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Combien d’hôpitaux faut-il en Suisse?

35% des coûts de la santé sont générés en Suisse par les hôpitaux. Keystone

En Suisse, la surabondance d'hôpitaux par rapport à la population se répercute sur les coûts de la santé. Avant de quitter ses fonctions, le ministre de l'Intérieur Pascal Couchepin a relancé le débat. Selon lui, plus de la moitié des établissements hospitaliers devraient fermer.

« En Suisse, nous avons trop d’hôpitaux. Près de 200 des quelques 350 établissements ouverts actuellement devraient être fermés ». Le problème soulevé par Pascal Couchepin, dans une interview accordée au journal économique Bilan, n’est pas nouveau.

De nombreux acteurs du domaine de la santé sont d’accord sur le fait que le nombre d’hôpitaux en Suisse est excessif.

Il y a quelques mois, Thierry Carrel, l’un des plus célèbres cardiologues du pays, l’avait clairement dit dans les colonnes du quotidien La Liberté: «Je peux uniquement m’exprimer pour le domaine que je connais, mais les économies pourraient être très importantes».

Selon le médecin, huit centres de cardiologie seraient suffisants (soit un pour chaque million d’habitants et donc une proportion semblable à celle que l’on retrouve en France, en Allemagne et en Autriche). Mais en réalité, la Suisse en compte 18. Avec tous les frais inhérents à cette discipline médicale de pointe très gourmande en haute technologie.

Cette surabondance ne concerne pas que les cliniques spécialisées. Il n’est pas rare de trouver aussi, à quelques kilomètres de distance seulement, des hôpitaux complétés de départements des urgences 24 heures sur 24, de chirurgie, de maternité, en autres.

Fédéralisme oblige

Un luxe que la Suisse peut encore difficilement se permettre en regard de l’explosion des coûts de la santé.

La raison de cette profusion d’établissements peut se résumer en un seul mot: fédéralisme. «En Suisse, il n’y a pas, ou du moins pas jusqu’à un passé récent, de marché national de la santé, mais bel et bien 26 marchés cantonaux», explique Olivier Guillod, directeur de l’Institut de droit sanitaire de l’Université de Neuchâtel. En matière d’hôpitaux, les cantons jouissent d’une souveraineté quasi absolue.

«Pendant longtemps, les cantons ont été encouragés à construire des hôpitaux sur leur territoire. En premier lieu, parce que c’était payant sur le plan politique. Les habitants sont toujours contents d’avoir une clinique près de chez eux. Et deuxièmement, les hôpitaux créent des emplois. A cela s’ajoute que durant de nombreuses années, il n’y a pour ainsi dire par eu de coordination inter-cantonale mise en place en matière de planification hospitalière», observe encore l’expert.

La Confédération dispose de moyens assez limités pour intervenir sur ce terrain. Elle peut essentiellement agir par le biais de mécanismes de financement découlant de la Loi sur l’assurance maladie, qui prévoit une obligation de planification hospitalière cantonale et inter-cantonale. Elle peut encore intervenir au travers des règlements sur le remboursement des prestations.

Question de qualité

Ces paramètres ont eu pour effet que dans de nombreux cantons, surtout les plus petits, on a vu surgir de nombreuses structures de taille modeste. «Longtemps, ces hôpitaux ont apparemment satisfait les besoins de la population, ajoute encore Olivier Guillod. Mais aujourd’hui, on insiste de plus en plus sur la qualité, et on s’aperçoit que les petites structures ne sont pas toutes en mesure de la garantir pour toute une série de prestations médicales.»

Néanmoins, depuis quelques années, les autorités cantonales ont entrepris une vaste réorganisation, en concentrant notamment des services de soins d’un type particulier dans une unique clinique. «Si on compare la situation actuelle avec celle d’il y a 10 ou 20 ans, il n’y a pas de doute, d’importants efforts de rationalisation ont été consentis», analyse le professeur Guillod.

