Des perspectives suisses en 10 langues

Comment les partis draguent la diaspora en France

Au-delà du Doubs, les partis suisses tentent de mobiliser l'électorat de la diaspora. Keystone

La campagne pour les élections fédérales du mois d'octobre se mène aussi de l’autre côté du Jura. Suite au congrès des Suisses de France du mois d’avril à Bordeaux, quelques candidats ont fait le déplacement, invités notamment par le Groupe d'études helvétiques de Paris.

D’autres, vivant en France, tentent de mobiliser la diaspora. Pierre Vogel, retraité dans l’Eure, fait campagne sur la liste «internationale» de l’Union démocratique du centre (UDC / droite conservatrice), déposée à Genève. Pas simple. «Je ne bénéficie d’aucun soutien logistique ou financier. A moi de me débrouiller tout seul», constate ce Genevois d’origine, ancien cadre dans la grande distribution française.

Pierre Vogel a vainement tenté de créer une antenne UDC à Paris. «Nous n’étions que cinq…» Il espère maintenant organiser une réunion nationale des UDC français avant le mois d’octobre. Sa campagne, il la mène essentiellement sur le réseau SwissCommunity.org.

«En 2007, le candidat UDC installé en France avait rassemblé à peine plus de 200 voix. C’est dire la difficulté de la tâche», note Vogel, qui défend vigoureusement la neutralité helvétique et vilipende les attaques contre la démocratie directe.

Un système électoral pénalisant

À qui la faute? Au manque d’intérêt des Suisses de l’étranger pour ce qui se passe au «pays»? Sûrement pas. Sur les 179’106 Suisses vivant dans l’Hexagone, 39’429 sont inscrits sur les listes électorales. Une proportion légèrement plus élevée en France qu’ailleurs dans le monde.  Et le taux de participation n’est guère plus faible à l’étranger qu’en Suisse. Le problème, c’est le système électoral, qui veut que chaque candidat soit rattaché à un canton. Des conditions qui rendent une élection quasi impossible.

Pierre-Alain Bolomey en sait quelque chose. En 1999, alors fonctionnaire fédéral à Bruxelles, il est candidat sur la liste «internationale» du Parti socialiste vaudois. «Ma campagne, je l’ai menée à 10% en France et en Belgique, et à 90% dans le canton de Vaud. Mon nom bien de chez nous et ma petite notoriété à Bruxelles m’ont permis de récolter 13’500 voix, et de finir premier… des viennent ensuite ». Un record tout de même dans l’histoire de la diaspora. «Les Suisses de l’étranger n’ont aucune chance d’être élus au Parlement», regrette le vice-président de la section internationale du PS.

Le socialiste Carlo Sommaruga a bien proposé de changer le système en créant une sorte de 27e canton regroupant les Suisses de l’étranger. Mais son initiative n’a pas passé le cap du Conseil des Etats.

Des listes «internationales»

«À l’heure où la France s’apprête à faire élire onze députés «français de l’étranger», et alors que l’Italie dispose d’un sénateur représentant les transalpins vivant en Suisse, la rigidité helvétique sur ce point fait tache», déplore Pierre Vogel.

Faute de mieux, certains partis créent des listes «internationales». C’est le cas de l’UDC et du PS, notamment dans les cantons de Genève, Zurich et Schaffhouse. Le Parti démocrate-chrétien (PDC) n’a pas encore fixé sa stratégie, remarque Ariane Rustichelli, responsable de la communication de l’Organisation des Suisses de l’étranger (OSE). Le Parti libéral radical (PLR) ne présentera pas de liste de ce genre, estimant que les Suisses de l’intérieur sont les mieux à même de représenter leurs compatriotes.

La stratégie des listes internationales n’est pas toujours dénuée d’opportunisme, estime Ariane Rustichelli. L’UDC présente ainsi Paul Accola sur sa liste «internationale». L’ancien champion grison est pourtant plus connu pour ses exploits sur les pistes de ski que pour son expérience de la diaspora.

