Des perspectives suisses en 10 langues

Calder et Miró à la Fondation Beyeler

Joan Miró: Détail d’une peinture murale pour le Terrace Plaza Hotel, Cincinnati, 1947 (Cincinnati Art Museum, photo Tony Walsh) swissinfo.ch

Une fabuleuse amitié tissée de chefs d’œuvres: c’est à cette découverte que convie la Fondation Beyeler avec l’exposition «Calder Miró».

Grâce à des œuvres inédites, le dialogue artistique entre les deux hommes est éclairé d’un jour nouveau.

L’émotion est palpable ce jeudi à Riehen, dans le Canton de Bâle, dans les murs de la Fondation Beyeler. Deux dames d’un certain âge se promènent bras dessus, bras dessous, timides devant des caméras et des journalistes également intimidés.

Mary Calder Rower et Dolorès Miró, filles de Calder et de Miró, arborent toutes les deux une grande broche ressemblant à une feuille d’arbre flottant sur de l’eau. Les bijoux ont été dessinés par le père de la première, Alexander Calder (1898-1976), il y a quelques décennies.

Comme en écho à l’hommage de leurs filles complices, Joan Miró (1893-1983) écrivait en 1972 à son ami Calder: «T’en souviens-tu (…) des jolies femmes portant tes bijoux sur leur poitrine, comme s’ils étaient des plumes tombées du ciel…»

Cette lettre ouvre le riche catalogue édité à l’occasion de l’exposition qui s’ouvre ce dimanche 2 mai à la Fondation Beyeler. L’ouvrage retrace non seulement le parcours de l’exposition, mais présente aussi la correspondance entre les deux hommes et un résumé chronologique de leur vie et oeuvre.

Une amitié qui perdure

Les sexagénaires d’aujourd’hui sont photographiées, jeunes enfants, de même que la deuxième fille des Calder, Mary, jouant avec leurs parents.

Aujourd’hui à Riehen, les deux dames ne sont pas les seules à ne pas se lâcher le bras: leurs fils, qui ont participé à l’élaboration de l’exposition, ne se quittent pas d’une semelle non plus! La ressemblance avec leurs grands-pères est frappante.

«L’amitié entre les deux hommes s’est poursuivie par leurs enfants», dira d’ailleurs Christoh Vitali, conservateur de la Fondation Beyeler.

Selon les deux commissaires d’exposition, Oliver Wick pour Beyeler et Elisabeth Hutton Turner pour la Phillips Collection de Washington, partenaire du musée suisse, la famille a contribué de façon essentielle à ce que l’exposition soit possible, notamment en mettant les archives à disposition.

Prêts exceptionnels



Preuve de l’extraordinaire intérêt suscité par le projet d’exposition: malgré la rétrospective Miró qui se tient actuellement à Paris, certains collectionneurs ont préféré prêter leurs possessions à la Fondation Beyeler.

De nombreuses œuvres sont ainsi exposées pour la première fois, comme cette frise murale en trois parties («Murale I-III») peinte en 1933 pour la chambre d’enfant du galeriste parisien de Miró, Pierre Loeb.

Après 40 ans de recherche, l’œuvre a été retrouvée. C’est le premier cycle mural de Miró, qui exploitera cette voie à de nombreuses reprises par la suite.

Ils choisissent le même titre!

Mais durant les années de guerre, pendant lesquelles Miró et sa famille chassés par le franquisme restent à Paris, l’artiste espagnol tend vers la miniaturisation et le repli sur soi.

Il triture son papier comme il le ferait d’un mur pour peindre ce qu’il appellera les «Constellations» (1940-41). Dix des ces toiles, «les plus belles», dit Oliver Wick, sont présentées à Riehen.

S’ils étaient physiquement dissemblables («Calder le grand Américain débraillé, Miró, plutôt petit, toujours élégant», comme le rappelle Elisabeth Hutton Turner), les deux hommes sont si proches qu’ils en deviennent presque des jumeaux artistiques.

Sans connaître les petites toiles de son ami, Calder réalise en effet dans les mêmes années des sculptures en bois, un matériau avec lequel il renoue, les autres matières premières faisant défaut. Comment les appelle-t-il? «Constellations»!