Bernhard Wegmüller, directeur de l’association faîtière des hôpitaux suisses H+, observe pour sa part que «le nombre d’hôpitaux ne doit pas forcément être déterminé au niveau politique, mais que c’est au secteur lui-même d’agir, en jouant la carte de la transparence en matière de qualité et de prix et en appliquant les même conditions cadres pour tous hôpitaux et cliniques.»

Financement des prestations

Bernhard Wegmüller attend beaucoup de la réforme du financement hospitalier, qui entrera en vigueur en 2012. Le passage à un système de financement pour des prestations devra précisément déboucher sur une plus grande transparence.

Actuellement – quelques cantons mis à part – les hôpitaux perçoivent un certain montant pour chaque jour d’hospitalisation. A l’avenir, la somme versée sera fixe et correspondra à une intervention déterminée.

«Il sera dès lors plus facile de comprendre si un hôpital est trop cher pour une prestation d’un certain type et s’il doit ou non continuer d’offrir ce traitement», souligne Bernhard Wegmüller. Du coup, des cliniques pourraient être contraintes de renoncer à certains secteurs, car trop coûteux par rapport au nombre d’interventions qui y sont effectuées. D’autres pourraient devoir choisir la voie de la spécialisation. D’autres encore pourraient tout simplement fermer leurs portes.

Suicide politique

Mais une chose est sûre, même avec le nouveau mécanisme de financement, les efforts de rationalisation continueront à se heurter à de nombreuses difficultés.

Pour un ministre cantonal de la Santé, exiger la fermeture d’un établissement hospitalier, ou même d’un seul département, équivaut souvent à un suicide politique. Le citoyen apprécie rarement de devoir franchir quelques dizaines de kilomètres supplémentaires pour se faire soigner si, durant des années, il a été habitué à jouir de ces prestations à deux pas de chez lui.

«Idéalement, il faudrait faire table rase du système actuel et instaurer une planification hospitalière et sanitaire au niveau national. D’ailleurs, à l’étranger, des planifications hospitalières pour des bassins de population supérieurs à celui de la Suisse sont mis en place. Mais dans les faits, faire table rase est une utopie. Trop d’intérêts et de facteurs sont en jeu. Les cantons sont jaloux de leurs prérogatives, les hôpitaux existent déjà, et du personnel y travaille…». Bref, Pascal Couchepin aurait sans doute besoin de plusieurs vies pour voir se réaliser son vœu.

Daniele Mariani, swissinfo.ch
(Traduction de l’italien: Nicole della Pietra)

En 2007, la Suisse comptait 321 hôpitaux, dont 191 cliniques spécialisées, pour un total de 41’910 lits.

En 1998, il y en avait 399 pour 45’959 lits.

Le record avait été atteint en 1982, avec 462 cliniques sur l’ensemble du pays. Ces cliniques employaient 130’990 personnes (contre 97’146 en 1998).

Les coûts d’exercice ont atteint 18,3 milliards de francs, avec une moyenne de 10’300 francs pour chaque cas clinique.

En 1998, les coûts étaient de 12,4 milliards pour une moyenne de 9’200 francs par patient.

Selon une étude de l’institut financier franco-belge, Dexia, en 2004, l’Autriche (dont la population est de 8,3 millions d’habitants et donc comparable à la Suisse), comptait 272 hôpitaux. La Suède (9,1 millions d’habitants), n’avait que 81 établissements.

L’Allemagne (82,4 millions d’habitants) disposait de 3’460 hôpitaux, contre 741 pour l’Espagne (et une population de 44,1 millions); 1’296 pour l’Italie (pour 58,9 millions d’habitants) et enfin, 2’890 pour la France (avec une population de 63,2 millions de personnes).

En moyenne, la Suisse compte 4,3 hôpitaux pour 100’000 habitants. Elle est dépassée par la France avec 4,5 mais bat l’Allemagne et ses 4,1. Les moyennes affichées par l’Autriche, l’Italie, l’Espagne et la Suède sont respectivement de 3,2 ; 2,2 ; 1,7 et 0,9.

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