Des perspectives suisses en 10 langues

Christoph Blocher passe la main à sa fille

Christoph Blocher et sa fille Magdalena Martullo-Blocher. Keystone

Le nouveau conseiller fédéral abandonne son double mandat au sein de l’entreprise Ems-Chemie, dont il détient 72%. Il reste provisoirement propriétaire.

Sa fille Magdalena reprend la direction et Dieter Klug présidera le conseil d’administration.

Chassez le naturel, il revient au galop. Dans la première conférence de presse d’ex-candidat au Conseil fédéral, jeudi après-midi à Zurich-Oerlikon, Christoph Blocher a retrouvé certaines habitudes qu’il avait perdues ces dernières semaines, campagne oblige.

Il a notamment lancé plusieurs pointes ironiques contre le journaliste du «Blick»: «Je vous fais confiance pour trouver tous les jours un nouveau conflit d’intérêt entre ma nouvelle fonction et Ems-Chemie», a-t-il par exemple déclaré.

L’autorité du patron perçait aussi à l’heure des questions: chaque réponse de sa fille Magdalena était précisée ou complétée par le papa.

La conférence de presse visait à dévoiler la nouvelle organisation du groupe Ems-Chemie, qui emploie près de 2800 personnes dans le monde (1843 en Suisse) et réalise 92% de ses affaires à l’étranger.

Toute sa carrière à Ems

Entré à Ems en 1969 à l’âge de 29 ans, actionnaire majoritaire depuis 1983, Christoph Blocher avait assaini le groupe et l’avait transformé en entreprise innovatrice.

Ses succès sont cités en exemple. Depuis 20 ans, il cumule les fonctions de directeur général et de président du conseil d’administration.

Or l’article 60 de la loi sur l’organisation du gouvernement («Incompatibilité à raison de la fonction») interdit aux membres du Conseil fédéral d’«exercer d’autre activité professionnelle ou commerciale».

C’est pourquoi le nouveau conseiller fédéral abandonne les rênes de l’entreprise à sa fille Magdalena Martullo-Blocher, 34 ans, enceinte de son deuxième enfant et directrice générale à partir du 1er janvier.

Un nouveau venu chez Ems, Dieter Klug, 66 ans, ancien de Netstal Machines, reprendra la présidence du conseil d’administration.

Préparé depuis plus d’une année

Comme il l’a dit lui-même jeudi, le changement ne tombe pas du ciel. «Tout est très bien préparé», a répété Christoph Blocher.

Le Zurichois prépare le terrain depuis plus d’une année, sans compter les mandats abandonnés toutes ces dernières années à l’extérieur d’Ems-Chemie.

Magdalena Martullo-Blocher siège à la direction de la holding depuis janvier 2001. Diplômée de la Haute Ecole de St-Gall, elle a passé deux ans chez Johnson et Johnson.

En 1996, elle avait rejoint Rivella, où elle a lancé le nouveau Rivella Vert, de même que la campagne «de quelle couleur a ta soif?»

En août 2002, elle est devenue vice-présidente du conseiller d’administration du groupe Ems.

Le frère aussi

Son frère, Markus Blocher, 32 ans, chimiste, dirige quant à lui la filiale Ems-Dottikon depuis cette année, mais il est dans l’entreprise depuis trois ans.

Les deux autres enfants de Christoph Blocher, Rahel et Miriam, ne semblent pas intéressées par l’entreprise familiale.

Et ses actions?

Reste un hic: si, le 1er janvier, Christoph Blocher aura bel et bien abandonné ses fonctions d’entrepreneur, il sera en revanche, très vraisemblablement, encore propriétaire de 72% d’Ems, qui ont une valeur estimée de plus de 2 milliards de francs.

Rien n’interdit aux conseillers fédéraux de posséder ce qu’ils veulent. Pascal Couchepin avait par exemple, en plaisantant, avoué avoir perdu de l’argent avec ses parts des Forces motrices valaisannes.

«Personne n’oblige les conseillers fédéraux à présenter leurs extraits de comptes en banque ou de comptes d’épargne », a déclaré Christoph Blocher jeudi.

Baisse de la participation familiale retardée

En janvier dernier, le Zurichois avait annoncé vouloir réduire sa part à 51% maximum, non dans la perspective du Conseil fédéral, mais pour augmenter le volume de capital flottant (titres en mains du public), très faible à Ems, ce qui lui avait valu de sortir de l’indice SMI en automne 2002.

