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Celia, clandestine au quotidien

Elle est équatorienne. Elle a 35 ans. Elle est mère d’un enfant de 6 ans. Psychologue de formation, elle travaille illégalement comme femme de ménage depuis 3 ans en Suisse.

Parcours «vitale» d’une femme comme tant d’autres au pays des ombres.

«J’ai eu beaucoup de chance. J’ai rencontré des gens qui m’ont aidé à trouver du travail. Je suis une privilégiée dans la masse des clandestins.»

Celia sourit. Petit bout de femme au visage de madone, elle sait le pouvoir deS mots et des regards francs. Celia a envie de se raconter, de sortir du silence et de l’anonymat ou elle vit depuis trop longtemps.

Elle est fière de monter son appartement. Une cuisine dont les meubles en formica et le carrelage orange rappelle sans ambiguïté la fin des années soixante.

Une chambre avec un seul lit qu’elle partage avec son fil. Quelques peluches éparses, une télévision et une commode où sont dispersés quelques tubes de couleur. Du maquillage dont Celia aime visiblement se parer.

La fin des rêves pour mieux survivre

Il faut lui demander d’évoquer ses rêves pour voir Celia baisser les yeux. «Les rêves m’ont abandonnée. Ils ont été chassés par le quotidien», murmure l’Equatorienne.

Et de poursuivre, «rêver, s’est prendre le risque de se retrouver frustrée et déprimée. Et je ne peux pas me permettre ce luxe». Celia hésite. «Au fond de ma tête, il y a tout de même encore un espoir caché. Celui d’obtenir des papiers et d’avoir un jour la liberté d’élever mon fils comme toutes les autres mères.»

L’histoire de Celia ressemble à beaucoup d’autres. Elle est arrivée en Europe un 27 février avec son gamin de 4 ans et demi. Elle allait à la rencontre d’un univers «où les gens étaient cultivés, ouverts et amoureux des enfants».

«Je suis venue comme tous les immigrants, avec des illusions plein la tête. Mais ça n’a pas duré», résume Celia. Et de raconter sont arrivée à Lyon où sa sœur, également clandestine, avait pris le risque d’aller la chercher.

«Elle m’avait prévenue que nous ne pourrions pas nous embrasser. Je devais me contenter de la suivre à distance pour ne pas attirer la police.»

Un voyage à genoux

Celia commence alors son voyage vers la Suisse. Elle ne se souvient plus que du froid et du passeur qui les attendait quelque part. «Il a demandé 500 francs. Pour moi, ça représentait une véritable fortune», commente l’Equatorienne.

«Nous étions à quatre pattes, dissimulés à l’arrière de la voiture.» Le véhicule s’arrêtait, faisait demi-tour et repartait. «Le passeur cherchait la frontière la moins surveillée. J’avais peur et, pour me donner du courage, ma sœur me répétait que des millier de gens comme nous avaient réussi le même voyage.»

Celia est arrivée, comme tant d’autres. Comme tant d’autres, elle a rapidement compris que l’image qu’on lui avait dressée de la Suisse n’était qu’une carte postale éculée.

Elle a vu sa sœur amaigrie et les cheveux blanchis. Elle a vu son frère courbé par le travail ingrat. Elle a vu le studio avec les matelas à même le sol qu’il faudrait partager.

Celia a tout vu. Tout compris. Et pourtant, elle est restée. «Mon poste d’enseignante à l’université me permettait de prendre trois mois de congés. Je voulais en profiter pour passer quelques semaines en Suisse et me changer les idées après un divorce difficile. Pour m’offrir ce voyage j’avais vendu tout ce que j’avais.»

«J’étais persuadée que mon frère et ma sœur pourraient m’aider pour le retour», soupire Celia. «Les émigrants ne racontent jamais les difficultés qu’ils rencontrent à l’étranger. Et surtout, ils ne disent jamais leur pauvreté.»

Le cercle vicieux de la clandestinité



Et le temps a passé. Manque d’information, volonté inconsciente ou délibérée? Après deux mois de séjour en Suisse, Celia pense avoir perdu son billet de retour. «Personne ne m’avait pas dit que je pouvais prolonger la durée de sa validité», affirme la clandestine. Et de s’excuser, «Ici, on vit coupé du monde pour ne pas se faire remarquer.»