Dix étapes

La Fondation Beyeler a découpé l’espace d’expositions en dix cycles thématiques. Les similitudes entre les œuvres, malgré leur différence dimensionnelle, sont saisissantes.

On dirait que Calder tente de traduire les formes chatoyantes de Miró dans l’espace (excepté les couleurs), ou que Miró veut recréer le mouvement tridimensionnel des mobiles sur ses toiles.

Selon Christoph Vitali, cette osmose est «presque un miracle.» «En poussant toujours plus loin les limites physiques de ces mobiles, en jouant avec l’architecture, Calder a par exemple poussé Miró à ouvrir son cadre», interprète Elisabeth Hutton Turner.

A l’unisson!

Calder et Miró partageaient aussi une affinité pour certains thèmes, comme le cirque et les jeux d’enfants.

Quand Calder réalisait des portraits à l’aide de simples fils de fer (il faisait la démonstration de son talent dans les bistrots parisiens), Miró peint une série de «Têtes» reprenant également le principe de la ligne sans fin.

En 1937, ils participeront à une première exposition commune lors de leurs retrouvailles à Paris et collaborent avec Picasso au Pavillon espagnol anti-franquiste.

Résultat: le «Guernica» de Picasso, la «Fontaine de mercure» de Calder et «Le Paysan catalan en révolte», peinture murale de Miró aujourd’hui disparue.

Calder retourne aux Etats-Unis et ne cessera d’écrire à son ami pour lui promettre de l’«emporter» aux Etats-Unis. Ce sera fait en 1947.

Renouveau d’après-guerre

Mû par le souci de montrer aux Américains que l’art européen n’avait pas été tué par la guerre et qu’une avant-garde bien vivante était en train de créer des chefs d’œuvres, le marchand d’art de Miró, Pierre Matisse, organise une exposition au Moma de New York en 1948.

La grande peinture murale réalisée pour le restaurant du nouvel hôtel de luxe, également construit en signe de renouveau après-guerre, Terrace Plaza Hotel de Cincinnati, sera ainsi d’abord montrée à New York. Calder réalise, pour le hall du même hôtel, le mobile «Twenty Leaves and an apple.»

Ernst Beyeler avait déjà réuni les deux artistes lors d’une exposition dans ce qui était encore sa galerie en 1972-1973. Trente ans plus tard, cette exposition est une nouvelle approche du fabuleux chemin tracé par une amitié exceptionnelle.

swissinfo, Ariane Gigon Bormann à Riehen

– Alexander Calder (1898-1976) et Joan Miró (1893-1983) se rencontrent à Paris en 1928. Une amitié indéfectible et une véritable correspondance artistique naîtront de cette rencontre.

– «Calder Miró», du 2 mai au 5 septembre 2004, est à voir à la Fondation Beyeler, Riehen (atteignable en tram depuis la gare principale de Bâle).

– L’exposition contient 60 peintures de Miró et 70 mobiles et stabiles de Calder.

– Le parcours est divisé en dix étapes thématiques permettant de comprendre les correspondances formelles entre les deux œuvres.

– Certaines œuvres sont présentées pour la première fois au public. C’est le cas des «Murales I-III» peintes par Miró en 1933 pour une chambre d’enfant.

– Tous les week-ends, le funambule David Dimitri présentera un numéro dans le parc attenant à la Fondation Beyeler, sur un fil passant juste à côté d’un mobile monumental de Calder.

– Parallèlement, Bâle accueille une exposition consacrée à Kurt Schwitters (1887-1948) et à Jean Arp (1886-1966), au Musée des Beaux-Arts, tandis que le Musée Tinguely montre comment le travail de Schwitters a pu influencer Tinguely. (Du 1er mai au 22 août).

En conformité avec les normes du JTI

Plus: SWI swissinfo.ch certifiée par la Journalism Trust Initiative

Vous pouvez trouver un aperçu des conversations en cours avec nos journalistes ici. Rejoignez-nous !

Si vous souhaitez entamer une conversation sur un sujet abordé dans cet article ou si vous voulez signaler des erreurs factuelles, envoyez-nous un courriel à french@swissinfo.ch.

SWI swissinfo.ch - succursale de la Société suisse de radiodiffusion et télévision

SWI swissinfo.ch - succursale de la Société suisse de radiodiffusion et télévision