Un septième de la population qui décide pour toute la Suisse: est-ce démocratique?

En moyenne, environ 45% de l’électorat suisse participe aux votations et aux élections. Pourquoi le taux de participation est-il si faible et que pourrait-on faire pour l’augmenter?
La démocratie est sous pression dans plusieurs pays. En Turquie, le président Recep Tayyip Erdoğan a fait arrêter sans ménagement son adversaire le plus acharné. En Serbie, des milliers de personnes descendent dans la rue pour manifester contre la corruption, en faveur d’élections libres et d’un véritable droit de participation. Dans d’autres pays également, comme la Hongrie et la Russie, la démocratie ne peut être considérée comme acquise. Mais qu’en est-il en Suisse?

La Suisse est vue au niveau international comme un modèle de démocratie — directe, stable, proche des citoyens. Mais les apparences sont trompeuses. En effet, entre l’idéal sur le papier et la réalité vécue, il y a un fossé: moins de la moitié des personnes qui bénéficient du droit de vote en font usage lors de votations et d’élections.
«Nous vivons dans un système où un septième de la population peut décider pour tout le monde.»
Michael Elsener, satiriste
L’humoriste satirique Michael Elsener résume le dilemme par un jeu de chiffres. «Quelque neuf millions de personnes vivent en Suisse. Parmi elles, 5,6 millions ont le droit de vote. Si 45% d’entre elles se rendent aux urnes (taux de participation moyen), il ne reste donc que 2,6 millions d’électeurs et d’électrices qui se prononcent sur une proposition.»
«Il suffit de la moitié de ces personnes qui votent, soit 1,3 million, pour accepter ou refuser un projet. Elles constituent ce qu’on appelle la majorité. Nous vivons dans un système où 14 pour cent peuvent décider pour nous tous. Cela représente un septième de la population», explique Michael Elsener.
Michael Elsener a étudié les sciences politiques aux universités de Zurich et de Florence. Depuis 2008, il se produit en tant que satiriste en Suisse, en Allemagne et à New York. Dans son dernier spectacle Alles wird gut, il met en lumière la démocratie suisse. Avant les votations, Michale Elsener livre sur les médias sociaux un condensé des différents arguments sous la forme d’une clip vidéo.
Dans son dernier spectacle, Michael Elsener se demande notamment pourquoi le taux de participation est si bas. Sa réponse satirique: ouvrir l’enveloppe de vote est déjà beaucoup trop compliqué. Et une fois cet obstacle franchi, les choses ne deviennent pas plus simples, bien au contraire.
Mais la Suisse est fière de sa démocratie directe, même si elle est compliquée pour beaucoup de gens. En effet, aucune autre nation ne donne à ses citoyens autant de possibilités de s’exprimer. L’initiative populaire, par exemple, permet à toute personne ayant le droit de vote de proposer une modification de la Constitution avec 100’000 signatures.

Et le référendum permet même de bloquer des lois déjà votées par le Parlement – 50’000 signatures suffisent pour que le peuple se prononce sur la loi. Mais à quoi servent tous ces outils s’ils ne sont finalement utilisés réellement que par une minorité?
Apprendre à débattre en classe
Selon Michael Elsener, l’une des raisons de la faible participation aux élections et aux votations est le manque de formation politique. «La plupart des jeunes apprennent à l’école comment fonctionne le Conseil fédéral ou ce que signifie le mot ‘référendum’. Mais ils n’en font pas l’expérience. Il leur manque le rapport pratique.»

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Sa proposition: apprendre le débat comme matière scolaire. En effet, la formation d’une opinion politique nécessite de la pratique, des échanges, des frictions. «Un parlement scolaire serait un bon début. Les jeunes doivent découvrir que leur voix compte — et comment les décisions sont prises».
La deuxième raison de la faible participation: la perte de confiance. «De nombreux hommes et femmes politiques ne parlent plus le langage de la population. Ils semblent distants, utilisent des formules toutes faites, évitent les positions claires. Les gens le remarquent et ne se sentent pas pris au sérieux. Le personnel politique devrait se mettre davantage au niveau de la population — honnêtement, clairement, de manière compréhensible.»
Quel intérêt des jeunes pour la politique?
Michael Elsener n’est pas le seul à penser que la politique suisse devrait changer pour toucher davantage de citoyens. De nombreux jeunes en Suisse ne se sentent pas concernés par la politique actuelle. Selon le Monitoring de la jeunesse et de la politique 2023Lien externe, l’intérêt politique chez les jeunes est pourtant en principe élevé.
Mais même si les jeunes s’intéressent en principe à la politique, environ 40% des personnes interrogées sont tout à fait ou plutôt d’accord pour dire que le langage compliqué des hommes et des femmes politiques est une raison de ne pas aller voter. Il en va de même pour le sentiment que les objets de votation ne résolvent pas les problèmes. Les jeunes s’intéressent en outre moins aux thèmes qui occupent souvent le devant de la scène dans le discours politique.

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Les jeunes se préoccupent plutôt de problèmes spécifiques tels que le racisme, la discrimination et le changement climatique. Les jeunes générations accordent également de l’importance à des thèmes qui n’ont guère fait l’objet d’un discours politique jusqu’à présent, comme la santé mentale.
Une visite au centre de formation professionnelle de Pfäffikon, dans le canton de Schwytz, le confirme: l’intérêt pour la politique est là — mais il y a aussi beaucoup de questions ouvertes. Les élèves de l’école professionnelle ne tarissent pas d’éloges sur les cours de culture générale, au cours desquels ils discutent notamment de l’actualité politique. Ils connaissent la démocratie directe, savent ce qui se passe autour de la Suisse et dans le monde et que notre système politique ne va pas de soi.
«Quand des jeunes se présentent aux élections, ils ont ma voix»
Tobias Dillier, apprenti
Luka Milosavljevic, qui fait son apprentissage de logisticien à la Poste, est pensif. «Nous devons prendre soin de la démocratie — sinon nous perdons le dialogue», déclare-t-il. Il aime discuter des questions politiques avec sa sœur et ses collègues et participe activement aux votations et aux élections.
Futur agriculteur, Tobias Dillier va lui aussi régulièrement voter. Il s’informe directement sur les différents objets en discutant avec ses collègues. Pour lui, la politique se fait sur le terrain — de manière concrète, tangible, au quotidien. «Quand des jeunes se présentent aux élections, ils ont ma voix», dit-il.

Sarina Abegg, future ferblantière, observe une certaine indifférence chez de nombreux jeunes de son âge — qui se manifeste souvent au quotidien. «Autrefois, on discutait à la table de la cuisine. Nous, les jeunes, ne le faisons presque plus. Nous préférons regarder notre smartphone.» Elle-même s’intéresse à la politique, mais ne peut pas encore voter parce qu’elle est trop jeune.
Ces voix le montrent: ce n’est pas du désintérêt, mais souvent de la distance. La politique est vécue comme quelque chose qui se passe loin, qui est compliqué et difficile d’accès. Les liens entre les jeunes et les institutions politiques semblent souvent ténus.
La Suisse est confrontée au défi de concevoir ses processus démocratiques de manière qu’ils atteignent également les jeunes générations.
Texte traduit de l’allemand à l’aide de DeepL/op

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