Cela n’a pas été fait. «Nous avons d’abord voulu créer l’action unique, ce qui été approuvé fin octobre. Pour le reste, il faut nous laisser un peu de temps», s’est justifié Christoph Blocher.

Problèmes fiscaux

La cession des parts pose en effet un problème, que le nouveau conseiller fédéral n’a pas éludé. Si les enfants se retrouvent propriétaires du paquet d’actions paternelles, ils auront aussi à s’acquitter d’un impôt sur la fortune correspondant…

«Si l’on n’a pas déjà une fortune de plusieurs millions, il faut alors puiser dans les caisses de l’entreprise, ce qui n’est pas envisageable», a dit Christoph Blocher.

Le Zurichois n’a voulu dévoiler aucune des options qui sont analysées (l’éventuel recours à des investisseurs extérieurs à la famille, par exemple), pas plus qu’un délai de mise en oeuvre.

Etonnante réserve

De quoi mettre en doute l’affirmation selon laquelle «tout a été très bien préparé», de même que son intention, affichée dès le 19 octobre, de vendre ses parts, par souci de crédibilité.

Quant au quelque 20% de Lonza qu’Ems détient, leur avenir est désormais entre les mains de Magdalena Martullo et de Dieter Klug.

Avant cela, l’assemblée générale convoquée pour avaliser les changements aura eu lieu, le 31 décembre. Entre son dernier jour en tant que directeur et président d’Ems et son premier jour de conseiller fédéral, Christoph Blocher n’aura donc pas de vacances…

swissinfo, Ariane Gigon Bormann, Zurich

Le groupe Ems employe 2757 personnes dans le monde, dont 1843 en Suisse.
Son chiffre d’affaires s’est élevé en 2002 à 1,2 milliard de francs, dont 92% à l’étranger.
Ems produit des polymères utilisés notamment dans les boîtiers de téléphones portables, les lunettes et les verres de contacts.

– Christoph Blocher est entré en 1969 à EMS-Chemie (autrefois Emser Werke), au sein de la division juridique.

– Il a ensuite gravi tous les échelons de cette entreprise de composés chimiques, devenant directeur à 32 ans, en 1972, puis reprenant la majorité des actions en 1983, à l’âge de 43 ans.

– Il possède 72% du groupe, pesant plus de deux miliards de francs. Depuis 1983, il cumule la fonction de directeur général et de président du petit conseil d’administration (six personnes).

– La reprise progressive des responsabilités est préparée depuis plus d’une année. Sa fille Magdalena Martullo-Blocher, 34 ans, siège à la direction de la holding depuis janvier 2001.

– En août 2002, elle est devenue vice-présidente du conseil d’administration.

– Markus Blocher, le fils, chimiste, dirige la filiale Ems-Dottikon.

– Christoph Blocher a décidé de scinder en deux postes les fonctions qu’il occupera jusqu’au 31 décembre.

– Magdalena Martullo-Blocher reprendra la direction du groupe.

– Le conseil d’administration sera présidé par Dieter Klug, 66 ans, qui avait repris Netstal en 1992.

– En janvier déjà, Christoph Blocher avait annoncé vouloir réduire les parts familiales de 72 à 51% pour permettre l’augmentation du capital flottant.

– Cela n’a pas encore été fait parce qu’EMS a d’abord voulu introduire une action unifiée, a expliqué Christoph Blocher.

– La cession de ses parts à ses enfants ou à des tiers est théoriquement décidée, même si la loi autoriserait Christoph Blocher à rester propriétaire. Mais aucune échéance ni modalité n’a été annoncée.

En conformité avec les normes du JTI

Plus: SWI swissinfo.ch certifiée par la Journalism Trust Initiative

Vous pouvez trouver un aperçu des conversations en cours avec nos journalistes ici. Rejoignez-nous !

Si vous souhaitez entamer une conversation sur un sujet abordé dans cet article ou si vous voulez signaler des erreurs factuelles, envoyez-nous un courriel à french@swissinfo.ch.

SWI swissinfo.ch - succursale de la Société suisse de radiodiffusion et télévision

SWI swissinfo.ch - succursale de la Société suisse de radiodiffusion et télévision