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Bruxelles repart à l’attaque du secret bancaire suisse

Keystone

La Commission européenne relance son offensive contre le secret bancaire helvétique. Elle devrait adopter jeudi une recommandation qui lui permettra d'engager des négociations avec la Suisse en vue de conclure un accord multilatéral sur les échanges d'informations fiscales.

Avec l’accord exprès du président de l’exécutif communautaire, José Manuel Barroso, «vu l’urgence», la direction générale de la fiscalité de la Commission européenne a lancé mercredi une «procédure écrite accélérée» d’adoption de cette «recommandation au Conseil» des ministres de l’UE. Elle arrivera à échéance vendredi à 11 heures, relève le document, dont swissinfo.ch a pris connaissance.

Un texte ambigu, mais un objectif clair

Bruxelles souhaite obtenir des Etats membres de l’UE l’autorisation «d’ouvrir des négociations en vue de la conclusion d’un accord entre la Communauté européenne et ses Etats membres, d’une part, et la Confédération suisse, d’autre part, pour lutter contre la fraude et l’évasion fiscale dans le domaine de la fiscalité directe et garantir la coopération administrative sous forme d’échange d’informations en matière fiscale».

Tout en laissant la porte ouverte à d’autres solutions, la Commission prône clairement une renégociation de l’accord sur la lutte contre la fraude qui lie la Suisse et l’Union européenne (UE) depuis 2004.

Elle veut étendre son champ d’application à la fiscalité directe et intégrer dans ses dispositions le fameux article 26 du «modèle de convention fiscale de l’OCDE concernant le revenu et la fortune», qui interdit notamment à l’administration fiscale d’un pays de se retrancher derrière le secret bancaire pour refuser de communiquer, sur demande, des informations détenues par des institutions financières au fisc d’un autre pays.

«Logique et nécessaire»

La Suisse s’est engagée dans ce contexte à adapter les conventions bilatérales de prévention de la double imposition qui la lie à une multitude d’Etats, mais pour Bruxelles, c’est insuffisant. Il est «logique et nécessaire» que l’Union négocie un accord multilatéral afin de graver dans le marbre l’assouplissement promis du secret bancaire helvétique. Et indispensable de «garantir» que les normes de l’OCDE seront correctement appliquées, dans leur intégralité.

Ainsi, souligne la Commission, l’accord devra porter «non seulement sur la lutte contre la fraude en vue de la protection des intérêts financiers des Etats membres de l’Union européenne, mais aussi sur la coopération à la demande dans le domaine de l’évasion fiscale et aux fins de la détermination exacte des impôts et taxes. Pour garantir une coopération effective, il faut veiller à ce que les parties disposent du pouvoir d’obtenir et de fournir à la demande des informations détenues par des banques et d’autres institutions financières, dont les trusts et les fondations, dans le cadre de l’assistance administrative».

Le prix de l’intégration européenne

Plusieurs arguments plaident en faveur d’une approche communautaire, relève le texte. Certains d’entre eux sont pratiques, d’autres plus idéologiques. D’une part, la Commission veut assurer une «égalité de traitement» entre la Suisse, le Liechtenstein (qui est en train de finaliser un vaste accord de lutte antifraude avec l’UE), Andorre, Saint-Marin et Monaco (trois pays auxquels Bruxelles veut étendre le modèle du Liechtenstein).

D’autre part, «cette démarche renforce l’action de l’Union européenne dans son ensemble sur la scène internationale». Enfin, estime Bruxelles, la «mise en place d’un cadre complet» de coopération est d’autant plus indispensable que les cinq pays visés ne sont pas n’importe qui.

Le phénomène de l’évasion fiscale est «particulièrement problématique en ce qui concerne les pays avec lesquels l’Union européenne entretient des relations très étroites, qui permettent à ceux-ci d’avoir accès à un certain nombre de programmes communautaires (…) et de profiter des avantages du marché intérieur ainsi que des politiques européennes qui prévoient l’ouverture des frontières et la libre circulation des capitaux», écrit la Commission. «Ces relations ont débouché sur une intégration économique assez poussée, ce qui requiert une coopération administrative efficace en matière fiscale.»

Des réticences à vaincre

Le sujet figure par ailleurs à l’ordre du jour provisoire d’une réunion des ministres des Finances des Vingt-Sept, le 7 juillet. La Commission espère qu’ils donneront leur feu vert à son projet en septembre. Mais elle devra encore vaincre les réticences de plusieurs pays, dont, en particulier, le Luxembourg et l’Autriche.

La réglementation européenne sur la fiscalité de l’épargne entre l’UE d’un côté, la Suisse et consorts de l’autre, et sur l’échange et la demande d’informations fiscales entre administrations, contraindra en effet Luxembourg et Vienne à abolir définitivement leur secret bancaire. Ce qu’ils refusent évidemment de faire.

La Suisse est également concernée par la réforme, en cours, de la législation de la fiscalité de l’épargne. On a appris, de source communautaire, qu’une lettre de la Commission est récemment arrivée à Berne. Cette dernière réclame l’ouverture de «consultations» sur la révision de l’accord qu’elle a conclu dans ce domaine avec l’UE, en 2004.

Tanguy Verhoosel, Bruxelles, swissinfo.ch

Article 26. En prenant la décision historique, le 13 mars dernier, d’assouplir son secret bancaire en matière fiscale dans ses rapports avec l’étranger, la Suisse a retiré l’importante réserve qu’elle avait formulée il y a plusieurs années déjà à l’article 26 du modèle de convention fiscale de l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économique).

Jamais. Cet article prévoit que dans l’intérêt de la lutte contre la fraude, un Etat ne peut «en aucun cas» refuser de livrer à une administration étrangère des renseignements sur un contribuable «parce que ceux-ci sont détenus par une banque (…)».

Soupçon. Or actuellement, la Suisse ne livre de tels renseignements qu’en cas de soupçon «d’escroquerie fiscale» (et pas de simple «soustraction»: évasion fiscale).

Fraude. Selon l’article 26 désormais accepté par Berne, les renseignements à livrer doivent être «vraisemblablement pertinents» en rapport avec un éventuel délit de fraude.

Confidentiel. Le secret bancaire garantit aux clients des banques suisses que les informations qui les concernent seront gardées confidentielles et qu’elles ne seront pas transmises à des privés ou à des administrations.

C’est une obligation professionnelle dont la violation est poursuivie d’office. Elle est punissable d’une amende et de l’emprisonnement.

Limites. Il y a cependant des limites claires au secret bancaire. Celui-ci peut être levé lorsque la justice enquête sur de possibles activités criminelles. Il n’est, en revanche, pas levé pour les cas d’évasion fiscale. Il n’existe pas en Suisse de comptes bancaires anonymes.

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