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Comment les gros brasseurs verrouillent le marché

La bière, un marché juteux en Suisse. Keystone

Les petits brasseurs dénoncent certains contrats d'exclusivité signés entre les grands brasseurs de bière et des restaurateurs.

Les autorités de la concurrence mènent l’enquête sur ces pratiques qui permettraient à certains de lancer leur affaire. Mais qui verrouillent le marché.

«Ces contrats sont un véritable scandale», tempête Jérôme Rebetez, patron de la Brasserie des Franches-Montagnes.

Cette petite entreprise installée à Saignelégier (JU) fabrique de la bière artisanale depuis 1997.

Pourtant, le cartel de la bière en Suisse a été supprimé en 1991. Et la loi sur les cartels (Lcart), censée empêcher les restrictions de concurrence, existe depuis 1995.

«En théorie, chaque brasseur devrait pouvoir vendre de la bière à sa guise. Mais en pratique, les grands brasseurs verrouillent le marché avec ces contrats», explique Jérôme Rebetez.

Cette pratique n’est pas nouvelle. Jusque dans les années 90, les grands brasseurs possédaient aussi de l’immobilier.

Ils pouvaient ainsi obliger les restaurateurs qui louaient leurs locaux à ne vendre que leur bière. Depuis, les actifs immobiliers ont été séparés.

Aides au démarrage

Les conditions fixées dans ces documents varient de cas en cas, selon Stefan Kaspar, porte-parole de Feldschlösschen. Mais le principe reste le même.

Il existe en effet plusieurs manières de s’attacher un restaurateur, confirme à swissinfo Patrick Ducrey, porte-parole de la Commission de la concurrence (Comco).

Les grands brasseurs (Feldschlösschen, Heineken, Eichhof, Kronenbourg) prêtent de l’argent au restaurateur qui veut ouvrir son commerce ou mettent du matériel à sa disposition. L’installation pour la bière pression, par exemple.

«En contrepartie, le restaurateur s’engage à ne vendre que nos produits», ajoute le porte-parole de Feldschlösschen. Le litrage à écouler et la durée du contrat sont négociables.

Les contrats signés par Feldschlösschen concernent plusieurs centaines de millions de francs, selon Stefan Kaspar, qui n’a pas fourni plus de précision.

«Le but de l’enquête, qui devrait être terminée cette année encore, est justement de savoir si ces pratiques sont légales», déclare pour sa part le porte-parole de la Comco.

Petits brasseurs lésés

Dominique Suchet, l’initiateur de La Belle de Genève – une bière artisanale lancée en 2003 – s’insurge lui aussi contre ces pratiques.

«Le cartel s’est reconstitué sous une houlette internationale,» explique-t-il en faisant référence au rachat de Feldschlösschen par le danois Carlsberg.

Pas facile dans ces conditions pour les petits brasseurs de placer leurs produits dans les bistrots.

Dominique Suchet a ainsi essuyé de nombreux refus. «Les restaurateurs sont souvent intéressés, mais ne peuvent pas jouer ma carte, étant liés par un contrat avec un grand brasseur».

Cela dit, ces pratiques commerciales sont normales et ont aussi cours à l’étranger, selon l’Association suisse des brasseurs de bière.

Sanctions possibles

Si la Comco aboutit à un constat de restriction de la concurrence, des sanctions pourraient être prononcées. Ce qui est nouveau.

Car auparavant, la Comco ne pouvait que donner un avertissement. Il fallait qu’il y ait récidive pour que des sanctions soient envisageables.

La loi vient effectivement d’être révisée. Elle devrait entrer en vigueur en avril. A partir de là, les entreprises mises en cause par la Comco ont un an pour rectifier la situation et le notifier.

Si rien n’a été fait, des sanctions d’ordre économique seront appliquées. Elles peuvent s’élever jusqu’à 10% du chiffre d’affaires réalisé au cours des trois dernières années.s

swissinfo et les agences

Production de bière en Europe: 320 millions d’hectolitres (1/4 de la production mondiale)
En Suisse: 4,3 millions d’hectolitres
Consommation de bière par personne (2003): 58 litres contre 56 en 2002
Consommation de vin par personne (2003): 41 litres

Les parts de marché: Feldschlösschen / Carlsberg(45%), Calanda, Haldengut / Heineken (20%), Eichof (8-10%), Kronenbourg Suisse (4-5%)

Il y a 105 brasseries en Suisse.

– Le cartel de la bière a été aboli en 1991.

– La loi sur les cartels (Lcart) existe depuis 1995.

– Sa révision récente entrera en vigueur en avril 2004.

– Elle a introduit la possibilité de prononcer des sanctions dès le constat d’infraction à l’égard des entreprises qui limitent la concurrence.

– Auparavant, il fallait qu’il y ait récidive pour pouvoir sanctionner.

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