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Calmy-Rey en Turquie: diplomatie et économie

Micheline Calmy-Rey "n'est pas venue en Turquie pour donner des leçons". Keystone

Au terme de son voyage en Turquie, la ministre suisse des Affaires étrangères plaide pour le resserrement des liens économiques entre les deux pays.

Si elle juge que «réconciliation» est «un bien grand mot», Micheline Calmy-Rey a tout fait pour ménager ses hôtes, après la brusque détérioration des relations entre Berne et Ankara survenue en 2003.

Micheline Calmy-Rey avait trois jours pour réparer les pots cassés entre la Suisse et la Turquie. Elle a habilement manoeuvré pour éviter de trop insister sur les sujets qui fâchent comme la question kurde ou arménienne et mis l’accent sur l’économie.

«Je ne suis pas venue ici pour donner des leçons», a déclaré mercredi la ministre depuis Diyarbakir, la grande ville du sud-est kurde. «La Suisse pense qu’il appartient à chaque pays de se pencher sur son histoire et de se réconcilier avec elle», avait-elle dit la veille, au sujet de la question arménienne en compagnie de son homologue turc, Abdullah Gül.

Un discours prudent que la cheffe de la diplomatie helvétique n’a pas quitté pendant les trois jours de son voyage. Ses activités ont également témoigné de ce souci de diplomatie. Visite au mausolée d’Atatürk, journée au Kurdistan et discours devant un parterre d’hommes d’affaire suisses et turcs, elle a cherché à ménager toutes les sensibilités.

Attentes déçues?

Il n’est pas sûr que cette approche réponde aux attentes des diverses communautés qui lui demandaient, depuis la Suisse, d’intervenir auprès d’Ankara. Jeudi , Mme Calmy-Rey a assuré avoir parlé de la question arménienne et kurde lors de ses discussions avec M. Gül.

«Nous nous sommes mis d’accord sur la nécessité de créer un groupe d’experts», a-t-elle déclaré, pour faire la lumière sur les événements de 1915, précisant que l’initiative était venue de la Turquie. Entre avril 1915 et 1918, l’Empire ottoman a fait déporter des centaines de milliers d’Arméniens. Mais Ankara se refuse toujours à parler de «génocide».

L’ambassade suisse a remis à M. Gül un exemplaire du rapport Bergier sur les fonds en déshérence pour lui montrer le travail de mémoire effectué par la Suisse sur son attitude durant la Deuxième Guerre mondiale.

Quant à la lettre de l’organisation Amnesty international, qui demandait à Mme Calmy-Rey de plaider la cause des droits de l’homme auprès de son homologue turc, elle affirme l’avoir «transmise» au ministre.

L’économie d’abord

Mais la cheffe de la diplomatie suisse ne s’en cache pas: le but de sa visite en Turquie était avant tout de «renforcer les relations bilatérales» entre les deux pays. Celles-ci avaient été mises à mal en 2003 lorsque le parlement du canton de Vaud, puis la chambre basse du parlement fédéral, avaient reconnu le génocide arménien.

Parler de réconciliation entre Berne et Ankara à l’issue de ce voyage est «un bien grand mot», reconnaît Mme Calmy-Rey. Elle juge toutefois ce déplacement «très positif», notamment dans le domaine des relations économiques qui sont «en hausse».

Pour preuve, les exportations suisses en Turquie ont atteint 1,9 milliard de francs en 2004. En dépit des réformes entreprises par le gouvernement turc, les compagnies suisses rencontrent toutefois des difficultés, a déploré la ministre.

«Nous avons plusieurs cas d’entreprises concernées par des procédures judiciaires». De plus, les sociétés helvétiques sont soumises à la double imposition de leurs revenus. Un accord «pourrait sensiblement améliorer le cadre des relations bilatérales et des investissements suisses en Turquie», souligne-t-elle.

Elle en a parlé avec M. Gül, mais les négociations buttent sur une «spécificité suisse»: la différence entre la fraude et l’évasion fiscale. Micheline Calmy-Rey indique avoir tenté de «dégrossir les problèmes» en prévision de la prochaine venue du ministre de l’économie Joseph Deiss.

La Turquie européenne?

Au dernier jour de sa visite enfin, Micheline Calmy-Rey a pris la parole à Istanbul devant un parterre d’hommes d’affaires turcs et suisses. Elle a rappelé les liens unissant les deux pays. Mais elle a dit craindre que la Suisse soit délaissée une fois qu’Ankara aura rejoint le «club» européen.

«Le champ des relations bilatérales de la Suisse se restreint au fur et à mesure que l’Union européenne s’étend, a déclaré la cheffe de la diplomatie suisse. Il est donc important de les soigner. C’est l’une des raisons de ma venue ici».

La Suisse profiterait d’une adhésion de la Turquie à l’UE sur le plan économique, mais elle pourrait en pâtir au niveau politique. Elle aurait accès à «un marché élargi» mais sa «marge de manoeuvre» s’en trouverait restreinte pour ce qui est des relations bilatérales avec la Turquie, plus intéressée à cultiver ses liens avec l’UE, selon Mme Calmy-Rey.

De plus, certains accords bilatéraux conclus entre la Suisse et l’UE devraient être «ajustés», notamment celui sur la libre circulation des personnes, a-t-elle expliqué.

swissinfo et les agences

– En 2004, les exportations suisses vers la Turquie ont atteint 1,9 milliard de francs, en hausse de 17% par rapport à l’année précédente.

– La Suisse se situe au 6e rang des investisseurs étrangers en Turquie. A fin 2003, les investissements helvétiques atteignaient 1,1 milliard de francs, en hausse de 84 millions par rapport à l’année précédente.

– Entre mi-2003 et mi-2004, 42 nouvelles sociétés suisses se sont installées en Turquie. Parmi les entreprises présentes dans le pays, on trouve Novartis, Nestlé, ABB, Ciba, Roche, Givaudan ou Syngenta. Ensemble, ces firmes occupent près de 9000 personnes.

– Quelque 80’000 Turcs vivent en Suisse et 1500 Suisses vivent en Turquie.

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