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Buddy est mort, Derib se porte bien

L'un des derniers «crayonnés» de Buddy Longway. Derib/Le Lombard

Le 20ème tome de la série Buddy Longway est aussi le dernier: hors des schémas classiques de la BD, Derib met à mort son héros, créé en 1972.

Retour sur une saga qui a marqué d’innombrables amateurs… et l’histoire de la bande dessinée.

Comme chaque jour ou presque, un père lit un livre à ses enfants, avant qu’ils s’endorment. Ce soir-là, c’est «La Source», le nouvel et dernier album de «Buddy Longway». Arrivé au mot «fin», la voix du père se fissure un peu. Et les yeux des enfants sont anormalement brillants.

Buddy le trappeur est mort. Et Chinook, sa femme sioux, aussi. L’épilogue, tout en douceur, traité au crayon et à la gouache, s’il atténue la violence, ne gomme pas le chagrin. «Pourquoi il a fait un album si triste?» demande la petite fille. «Il y a trop de morts… même si c’est la vie», relève son frère aîné.

La mort apprivoisée

Salon du livre, Genève. Derib y présente en avant-première le nouveau Buddy Longway. Et répond en souriant aux remarques des deux enfants du début.

«Malheureusement, la mort fait partie de la vie. Il suffit d’écouter les infos pour apprendre la mort de x jeunes en Irak, en Afghanistan ou sur l’autoroute. Et tout le monde va y passer un jour ou l’autre. Buddy et Chinook, par rapport à leur époque, ont un âge presque normal pour envisager la fin.»

«Je crois qu’on n’ose pas assez aborder la question de la mort en bande dessinée et dans la vie en général. Bien sûr, cette histoire finit de façon triste. Mais quelqu’un me disait que c’est un des plus beaux albums de Buddy Longway. Amener la mort dans un récit et faire que ce soit beau, si c’est le cas, mon pari est gagné. Et c’est un pari délicat…»

C’est la voix de Kathleen, la fille de Buddy et Chinook, qui apprend au lecteur ce qui s’est réellement passé. Et là encore, le choix narratif n’est pas innocent pour l’auteur.

«Quand mes parents sont morts, j’ai eu l’impression de devenir vraiment adulte. Qu’il n’y avait plus personne au-dessus de moi pour assurer la suite: c’est moi qui deviens celui qui doit être responsable. Et je trouvais intéressant de voir comment Kathleen allait passer ce cap», explique Derib.

Kathleen qui – tout dépend de l’accueil du public et des envies de Derib – prendra peut-être le relais de Buddy Longway dans le cadre d’une éventuelle nouvelle série…

«Je ne sais pas si j’ai ainsi répondu aux questions de tes enfants, ajoute Derib. Disons que cette fin, c’est une façon de souligner à quel point la vie est sacrée. Et que la mort peut définir la force de la vie».

La profondeur des personnages

Yves Sente, directeur éditorial du Lombard (et par ailleurs scénariste: ‘Blake et Mortimer’, ‘La vengeance du comte Skarbek’), est également présent à Genève pour l’occasion.

Lecteur de toujours de «Buddy Longway», c’est lui qui a amené Derib, après un break de quinze années, à renouer avec les aventures du trappeur, à la fin des années quatre-vingt.

Selon lui, qu’a apporté Derib, notamment à travers cette saga, à la bande dessinée? «Il y a d’abord la place qu’il a tenue dans le journal ‘Tintin’, qui représente une grande partie de l’histoire de la bande dessinée».

«Dans les années, 70, quand Claude (Derib) est arrivé, le journal avait besoin de sang neuf. Pas tant sur le plan graphique que dans l’esprit, la psychologie des personnages. Ceux du début avaient été ‘formatés’ par Hergé, qui avait une vision très précise de ce qui devait passer dans le journal. Un formatage très classique, très sage. Le bien face au mal.»

Puis mai 68 est passé par-là. Et les désirs du public ont évolué. «Un besoin de personnages plus forts, plus riches psychologiquement. L’envie d’en savoir plus sur eux. Derib a été l’un des premiers à apporter une vraie profondeur à ses personnages. Des liens familiaux, des drames, et derrière cela, une vraie volonté de réussir sa vie, au sens noble du terme.»

Sur le plan graphique, Derib s’inscrit dans la prolongation de Jijé, «le maître absolu de la BD réaliste» selon le dessinateur. Mais ce qu’il a apporté, ou en tout cas systématisé, c’est le découpage de la page, l’éclatement du système des cases. «J’ai effectivement été un des premiers à en faire une forme narrative», constate Derib. «Et je crois que j’ai fait des petits», dit-il en souriant.

Fin et suite

Ce 20ème volume de «Buddy Longway» est donc une remontée à «La Source». Géographique et mentale, puisque les deux héros suivent à l’envers le parcours de leur vie, jusqu’à la mort.

C’est un Indien qui tue Buddy. «Mes parents soutenaient les Indiens, et c’est l’un d’eux qui les a tués» dira leur fille Kathleen, s’interrogeant ensuite sur les liens de causalité entre une action et sa conséquence… Derib a-t-il une réponse à cela ?

«Si l’on relit l’histoire de Buddy, on verra qu’il est intervenu dans la vie de l’Indien en question. Et que si on se met à la place de celui-ci, il y avait de quoi ne pas être heureux de cette intervention. Je suis convaincu que chaque acte que nous vivons a sa conséquence. Et c’est en prenant conscience de cela qu’on peut devenir la personne qu’on doit être».

Derib a donc mis un point final à une histoire entamée il y a 34 ans. Comment l’a-t-il vécu lui-même? «D’un côté, le contentement d’arriver au bout d’une histoire et d’une décision que j’avais prise 20 ans auparavant. De l’autre côté, beaucoup d’émotion. Les dernières pages ont été plus longues à faire… La dernière case où j’ai dessiné Buddy et Chinook, oui, j’étais vraiment très ému, répond-il.

Mais comme toute fin est aussi un début, c’est un nouvel élan, après quarante de carrière, que Derib souligne: «Avoir terminé Buddy, cela me laisse la liberté de faire d’autres choses, une liberté qui n’était pas vraiment possible avant…»

swissinfo, Bernard Léchot à Genève

«La Source» est le 20e et dernier tome des aventures de Buddy Longway, signées Derib pour le scénario et le dessin (Editions Le Lombard).
Une série créée en 1972, interrompue pendant 15 ans à partir de 1987, et reprise en 2002.
«La Source» a été présenté en avant-première au Salon international du livre et de la presse de Genève.
Disponible en librairie dès le 5 mai.

– De son vrai nom Claude de Ribaupierre, Derib est né en 1944 à La Tour-de-Peilz, dans le canton de Vaud, où il vit toujours.

– Entré à 20 ans au Studio Peyo, Derib va par la suite lancer plusieurs séries dont l’univers indien est le centre: «Yakari» (créé en 1969), «Buddy Longway» (créé en 1972), «Celui qui est né deux fois», «Red Road».

– Il a également signé plusieurs BD au propos pédagogique: «Jo» sur le SIDA, «Pour toi Sandra» sur la prostitution, «No Limits» sur la violence.

– Vient de paraître «Derib, un créateur et son univers», nouvelle édition augmentée d’une monographie publiée il y a quelques années.

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