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Un fossé sépare les électeurs de l’intérieur et les expatriés

Folla dinanzi a uno stand in una piazza e sullo sfondo l ingresso del Palazzo federale.
En 2016, le ministre des Affaires étrangères de l'époque, Didier Burkhalter, allait à la rencontre des expatriés sur la Place fédérale de Berne à l'occasion du centenaire de l'Organisation des Suisses de l'étranger. swissinfo.ch

Pourquoi les Suisses de l’étranger votent-ils plus à gauche que leurs compatriotes restés au pays? Parce que les partis de gauche s’adressent à eux en tant qu’entité distincte plutôt que de les considérer de la même manière que les électeurs vivant à l’intérieur de frontières nationales, selon une étude détaillée.

L’an dernier, plus de 760’000 Suisses vivaient à l’étranger. Ensemble, ils formeraient le quatrième canton le plus peuplé de Suisse. En 2019 toujours, quelque 174’000 d’entre eux étaient inscrits sur les registres électoraux, ce qui leur permet de participer à distance aux différents scrutins organisés en Suisse.

«Néanmoins, la recherche ne sait encore pratiquement rien d’eux. Il s’agit donc du plus grand groupe d’électeurs suisses qui reste encore inexploré», affirment les politologues Andreas GoldbergLien externe et Simon LanzLien externe.

Un groupe que les deux chercheurs ont donc décidé d’examiner de manière approfondie dans une étude intitulée Living abroad, voting as if at home? Electoral motivations of expatriates.Lien externe (Vivre à l’étranger, voter comme chez soi? Les motivations électorales des expatriés).

La Cinquième Suisse – terra incognita

On savait déjà que les Suisses de l’étranger votent plus à gauche et plus vert que ceux de l’intérieur. Mais au-delà de ce constat, l’électorat de ce «quatrième canton» le plus peuplé restait assez peu connu.

Désormais, on sait que la composition de l’électorat suisse à l’étranger est différente de celle de l’électorat national: il est notamment plus jeune, plus masculin et plus instruit.

L’étude

L’étude Living abroad, voting as if at home? Electoral motivations of expatriates d’Andreas Goldberg et Simon Lanz a été publiée dans Migration Studies, une revue scientifique de la prestigieuse Université d’Oxford.

De FactoLien externe, la plateforme suisse multilingue de sciences politiques en a publié une version abrégée le 16 décembre 2019.

L’étude des deux politologues se base sur les données de l’étude Selects 2011Lien externe sur les élections fédérales 2011. Les auteurs de cette dernière avaient réalisé un sondage représentatif auquel avaient répondu 1629 Suisses de l’étranger résidant dans environ 120 pays.

«L’électorat de ce que l’on appelle la Cinquième Suisse ne peut être comparé à celui de l’intérieur. En outre, les Suisses de l’étranger prennent leurs décisions de manière différente et constituent donc un potentiel négligé pour les partis», peut-on lire dans le résuméLien externe des deux auteurs.

Mais l’analyse ne s’arrête pas là. Andreas Goldberg et Simon Lanz ont également constaté des similitudes entre les deux groupes d’électeurs. Or tant les différences que les similitudes sont importantes pour les conclusions.

Des caractéristiques différentes

Voici ce que leur recherche a mis en évidence sur la composition et les attitudes des membres politiquement actifs de la Cinquième Suisse:

·       Plus masculin: la proportion d’hommes dans le corps électoral suisse à l’étranger est supérieure de 15 points de pourcentage à celle du corps électoral en Suisse.

·       Plus célibataire: la part des célibataires est plus élevée (+7 points de pourcentage).

·       Plus jeune: l’âge moyen est inférieur de quatre ans.

·       Mieux formé: le niveau moyen d’éducation est plus élevé. Il y a plus de cadres et d’employés du secteur public (+13 points de pourcentage). On rencontre également dans ce groupe électoral des Suisses de l’étranger plus de professions typiques de la classe moyenne ainsi que de professions libérales (+8 points de pourcentage).

·       Moins croyant: la proportion de ceux qui n’ont pas de religion ou qui se disent non chrétiens est supérieure de près d’un quart (+23 points de pourcentage). La proportion de catholiques pratiquants est considérablement plus faible (-11 points de pourcentage).

Positionnement politique plus clair

·       Plus à gauche: dans l’éventail politique, les Suisses de l’étranger sont plus à gauche, avec une différence de 1,3 point. Concrètement, ils s’identifient davantage au Parti socialiste et aux Verts. A l’inverse, ils soutiennent moins le Parti libéral radical (PLR / droite), le Parti démocrate-chrétien (PDC / centre droit), le Parti bourgeois démocratique (PBD / centre droit) et en particulier l’Union démocratique du centre (UDC / droite conservatrice).

·       Plus passif: atteignant environ 30%, le taux de participation des Suisses de l’étranger aux élections fédérales est nettement plus faible que celui des Suisses de l’intérieur (environ 50%).

Le facteur décisif pour privilégier le parti X plutôt qu’Y

Tant pour les Suisses de l’étranger que pour ceux de l’intérieur, le choix d’un parti se fait en premier lieu sur la base de l’identification à ce parti et de la capacité supposée de ce parti à résoudre certains problèmes. Cependant, les Suisses de l’intérieur ont tendance à privilégier le sentiment d’appartenance à un parti, tandis que les expatriés sont plus sensibles à la capacité à résoudre des problèmes. En revanche, l’appartenance à une religion ou à une classe sociale compte moins.

Mais comment se fait-il que les différentes votations et élections laissent entrevoir une Cinquième Suisse politiquement positionnée plus à gauche? Une tendance qui a d’ailleurs encore été confirmée lors des dernières élections fédérales d’octobre dernier:

Contenu externe

Selon Andreas Goldberg et Simon Lanz, cela est dû à de «réelles différences de comportement» entre les deux groupes d’électeurs. La motivation à voter pour un parti «qui tient compte de la différence significative entre les électeurs en Suisse et à l’étranger» est décisive. En d’autres termes, les partis qui ciblent spécifiquement les Suisses de l’étranger en tant que tels attirent leurs voix.

«Les partis pourraient tirer profit de ces différences de comportement par le biais de campagnes spécifiquement destinées aux Suisses de l’étranger. Mais tout comme les chercheurs, les partis ont jusqu’à maintenant montré peu d’intérêt pour les Suisses de l’étranger», notent les auteurs de l’étude.

Les expatriés intensivement courtisés en 2023?

La situation va-t-elle changer lors des prochaines élections fédérales de 2023? On suppose que le nombre de Suisses de l’étranger continuera de croître d’ici là. Et avec eux, le potentiel de votes décisifs augmentera. Les partis en seront-ils conscients et agiront-ils en conséquence? Seul l’avenir le dira.

(Traduction de l’allemand: Olivier Pauchard)

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