Des perspectives suisses en 10 langues

Chronique d’un mouvement désamorcé

A 'La Boillat', le travail a repris le 23 février. Keystone

Pourquoi les employés de La Boillat à Reconvilier ont-ils repris le travail, après un mois de grève, sans avoir obtenu ce qu'ils revendiquaient?

La faute à la nouvelle gouvernance d’entreprise et à sa logique de rentabilité à court terme, disent certains observateurs.

Le 25 janvier 2006, les ouvriers de l’usine Swissmetal-Boillat à Reconvilier reprennent la grève, après une première phase de conflit en novembre 2004. Ils s’opposent aux restructurations annoncées par la direction générale du groupe.

Dans toute la Suisse, on parle alors du combat des ouvriers de cette usine du Jura bernois. Un combat qualifié d’exemplaire. Même le Forum social mondial fera étape à Reconvilier pour affirmer le rôle symbolique joué par les grévistes de La Boillat.

Partout, on souligne la détermination extraordinaire des employés et on admire les nouvelles solidarités qu’engendre ce conflit (voir l’encadré: Swissmetal: «Un combat hors du commun»).

Mais un mois plus tard, le personnel vote la reprise du travail sans avoir obtenu ce qu’il revendiquait – entre autres, le réengagement des 21 cadres licenciés pour les avoir soutenus. Comment en est-on arrivé là? Par quels mécanismes a-t-on eu raison de ce mouvement?

Un vote de raison

«C’est un vote de raison, celui de la dernière chance», résumait le représentant des grévistes Nicolas Wuillemin dans la presse suisse au lendemain de la décision. Le médiateur nommé par les autorités fédérales, Rolf Bloch, avait en effet refusé de poursuivre la négociation si le travail ne reprenait pas immédiatement.

Les pressions venaient de toutes parts. De la direction de Swissmetal, bien sûr, intransigeante jusqu’au bout. Des sous-traitants de La Boillat qui, jour après jour de grève, se trouvaient dans une situation toujours plus délicate. Et, dans une certaine mesure, du syndicat aussi.

Sous le coup d’une plainte portée par la direction de Swissmetal, Unia, après avoir soutenu la grève, a finalement convaincu une majorité du personnel de reprendre le travail pour «assurer la pérennité» de l’usine. Ce qui lui a valu d’être accusé de trahison par certains employés.

Paix du travail

Il faut dire qu’en Suisse, si la liberté syndicale est un droit fondamental inscrit dans la Constitution fédérale, la grève est toutefois relativisée par les accords de paix du travail de 1937.

«Comparé au voisin français, le nombre de jours perdus pour raison de grève est nettement plus faible en Suisse, observe André Mach. Il y a une tradition de grève quasiment inexistante qui est liée à la paix du travail et a une certaine modération des syndicats».

Professeur en sciences politiques à l’Université de Lausanne et directeur d’un mémoire d’étudiant sur l’affaire de La Boillat, André Mach estime pourtant que, dans le cas de Reconvilier, ce n’est pas le droit helvétique qui est responsable de l’échec des grévistes.

Croissance à tout prix

Un avis partagé par le sociologue François Hainard, professeur à l’Université de Neuchâtel: «Je ne pense pas que ce soit propre à la Suisse. On entre dans un capitalisme extrêmement dur qui suit une logique de croissance à tout prix.»

«De grands groupes financiers imposent leur stratégie sans prendre le soin de la justifier par des chiffres. C’est le pouvoir qui s’exerce dans sa plus grande crudité. On restructure, même parfois des entreprises qui se portent bien, sans s’interroger sur les conséquences économiques et sociales que cela peut avoir pour le personnel et la population.»

Les deux observateurs soulignent également la soumission de certains conseils d’administration face aux actionnaires, «anonymes derrière leurs portefeuilles», et la nouvelle gouvernance d’entreprise qui mise uniquement sur la rentabilité à court terme.

Pour François Hainard, l’affaire de La Boillat révèle «le déséquilibre toujours plus marqué dans les rapports de force en faveur du grand capital qui impose ses points de vue» et met en évidence «les grandes transformations socio-économiques que subit le monde du travail aujourd’hui.»

Quant à l’avenir de La Boillat, il se joue ces prochains jours. En fin de semaine, la séance de négociation, qui se déroule sous l’égide du médiateur Rolf Bloch, devrait porter sur la place du site de Reconvilier dans la stratégie future de Swissmetal.

Mais, constate André Mach, «pour trouver une issue à un tel conflit, il faut nécessairement que les différents protagonistes aient l’impression d’avoir gagné quelque chose. Or, dans ce cas, il y a pour l’instant un vainqueur unilatéral.»

swissinfo, Alexandra Richard

En Suisse, la grève est un droit fondamental inscrit dans la Constitution fédérale (liberté syndicale).

L’article 28 précise que la grève est licite si elle se rapporte aux relations de travail et si elle respecte les obligations de préserver la paix du travail ou de recourir à une conciliation.

Les accords de «paix du travail» ont été signés en 1937 par les deux principales branches industrielles (horlogerie et industrie des machines) après un début de siècle marqué par de nombreux conflits du travail.

La grève doit respecter le principe de proportionnalité. Autrement dit, elle ne doit être utilisée qu’en dernier recours.

Le 16 novembre 2004, le personnel de Swissmetal-Boillat débraie durant dix jours pour protester contre le licenciement du directeur du site.
Le 25 janvier 2006, le personnel reprend la grève. Il s’oppose aux restructurations annoncées fin 2005 par la direction.
Le 9 février, le ministre de l’économie Joseph Deiss nomme un médiateur pour résoudre le conflit: Rolf Bloch.
Le 10 février, Swissmetal annonce le rachat de Bush-Jaeger, son ex-filiale en Allemagne.
Le 23 février, le personnel vote la suspension de la grève.

En conformité avec les normes du JTI

Plus: SWI swissinfo.ch certifiée par la Journalism Trust Initiative

Vous pouvez trouver un aperçu des conversations en cours avec nos journalistes ici. Rejoignez-nous !

Si vous souhaitez entamer une conversation sur un sujet abordé dans cet article ou si vous voulez signaler des erreurs factuelles, envoyez-nous un courriel à french@swissinfo.ch.

SWI swissinfo.ch - succursale de la Société suisse de radiodiffusion et télévision

SWI swissinfo.ch - succursale de la Société suisse de radiodiffusion et télévision