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Collectionneurs de Dürrenmatt appelés à la rescousse

Le dramaturge suisse en 1979, alors qu'il dessinait. RDB

Vingt ans après la mort de Friedrich Dürrenmatt, écrivain génial et peintre méconnu, le centre qui porte son nom à Neuchâtel lance un appel aux collectionneurs. Son ambition: établir un inventaire exhaustif de l’œuvre graphique et, à partir de là, un catalogue raisonné.

La littérature suisse en langue allemande du 20e siècle marche sur deux plumes majeures. Max Frisch pour l’ironie, Friedrich Dürrenmatt pour le grotesque. Ce grotesque qu’on retrouve également dans l’œuvre peint et dessiné du Neuchâtelois d’adoption, mort il y a vingt ans cette année.

C’est vers l’âge de 55 ans seulement que Dürrenmatt a exposé pour la première fois ses travaux en public. Il refusera d’ailleurs de figurer dans un lexique des peintres suisses. Ceci expliquant sans doute en partie cela, il reste à ce jour mal connu sur ce terrain et largement oublié de l’histoire de l’art.

Antenne de la Confédération dont la vocation est de rendre cette œuvre accessible au public, le Centre Dürrenmatt (CDN) devait fatalement, un jour ou l’autre, l’aborder de façon «scientifique». La course est aujourd’hui lancée avec cet appel adressé aux collectionneurs afin qu’ils se fassent connaître.

Le terrain de chasse est planétaire, puisque des œuvres sont signalées en Allemagne et aux Etats-Unis par exemple. «L’acteur autrichien Maximilian Schell, qui vit aux Etats-Unis, posséderait un dessin de Dürrenmatt», indique Ulrich Weber, responsable du Fonds Dürrenmatt aux Archives littéraires et auteur d’un ouvrage consacré à l’illustre Suisse*.

D’ici à l’automne 2011, date d’un important colloque consacré à l’artiste, le CDN souhaite établir un inventaire aussi exhaustif que possible de cette œuvre très vaste, Dürrenmatt ayant peint et dessiné de l’enfance à la vieillesse. Une œuvre en partie disséminée: au fil des ans, il a offert un pan de ses travaux à ses amis et connaissances, puis sont intervenus déménagements, commerçants d’art et ventes aux enchères.

Trois collections

Au terme de sa quête, qui ira sans doute au-delà de 2011, le centre Dürrenmatt espère identifier quelques dizaines de peintures et dessins élaborés et plusieurs centaines de dessins plus spontanés et de caricatures.

Cette manne viendra compléter le champ du connu, en partie regroupé au sein de trois collections – celles de la famille Hans Liechti à Granges (400 œuvres), de Charlotte Kerr Dürrenmatt (200) et de la Confédération (CDN, 200).

L’inventaire n’est qu’une première étape. Sous réserve de l’accord des collectionneurs, il devrait conduire à un projet de recherche et déboucher sur un catalogue raisonné de l’œuvre, indique Janine Perret Sgualdo, directrice du centre Dürrenmatt.

«Jusqu’ici, peu de gens se sont penchés de manière très scientifique sur cette œuvre de manière à la catégoriser. Et à ce stade, il est bien de considérer l’œuvre écrite et peinte de Dürrenmatt comme un ensemble», reconnaît-elle.

Un champ de bataille

Sa peinture, Dürrenmatt l’a d’abord produite pour lui-même. «Ce n’était pas pour lui un travail annexe, mais le champ de bataille où il livrait ses combat et ses défaites d’écrivain», explique Janine Perret Sgualdo.

Un champ de bataille où il exprime les motifs typiques de son œuvre, liés à la mythologie grecque et biblique, ses fondamentaux. «Il jongle avec les couleurs, les formes, les personnages, pour donner à voir des choses qu’il formule d’une autre façon dans sa littérature.»

La Ballade du Minotaure en est une bonne illustration. Projet intervenu vers la fin de sa vie, il allie le texte littéraire à un travail pictural à part entière. «Certains motifs hantent Dürrenmatt, comme des obsessions, qu’il répète. La première Tour de Babel, par exemple, date de la fin des années quarante. Il reprend ce thème vingt ans après», rappelle Janine Perret Sgualdo.

Pour Ulrich Weber, le point de départ se trouve chez les expressionnistes. Dans cet art «dégénéré» aux yeux des nazis, montré lors d’une exposition, avant-guerre à Munich. «Il dit lui-même que pour la première fois, il retrouvait là un art correspondant à ses propres idées.»

Autodidacte et solitaire

Peintre autodidacte, dessinateur avant tout, Dürrenmatt jouait sur la tradition picturale allant de la Renaissance au 18e siècle, et passant par la peinture baroque. «Mais en la déformant, en caricaturant les motifs traditionnels. Il a très rarement peint d’après nature, reproduire ne l’intéressait pas».

Sur le plan technique, «c’était un solitaire, juge Ulrich Weber. Et cela, même si dans ses dessins à la plume, on peut reconnaître la tradition, le trait fin de l’illustration du 19e siècle, à l’image d’un Delacroix.»

A l’âge de 25 ans, Dürrenmatt a consciemment choisit la littérature pour profession et la peinture et le dessin pour lui-même. Ce n’était que partie remise.

Pierre-François Besson, swissinfo.ch

*«Friedrich Dürrenmatt ou le désir de réinventer le monde», coll. Le savoir suisse, Presse polytechniques et universitaires romandes

Inauguré en 2000 conformément aux volontés de Dürrenmatt, le centre est situé dans le Vallon de l’Ermitage, dans les hauts de la ville de Neuchâtel.

Il porte la signature de Mario Botta et intègre la villa que Dürrenmatt avait acquise en 1952.

Lieu d’étude et de recherche qui fait partie de la Bibliothèque nationale suisse, son but est de valoriser l’œuvre de l’artiste et de favoriser une approche critique de celle-ci.

Né en 1921 dans l’Emmental bernois, Friedrich Dürrenmatt est mort en décembre 1990 d’une crise cardiaque.

Ses pièces constituent un miroir du monde, dans lequel la tragédie, se mêlant à la comédie, débouche très souvent sur le grotesque.

Ses pièces, dont les plus connues sont «La Visite de la vieille dame» et «Les Physiciens» interpellent sur le comportement moral de l’individu et de la collectivité sans toutefois proposer une morale tranchée.

La «pensée dramaturgique» de Dürrenmatt combine les questionnements portant sur la théorie de la connaissance, les sciences physiques et naturelles et la philosophie de l’existence, qu’il transpose littérairement.

Dans la seconde partie de sa vie, Dürrenmatt a publié un ensemble de textes autobiographiques et d’essais.

Source: CDN

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