Un écart subtil

Au fait, comment votent les Suisses de l’étranger ? «Plutôt à gauche», se félicite Pierre-Alain Bolomey, qui cite un sondage de l’institut gfs.bern.

«On peut dire sans trop se tromper que la diaspora fait preuve d’ouverture, notamment sur les sujets internationaux», précise Ariane Rustichelli. Neuf cantons, dont Genève, Neuchâtel, Bâle-Ville et Lucerne, distinguent les suffrages de l’étranger des voix purement helvétiques, permettant ainsi de se lancer dans de savantes analyses. Exemple: à Lucerne, l’initiative visant à interdire les armes à domicile a été rejetée à 59% par les résidants, et à 52,7% seulement par les Lucernois de l’étranger.

Un écart subtil. «Avant d’être de gauche ou de droite, les Suisses de France votent en fonction de préoccupations quotidiennes», remarque Jean-Michel Begey, président de l’Union des associations suisses de France (UASF). Viennent en tête la question des banques suisses qui taxent les comptes dormants, l’AVS bien sûr, et la proposition controversée de l’UDC de moduler les rentes en fonction du niveau de vie du pays de résidence. Enfin le nucléaire et le statut de binational.

Sur ce dernier point, la volonté de Christoph Blocher et des siens d’interdire la double nationalité passe mal auprès des Suisses de France.

«Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’au dernier congrès des Suisses de France, en avril à Bordeaux, l’UDC Jean-François Rime n’a pas fait un tabac», note Serge Lemeslif, ancien président de l’UASF. Pas étonnant : 70% des expatriés sont binationaux.

Un Suisse sur 10 vit à l’étranger

Dans le monde, elles et ils étaient 695’101 à être immatriculés auprès des représentations diplomatiques à l’étranger en 2009. 135’877 d’entre eux étaient inscrits sur les registres électoraux.

En France, la communauté helvétique est la plus grande de son genre au monde, avec 179’106 immatriculés auprès des représentations diplomatiques. 39’429 sont inscrits sur les listes électorales.

Tests. Quelque 22’000 Suisses de l’étranger pourront utiliser le vote électronique pour l’élection du Conseil national le 23 octobre. Le Conseil fédéral a approuvé les demandes de Bâle-Ville, de St-Gall, des Grisons et d’Argovie. Il s’agit du premier essai de ce genre pour des élections fédérales.
Les quatre cantons ont déjà procédé à plusieurs tests réussis lors de votations fédérales. Ils se préparent depuis près d’une année à la réalisation d’essais de vote électronique en vue des élections d’octobre.

Délai. Seul 0,4% des plus de 5 millions d’électeurs suisses aura droit à cette innovation pour l’heure. Les Suisses de l’étranger sont souvent dans l’impossibilité de participer à la nomination des représentants de la Chambre du peuple, en raison des délais serrés pour l’envoi du matériel de vote.

Simple et rapide. Pour l’Organisation des Suisses de l’étranger (OSE), cette décision est «un pas dans la bonne direction», comme elle l’a indiqué mercredi. Le vote électronique permettra à une partie des Suisses de l’étranger de faire usage de «ses droits politiques d’une manière simple et rapide».

Pour tous. Le but à terme doit cependant être de fournir cette possibilité à tous les membres de la cinquième Suisse d’ici les élections fédérales de 2015, demande l’OSE. Selon l’organisation, 135’000 Suisses de l’étranger – sur 700’000 au total – sont inscrits sur les registres électoraux.

En conformité avec les normes du JTI

Plus: SWI swissinfo.ch certifiée par la Journalism Trust Initiative

Vous pouvez trouver un aperçu des conversations en cours avec nos journalistes ici. Rejoignez-nous !

Si vous souhaitez entamer une conversation sur un sujet abordé dans cet article ou si vous voulez signaler des erreurs factuelles, envoyez-nous un courriel à french@swissinfo.ch.

SWI swissinfo.ch - succursale de la Société suisse de radiodiffusion et télévision

SWI swissinfo.ch - succursale de la Société suisse de radiodiffusion et télévision