a fallu du courage pour tout abandonner et partir se battre à l’étranger. Quant au rôle de l’Union soviétique, il faut souligner que Moscou n’est intervenu dans ce conflit que bien après les Etats de l’Axe.

Olivier Meuwly: Si on voulait réhabiliter les Suisses qui se sont battus pour les nazis, cela créerait, à juste titre, un scandale. Mais est-ce qu’on peut dire pour autant que les brigadistes se sont battus uniquement pour la démocratie et la liberté ? Si on mesure la démocratie et la liberté par rapport au nazisme, la réponse est oui. Si on mesure l’utilisation des brigades internationales par Staline, le débat est relancé.

Cela montre que si on se met à tirer le fil, la bobine se défait et des questions parfois embarrassantes peuvent surgir. En cas de procès, on fait alors appel à l’Histoire, avec le risque de l’instrumentaliser. Cette évolution est très délicate. Laissons-lui son rôle, qui est d’apporter des éclairages et de faire parler les archives pour mieux connaître le passé.

swissinfo, Carole Wälti

Les brigades internationales ont été fondées officiellement par Staline en 1936 dans le but de soutenir la République espagnole.

Entre 1936 et 1939, entre 30’000 et 50’000 volontaires venus d’une cinquantaine de pays rejoignirent l’Espagne pour défendre le régime républicain contre le franquisme.

On estime que les brigades internationales regroupaient environ 10’000 Français, 5900 Anglo-Américains et Canadiens, 5000 Allemands et Autrichiens, 3500 Italiens.

Outre des communistes, les brigades internationales regroupaient des anarchistes, des socialistes et des sympathisants de la cause républicaine.

En 1938 déjà, une campagne a été lancée en Suisse pour demander l’amnistie des brigadistes condamnés

Les Chambres fédérales ont rejeté cette proposition en février 1939.

Plusieurs tentatives en ce sens ont par la suite également échoué.

En 1999, le député socialiste Paul Rechsteiner a déposé une initiative demandant la réhabilitation de ceux qui avaient aidé des victimes du nazisme, combattu dans les Brigades internationales ou fait partie de la Résistance française.

En 2003, le Parlement a réhabilité les personnes condamnées pour avoir aidé les victimes du nazisme. Mais il a refusé de faire de même pour les résistants au franquisme et au nazisme.

En septembre 2006, Paul Rechsteiner a déposé une nouvelle initiative pour la réhabilitation des brigadistes.

Par 130 voix contre 32 et 13 abstentions, la Chambre du peuple a apporté mardi son soutien à cette mesure. Les sénateurs doivent encore se prononcer.

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