Malgré les promesses, l’argent du retour n’a jamais été économisé. Celia est rentré dans le cercle vicieux de la clandestinité. Elle s’est fondue dans son rôle d’immigrante. Et, à l’instar de tous ses compatriotes d’infortune, elle a fini par refuser de rentrer au pays les mains vides.

Plus qu’un Eldorado, la Suisse est devenue une sorte de défi qu’elle s’est promise de remporter.

«J’ai tout perdu en Equateur, admet la Celia. En revanche, mon trésor le plus précieux, mon fils, est à mes côtés. Ma seule préoccupation est de lui assurer la meilleure des vies possibles. Et la Suisse peut lui offrir beaucoup d’opportunités.»

Les yeux de Celia pétillent lorsqu’elle évoque son enfant. «Aujourd’hui, il va à l’école, c’est un gamin curieux, éveillé, avide de savoir. Demain, est une histoire à venir. Je préfère ne pas y penser.»

Et d’ajouter, «C’est aussi une des choses que m’a apprises la Suisse. Nous, les clandestins, nous vivons au jour le jour.»

Un quotidien fait de petits riens

Et le quotidien se construit aux fils des besoins les plus essentiels. Il faut trouver une garderie pour l’enfant. Créer le réseau de contacts indispensables à la survie. Et enfin, travailler.

«J’ai commencé par laver les vêtements pour les autres clandestins. Avant de dégotter quelques heures de ménage et de garde d’enfant.»

Je suis rentré en Suisse à genoux et j’ai passé des heures dans la même position, à frotter le sol à l’eau de javel, ironise Celia. Je voulais prouver ma volonté de bien faire, pour que l’on me donne encore et encore du travail.»

Les clandestins sont comme des chauffeurs de taxis. Ils passent leur journée à sillonner la ville pour accomplir leur tache. Une heure par-ci une heure par-là, raconte encore Celia.

Et il ne suffit pas de trouver du travail. Encore faut-il le garder. «La concurrence est dure, souligne l’Equatorienne. Les plus démunis acceptent de se vendre pour presque rien.»

Et elle en sait quelque chose Celia, elle, qui a travaillé pour quelque 500 francs par mois. Aujourd’hui, elle gagne trois fois plus. Et elle est presque fière de ce tour de force.

Il y a de la passion dans la voix de Celia lorsqu’elle raconte son parcours de combattante. Sa vitalité débordante lui tient lieu de carte de visite. C’est elle qui lui a ouvert les portes de la clandestinité. Elle qui lui a permis de nouer les contacts essentiels à sa survie.

Les bienfaits de la solidarité



Non contente de multiplier les petits boulots, Celia a offert ses services de psychologue bénévole à un centre de soutien pour immigrants. «Ca peut paraître un peu fou mais je me sens tellement riche et pleine d’énergie ». La jeune femme rit. «Et puis, j’éprouve le besoin de redistribuer un peu du soutien que l’on a bien voulu m’accorder dans les moments difficiles.»

Et Celia de raconter comment certains l’ont aidée à obtenir une carte AVS ou un appartement. Comment d’autres l’ont guidée dans la jungle des administrations et des services sociaux alors qu’elle ne parlait pas un mot de français.

Aujourd’hui, Celia sait tout des lois qui régissent le monde des clandestins. Elle a appris la force, l’obstination, la volonté sans faille mais aussi la soumission, la discrétion et l’humilité qui sied aux illégaux.

Reste une peur qui surpasse toutes les autres: celle de la maladie. «Ma force de travail est mon seul bien. Elle est aussi la seule chance de survie pour mon enfant».

«Les illégaux n’ont aucune assurance, rappelle Celia. Pour eux, la maladie signifie la fin du parcours. C’est très simple, un clandestin qui ne travaille pas ne mange pas.»

Et de conclure, «J’ai du mal à admettre l’ambiguïté du système. On veut bien de notre travail mais on nous laisse vivre dans une totale insécurité, sans nous accorder le moindre droit officiel. C’est hypocrite et surtout inhumain.»

swissinfo, Vanda Janka

– Selon une étude mandatée par la municipalité de Lausanne, sur les 10’000 clandestins que compte la région lausannoise, entre 2000 et 3000 sont originaires d’Amérique Latine.

– 292 enfants clandestins sont scolarisés à Lausanne, dont 70% sont des Equatoriens.

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